Moi, myself et ma chaise

Béatrice Myself est de ces fleurs obscures qui poussent non pas en lisière des champs de céréales luxuriantes, mais aux abords des lieux désœuvrés, des terrains vagues inoccupés. Elle modèle son caractère aux dures lois de cet environnement, préférant le réconfort d’un jouet cassé, la promiscuité d’une couverture élimée à l’ensoleillement et aux engrais tonifiants.

Béatrice Myself

À ses amis du rebut, elle raconte alors des courtes histoires surréalistes, de petites utopies de textiles, des métaphores fugaces du quotidien empreintes de douceur, de candeur ou d’ironie.
Artisan avant d’être artiste, autodidacte éclairée plutôt que carriériste appliquée ; ses ouvrages émancipés des préjugés et de la pesanteur de la réalité, puisent dans les détails abstraits de son existence : rêves, images familières, morceaux choisis de l’intimité.
Elle crée, au détour de petites œuvres émouvantes, réflectives, drôles ou détraquées un univers onirique, un monde fantasmé où des oiseaux à tête anguleuse côtoient des chats cosmonautes, où des éléphants bleus tachetés cabotent et des félins complotent sur la glace en attendant la fonte. De ces consommés de vie, d’imagination, elle tire, via un trait de crayon ludique et assuré, des bestiaires colorés et absurdes, de petites fables pastorales ou urbaines, à l’image de ces personnages névrosés de la capitale.
Le choix de matériaux de récup’, l’utilisation de tissus d’ameublement inusités, d’étoffes aux imprimés désuets comme décors à ses petits dessins drolatiques ainsi que l’emploi des couleurs primaires participent de l’esprit nostalgique et enfantin qui plane sur son œuvre.
Des paraboles poétiques, des fictions délicates qui s’imprègnent de la personnalité de leur auteur autant que du monde qui l’entoure. Une manière subtile et engagée d’élever nos âmes, une once au-dessus de l’asphalte de nos quotidiens un peu trop ternes.

Jadeweb : Genèse ?
Béatrice Myself :
Je dessine je crois depuis l'enfance, c'est indéfinissable, j'ai toujours dessiné en parallèle de mes autres activités, mais plus intensément depuis dix ans (déjà !), et maintenant il y a deux ans que je ne fais que ça.

Thèmes de prédilection ?
Le quotidien, les rêves, l'absurde, les animaux, en particulier les chats.

Inspiration ?
Je la trouve dans des petites phrases de la vie, des scènes que j'observe, que j'entends, soit dramatiques soit ultra comiques, en fait bien sûr je m'écoute beaucoup (je suis quand même myself !) et donc il y a beaucoup d'autobiographie dans mes dessins ! La musique aussi bien sûr puisqu'elle fait partie de la vie. Mon flux créatif est beaucoup plus abondant quand je suis fatiguée, et oui, d'autres se cament ou boivent, moi pour parvenir à être un peu fière de ce que je fais, il faut que je dorme peu. La fatigue m'aide à être plus sensible, plus "en tension". Pour le dessin c'est bien, pour l'entourage c'est moyen !

Tes références, les travaux qui t'attirent ?
La figuration libre et en particulier Robert Combas m'a vraiment influencée. Aujourd'hui, j'apprécie vraiment le dessin de Poincelet, le travail de Blanquet et Olive, la peinture de Placid. Les écrits d'Henri Michaux aussi me touchent, les carnets de voyage de Loustal. J'adore aussi Ricardo Mosner.
J'en oublie bien sûr, mais je m'émeus très facilement devant un dessin d'enfant, ou une pancarte représentant un cochon devant une charcuterie, un motif de tissu, une boîte de sardines, le papier qui emballe une orange, des peluches écrasées d'un artiste modeste. On peut voir l'art partout puisqu'il est nulle part.

 

Béatrice Myself à un atelier-boutique à Tours
29 rue du Grand Marché - 37000 Tours

Entretien et photos Julien Jaffré | Jadeweb 2003