Trait de craie

Miguelanxo Prado

ada3.jpg (32172 octets)Casterman, 1993.
ISBN 2-203-33855-5

Prépublié dans le journal (à suivre) n°174 à 180.
Pour l'annecdote, l'ultime numéro de (à suivre), le n°239 contient deux pages extraites de l'univers de Traie de Craie mais n'appartenant pas à l'album (vraisemblablement réalisées spécialement pour ce numéro, mais l'auteur nous renseigne sur deux postfaces qu'il n'a pas incluses à l'album).

Lorsque l'on cherche à convaincre de son erreur une cousine de province, sa grand mère ou dieu sait quelle personne hostile à la bande dessinée, (hostile ou en tous cas dubitative quant aux potentialités du genre) on sort Trait de craie de sa bibliothèque. Effet garanti.

Le héros est un jeune homme un peu perdu au milieu de l'océan débarqué sur une petite île absente des cartes maritimes : un petit morceau de craie avec une longue digue blanche où n'accostent presque jamais trois bateaux en même temps et qui est surplombé par un phare qui n'a pas fonctionné depuis plus de trente ans.
Sur l'île vivent une mère, Sara, et son fils Dimas, un garçon un peu bizarre : ils tiennent un hotel-buvette qui n'a pas souvent des visiteurs.
Très vite, un autre personnage entre en scène, Ana, une jeune fille plutôt littéraire dont le héros ne tarde pas à s'amouracher.
Le récit prend peu à peu une tournure moins anodine lorsque certains événements semblent coïncider par surprise ou, inversement, se contredire. L'auteur nous dit d'ailleurs en postface que son lecteur, tout comme le héros, a plusieurs façons d'interpréter les événements qui se sont déroulés sous ses yeux.
En entrée, il cite Borges : Bioy Casarès avait dîné avec moi ce soir-là et nous nous étions attardés à polémiquer longuement sur la réalisation d'un roman à la première personne, dont le narrateur omettrait ou défigurerait les faits et tomberait dans diverses contradictions qui permettraient à peu de lecteurs - à très peu de lecteurs - de deviner une réalité atroce ou banale. (Jorge Luis Borges, Tlon, Uqbar, Orbis, Tertius, ed.Gallimard).
Ce scénario tourne comme une boucle subjective et force le lecteur à revenir en arrière, à chercher à recoller les morceaux du puzzle.

Le dessin est impeccable et chaleureux. Prado a utilisé des papiers de couleur qu'il travaille au pastel et qui sont imprimés en couleurs directes. Chaque page a sa couleur propre : l'édition présente ajoute d'ailleurs, et c'est dommage, des marges blanches qui ne s'imposaient pas.
Les textes sont apparemment réalisés sur des calques séparés et sont juste assez discrets pour ne pas enlever à chaque case sa valeur de tableau.
La "lumière solide", si typique du pastel, est ici sompteuse et extrèmement fine (chauds et froids habilement mélés). La maîtrise de Prado est absolument admirable.  
Inspiré par des écrivains, Borges, Casarès, Tabucchi, mais aussi par de grands peintres, Degas, Lautrec ou Hopper, "Trait de Craie" est une bande dessinée riche que tout amateur se doit de posséder.

 

Ancien étudiant en architecture, Miguelanxo Prado s'est tourné vers la Bande dessinée en 1979, d'abord par le biais du fanzine, puis de publications comme la version espagnole de Creepy, Cairo, Comix internacional, l'écho des savanes et enfin, (à suivre). Publié chez nous par les humanoïdes associés, Albin Michel et Casterman, Prado est un auteur très à part. Sautant d'une idée à l'autre et n'hésitant pas à changer complètement de registre littéraire (science fiction, société, érotisme...) voire graphique (encres ou pastel), son œuvre est tout à fait remarquable d'inventivité et de virtuosité.
Miguelanxo Prado a été recruté comme character designer sur le dessin animé 'men in black'. En 1993, les éditions Mosquito lui ont consacré une monographie.
Ses autres récits, Stratos, Manuel Montano (avec fernando Luna), Demain les dauphins, Chienne de Vie, Quotidien délirant, c'est du sport et y'a plus de justice explorent notre vie de tous les jours ou le futur de l'humanité avec humour et pertinence.

Prado est un des auteurs majeurs des années 80-90 et il est sans doute loin d'avoir donné à son art tout ce qu'il pouvait lui donner.

 


Hopper, Lautrec et encore Degas semblent avoir énormément inspiré Prado.
Ici, Sara, qui tient le seul commerce de l'Ile.


Ana


Raul, le héros.


Ana et Raul.