Ivan Brun

Dans Jade 9, il était question de Lieux communs, d’Ivan Brun, récit fragmenté où se croisent les réalités vides de sens de personnages sans horizon. En 1995, il avait réalisé une immense fresque sur la fracture sociale sur la façade d’un HLM de Saint Fons, ville de la banlieue Lyonnaise. En février 2000, il a exposé ses toiles qui stigmatisent l’oppression urbaine à l’alliance Française de Manille (Philippines.) Bref entretient avec ce jeune auteur engagé, dont l’univers désespérant évoque à la fois ceux de l’écrivain Bret Easton Ellis, du peintre Eric Fischl et du cinéaste autrichien Michael Haneke.

Jade : Lieux communs s’ouvre sur une citation de Paul Virilio, c’est une Bande dessinée militante ?

Ivan Brun : On peut la considérer comme telle. Enfin, ce n’est pas une Bande dessinée qui changera quoi que ce soit à la situation actuelle. J’ai fait une Bande dessinée pour, éventuellement, toucher des gens qui n’ont pas l’habitude de lire des ouvrages sociologiques ou la presse spécialisée, des gens plus jeunes. Je montre une société éclatée par l’individualisme, ça n’ouvre pas quelque chose de positif… C’est une description froide du processus de dégradation sociale que je peux constater quotidiennement. J’aimerais éveiller l’attention du lecteur, l’aider à établir des connexions entre différents phénomènes sociaux…

Considères-tu la Bande dessinée comme un art ? Non, pour moi ce n’est pas un art à part entière, mais plutôt un "cinéma du pauvre". C’est une forme d’expression populaire. J’aime bien le manga pour l’efficacité du dessin, c’est concis et efficace. Mais je m’alimente aussi de la pub, la photo, la téloche, les cadrages cinématographiques, la peinture abstraite.

Tu fais de la peinture, en quoi cela diffère de la Bande dessinée ?
Pour moi, c’est complémentaire. L’aspect narratif que tu exprimes en Bd ne peut pas passer en peinture, certaines émotions sont retranscriptibles uniquement par la peinture. La peinture est moins didactique, moins contraignante, ça laisse plus d’ouverture au niveau de l’interprétation alors que le sens est plus orienté à travers la Bd. Je fais rarement des expos, je ne cherche pas trop en fait, c’est des expos d’amateur dans des bars, des friches industrielles, récemment au Secours populaire dans la banlieue de Lyon.

Tu joues et chantes également dans Coche Bomba, un groupe de hard-core brutal qui tourne dans les milieux autonomes… C’est plus un exutoire, un défoulement. J’ai tendance à concilier ces différentes formes d’expression pour que ce ne soit pas gratuit. C’est déjà tellement individualiste l’expression artistique. J’essaie de donner un sens à ce que je fais, même si c’est relativement vain. Je ne crois pas que c’est avec la musique ou le dessin qu’on peut faire bouger les consciences… Enfin, bon, c’est peut-être une manière de se justifier, de se rassurer. C’est aussi pour réagir.

Quelques exemplaires de Lieux communs sont peut-être toujours disponible contre 25 FF pc à Organic Comix - Village Bosland, 69470 Cours la ville, tentez votre chance.

Entretien paru dans la rubrique L’underground de l’underground, Jade 9 © Lionel Tran & 6 Pieds Sous Terre, 1999
Photo © Valérie Berge / Peinture © "Le spectacle continue - 2" 100X100 cm - 1998 - Huile sur toile.