Jade-Pouy En créant le Poulpe, Jean-Bernard Pouy avait une idée derrière la tête : lancer une collection de littérature populaire policière de gauche. Gabriel Lecouvreur, dit Le Poulpe, enquête pour son compte et par amour de la vérité sur des faits divers sordides piochés dans le quotidien régional qu’il lit chaque matin au Café. L’aventure est prétexte à démasquer les magouilles politiques derrière lesquelles se cachent la plupart du temps l’extrême droite. Très vite la collection, lancé par Baleine, prend d’assaut les vitrines des librairies. Le Poulpe, "SAS" libertaire, devient à la mode tout le long de l’année 97. Les couvertures sont accrocheuses, les textes faciles à lire, les auteurs jeunes. Au bout d’un moment les critiques commencent à pleuvoir : les textes sont mal écrits, répétitifs, la collection se coule... Interrogé à ce propos Jean Bernard Pouy parle de méprise : le public touché n’était pas celui visé, les textes, écrits pour le plaisir, n’ont pas été choisis, Le Poulpe ne s’est jamais pris au sérieux.

Le fond du Pouy est frais
Jean-Bernard Pouy
 
Jade : C’est toi qui a initié le Poulpe ?
Jean Bernard Pouy : J’ai écrit la bible et je l’ai immédiatement confrontée à Serge Quadruppani et Patrick Raynal qui l’ont un peu modifiée pour que ce ne soient pas que mes conneries qui apparaissent. Disons qu’on a construit le Poulpe en contre. Pourquoi le 11ème arrondissement ? Parce que c’est un arrondissement populaire, c’est le seul où il n’y a pas de monument historique à Paris. Pourquoi Cheryl est blonde et coiffeuse ? Tout le monde me reproche qu’elle soit blonde et coiffeuse. Attendez, vous avez quoi contre les blondes tout à coup et contre les coiffeuses ? "Oui, non, mais ta blondasse coiffeuse... ". Pourquoi on l’a mis blonde coiffeuse ? Parce que Alexandra, qui est la copine de SAS est grande, brune et elle s’occupe d’art moderne. Pourquoi le Poulpe répare un avion ? Parce que SAS répare son château à la frontière du Liechtenstein, alors le Poulpe, version populaire il répare son zinc pourri dans un truc du Val d’Oise. Pourquoi il y a Pedro ? Parce que c’est un mythe ringard de la littérature populaire, il y a toujours un anarchiste espagnol imprimeur dans les parages, ce qui est facile pour trouver des faux papiers et des armes, parce que dès qu’on s’emmerde à trouver un flingue ça dure 40 pages, où t’as le héros qui fait tous les bars de Pigalle, on se fait chier. Là il va le voir dans sa péniche, l’autre lui donne des bazookas, des chars d’assaut, c’est réglé. Pourquoi la bière ? Parce que le polar c’est le whisky, les alcools forts, Ils sont toujours en train de boire du Jack Daniel’s ou du Wild Turkey ou des pinards avec des noms très compliqués et alors là on a décidé s’il y a bien un breuvage populaire c’est la bière.

C’était quoi ton intention, à la base ?
C’était faire de la littérature de gare. On connaît bien le milieu du polar Français qui a une réputation d’extrême gauche depuis 20 ans, et bizarrement dans la littérature populaire, qui est une littérature que j’aime, ça n’apparaissait pas. Quand tu regardes de près tu vois SAS, Brigade Mondaine, L’exécuteur, des trucs qui sont toujours un peu fascisant, à la solde de la CIA. En France le socle de la littérature populaire a toujours été assez solide depuis la fin du 19ème. Et là tout à coup cette littérature populaire n’existe plus, ou assez mal. Il faut faire en sorte que ce socle ne disparaisse pas et il faut le nourrir, donc on est tombé sur cet éditeur qui avait envie de se lancer dans l’aventure, et on s’est dit : quitte à avoir cette espèce d’attitude un peu volontariste, autant s’amuser, donc on a créé ce personnage de manière rigolote, inverse. On avait décidé dès le début que ça serait une auberge espagnole. C’est à dire qu’il y ait à chaque fois un auteur différent et surtout une manière de fonctionner qui admette de jeunes auteurs, des gens qui n’ont jamais écrit de romans, qui viennent d’ailleurs et aussi du volontarisme, les Bd du Poulpe, qui sont de véritables Bd de gare, ont été des propositions spontanées.

Qu’est-ce qui te plais dans la littérature populaire ?
J’en ai toujours lu. Ce qui me plaît c’est que d’abord il y a de très bons livres et je crois -c’est un peu une attitude bizarre- mais je crois que dans la lutte contre l’illettrisme il y a des étapes. Je le vois en LEP par exemple, où les gosses ne lisent pas, où les profs ont du mal à les faire lire. Commencer par le polar et par la littérature populaire où ça va vite, où ça parle du temps, où ça répercute les langages, ceux qui ne lisent pas et qui ont du mal à lire, souvent se disent : tiens, c’est un livre comme moi, comme les gens que je connais. Il n’y a pas le côté statufiant de la littérature, qui serait un objet d’étude, là tout d’un coup il y a aussi un plaisir de la lecture qui apparaît, chez beaucoup d’élèves. Après ils en lisent un autre, puis un autre un peu différent, puis ils montent... La littérature populaire c’est un fond incroyable d’histoires et de mythologies. On n’invente rien, si le Poulpe c’est Rouletabille, Alias c’est Fantômas ou Arsène Lupin. On a toujours chié sur la littérature populaire... Il faut dire que les gens qui ont fait cette littérature là ont fait des bouquins au moule, calibrés, tu prends SAS ou Harlequin, avec des grilles d’enfer, avec des répétitions systématiques de scènes, avec la pub untel, c’est dévoyer les livres, les traiter comme ça.

Est-ce qu’il n’y a pas un peu de ça aussi dans le Poulpe ?
Ouais, ouais, je l’admets. Simplement parce qu’au début il y avait une idée de cadavre exquis donc tout le monde devait passer à peu près sous les mêmes fourches. Il y avait cette première scène du café et puis après l’aventure commence. On avait mis ces règles qui sont des règles larges mais que beaucoup d’auteurs ont essayé de modifier ou triturer, d’autres qui sont au contraire très à l’aise dans le rendez-vous. Alors bon, c’est vrai qu’il y a maintenant un effet général de ronron. Mais bon ça on n’y peut rien. Il y a quand-même des auteurs qui ont eu énormément de plaisir à publier leur Poulpe, ce plaisir vient du fait que comme il y a un cadre très précis ils n’ont pas eu à se poser de question comme : qu’est-ce que j’écris ? Comment je m’intègre là-dedans ? Ils ont participé à un jeu, à une bande, et ça c’est positif. On a été, un : emporté par le truc, deux : emporté par le plaisir qu’on les gens à écrire. 150 manuscrits d’avance c’est la folie, on en a jusqu’en 2004 ! Les effets pervers, c’est qu’à force il y a une espèce d’automatisme. Mais bon, je ne dis pas que c’est une collection qui réuni James Joyce et Malcom Lowry, je sais très bien.

Le côté très répétitif, presque systématique était délibéré du départ ?
Non, parce qu’au départ on pensait avec les potes et les premiers volontaires en faire une dizaine. Et ma foi si ces 10 poulpes avaient existé et si l’éditeur n’avait pas perdu d’argent on aurait été très très content... Puis la sauce a pris et là on est un peu dépassé par les événements. Les auteurs sont libres, donc si tout le monde a un peu envie de parler de la même chose, l’extrême droite, les sectes, les magouilles politiques, trois grands thèmes qui reviennent le plus souvent, c’est plus un signe des temps qu’autre chose... C’est une réalité... Bon, si c’était la même personne ou un groupe de personnes qui écrivait tout les Poulpes il y aurait eu une variation dans les thèmes beaucoup plus grande. Mais depuis le début j’avais décidé de ne pas refuser de bouquins, je voulais bien être directeur de collection mais je prenais tous les bouquins qui arrivaient, à condition que ce soit moi qui les génère. Je rencontrais généralement les gens, connus ou inconnus, en leur disant qu’il y avait un rapport avec eux. Tout était fait un peu différemment. Je n’ai pas donné de conseil thématique, un vague conseil idéologique qui tient au personnage, c’est tout. Et après il faut faire attention qu’il n’y ait pas un ennemi qui en écrive, c’est tout. Ça pourrait arriver d’ailleurs, mais pour l’instant on y a échappé.

Tu ne crois pas que le fait qu’il y a une qualité très irrégulière puisse jouer contre la collection ?
Oui et non. On me dit : il y a des bouquins mal écrits. C’est vrai qu’il y a des disparités très fortes, stylistiquement, mais je ne voulais pas choisir et barrer des livres, c’est pas mon truc, je suis auteur, je n’avais pas envie d’avoir ce rôle de directeur de collection. Je pense que la lassitude vient plus du nombre de livres liés au milieu polar, parce que pour l’instant notre public est un public de librairies et qui est grosso modo lié au polar et à tout ce qui tourne autour. Et puis aux gens de gauche qui ont voulu prendre ça comme un phénomène de société, plus que littéraire. Alors ça c’est bien, mais ce n’est pas notre objet. Au début on pensait que le Poulpe serait dans les gares, on avait de grandes idées... Il y est dans les gares, il n’y en a que trois ou quatre volumes... Relais H nous battent froid, c’est assez compliqué, il y a des combines, et puis Hachette ne nous aime pas parce qu’on marche sur leurs plates bandes. C’est pour ça que Librio nous aide, ce qu’on aimerait c’est 150 Poulpes entassés au milieu des salades dans un centre Leclerc ou un Mammouth. Le champ des supermarchés est beaucoup plus intéressant et là, peut-être que les lecteurs pourront découvrir cette littérature populaire.

Comme dans toute littérature populaire il y a un côté propagandiste...
Oui, au départ on voulait plutôt faire de l’agit-prop sous forme de roman. Aujourd’hui on nous tape sur la gueule, on dit qu’on est un "catalogue d’idées jospinistes", on l’assume c’est normal, on s’y attendait avant même. Maintenant. C’est les effets pervers du succès et de la jalousie, pas une jalousie littéraire, ni sensible mais la jalousie des commerciaux, ils sont passés à côté de 700 000 bouquins, tu vois les mecs fuitttt (geste que ça leur est passé au-dessus de la tête). Et ceux qui ont refusé de nous distribuer, genre Sony, Hachette, se rendent comptes qu’ils ont paumé 600 briques, donc ça, ça les énerve et maintenant ils essaient de lancer ce genre de trucs.

C’est assez paradoxal comme succès, parce qu’il y a une grosse crise du livre.
Oui, enfin succès... C’est un succès par rapport à un éditeur qui démarre de zéro et qui d’un coup fait 80 bouquins, lance une collection, accueille Remous pour l’aider, embauche deux-trois personnes. On vend une moyenne de 6 à 7 000 bouquins, ce n’est pas des best-sellers non plus. Le gros succès c’est qu’un éditeur qui est parti de rien vende comme la Série noire. C’est vrai qu’Instantanés de polar vend moins, Remous à beaucoup plus de mal également, mais Remous se situe dans le champ littéraire. Nous on est en dehors, on s’en est sorti à cause de ça... Et l’éditeur qui ne veut ni s’acheter une Rolls Royce ni bouffer les autres, lancera autre chose après le Poulpe parce qu’il n’est pas question qu’il mette au chômage les trois ou quatre personnes qu’il a embauchées. En plus la collection tourne d’une autre manière, c’est à dire que moi avec mes 2 % de directeur de collection théoriquement je serai riche, mais depuis le début ça a toujours été réservé comme une caisse noire, un truc d’intervention lié au monde de l’écrit. C’est comme ça qu’on publie des livres d’atelier d’écriture, pour faire plaisir aux dix personnes qui ont écrit le bouquin, on publie des trucs pour les marches européennes, le DAL, on a aidé à produire un disque, un orchestre de musette avec le CNL, on va filer un peu de pognon a un groupe de rock qui sont un peu dans la panade. La collection Tourisme et Polar -ça veut rien dire- c’est des textes que j’avais dans des tiroirs, un texte de Jean François Villar, un texte de Michel Lebrun, c’est son dernier, ça aussi c’est payé là-dessus. On n’est pas attaquable. Et c’est pour ça qu’on peut se permettre de déconner.

C’est assez étonnant de te retrouver, toi qui es quelqu’un d’assez marginal, à la tête de ça...
Oui, enfin bon. Au début c’était par jeu, mais un jeu sérieux quand-même, parce qu’on voulait que ce soit publié, on voulait des belles couvertures, il y avait un concept. On avait dit à notre attaché de presse : tu ne t’adresses pas au Monde des livres, au cahier Livres de Libé, mais il a fait un boulot d’enfer au début alors peu à peu on s’est retrouvé en première ligne. Moi j’étais un peu coincé, parce que je n’aime pas tellement la médiatisation, mais comme il fallait défendre la possibilité à des auteurs de publier, j’étais obligé d’y aller, et après il suffit de faire deux ou trois télés et c’est parti... Mais bon, on s’est bien marré et puis le milieu du polar est un milieu qui tourne très fort. Par exemple, on a publié un Poulpe à Hervé Prudon, depuis il est directeur de collection chez Climats, il cherche d’autres textes, ça circule. Quand je reçois des manuscrits dont je ne sais pas quoi faire je dispatche. C’est la force du polar depuis 15 ans. Tout le monde dit : renouveau du polar, littérature du réel, ratata ratata, bien sûr, mais c’est surtout un milieu qui est soudé, qui bouge beaucoup. Il y a des festivals du polar, on va dans les écoles, dans les prisons, on travaille toujours avec une bibliothèque, une médiathèque, conférence machin, donc bizarrement on fait notre public aussi. J’ai des lecteurs réguliers, c’est des gens qui suivent patiemment, qu’on a rencontré, avec qui on a discuté un peu de ce qu’on essayait de faire, qui nous connaissent, qui voient qu’on n’est pas des écrivains, qu’on est des auteurs, qu’on ne se prend pas la tête et qu’on a le foie malade parce qu’à force...

Jusqu’où ira l’expérience du Poulpe ?
Jusqu’à ce que l’éditeur commence à paumer du pognon dessus, c’est à dire quand les ventes tombent à moins de 4 000 on arrête. Là on tient jusqu’en décembre. Le Poulpe s’arrêtera quand il devra s’arrêter, on n’est pas attaché viscéralement à ce personnage. Il y a le film qui sort en septembre octobre. Qu’il se plante ou ne se plante pas c’est pas notre problème.

Est-ce que la logique populaire du poulpe ne le porterait pas plus vers une logique de série télé ?
Oui bien sûr mais à la télé tu ne peux pas parler du temps, enfin tu peux parler de certains objets du temps, mais pas des objets idéologiques. Tu n’as pas encore le droit de parler de 68 à la télé, ils te le disent. Il y a des trucs qui passent de temps en temps, des références, mais tu ne peux pas bâtir un récit sur 68. La guerre d’Algérie, tout juste. Donc il faut compter sur 20-30 ans de retard sur les événements forts. Bon, effectivement tu peux parler de la drogue, des cités. Donc on a un malaise. En plus le jeu du Poulpe aurait été la même chose : à chaque fois des réalisateurs différents, peut-être même des acteurs différents pour jouer un personnage, parce que chacun le voit à sa manière. Donc tout ça eux, stop, au secours. Donc le cinéma s’en est emparé. Pas le cinéma d’auteur, un gros cinéma commercial.

Comment ça s’est passé pour le film ?
Avec Raynal on a trouvé l’histoire, il fallait que ce soit moi -j’aime pas ça écrire un scénario- parce que j’étais le seul qui avait lu tous les manuscrits, c’était pour éviter de prendre une histoire qui a déjà été traitée, puis après c’est Nicloux qui a vraiment fait le scénario et qui l’a réalisé. C’est Charles Dassault qui a produit ça, le film a coûté 4 milliards de centimes, c’est le gros truc avec des cargos, des explosions. Dassault il est intéressé par le personnage, ce qu’il va essayer de faire c’est un Rambo français : Poulpe I, Poulpe II. Il prend le personnage et il nous dit : "attendez, vous vous démerdez pour essayer de vendre entre 5 et 10 000 bouquins, moi il faut que j’intéresse 5 millions de personnes. Donc c’est radicalement différent". Simplement on garantit l’appartenance d’extrême gauche, c’est pas un discours comme dans les bouquins, c’est deux ou trois scènes, notamment une scène où il traverse un marché où il y a une candidate d’extrême droite genre madame Maigret qui fait son taf, alors qu’elle n’a rien à voir avec l’histoire et le poulpe prend un seau de sang de bœuf et il lui verse sur la tête, il y a des moments comme ça sur l’attache du personnage, mais ils ne jouent pas trop sur le champ libertaire parce que ce qui les intéresse c’est les 14-24 ans.

Et après le Poulpe ?
Ce qui s’est passé avec le succès de cette collection c’est que l’éditeur à envie de continuer. Il lancera immédiatement d’autres Scuds du genre. On s’attaque à la science fiction et à la littérature rose, avec Velours. On va essayer de faire du Harlequin, mais pas du sitcom, des vraies histoires modernes, avec des gens d’aujourd’hui... Pour les interventions qu’on fera après, je sais mieux comment procéder, je ne pense plus qu’il faut calculer les objets sur la longueur mais plutôt sur une précision, sur une série de 10 bouquins, en faire un objet complet où là on fera gaffe qu’il y ait une cohérence complète dans un projet.

Avec les mêmes auteurs ?
Non, on va varier un peu. Le premier Velours sera un Fajardie, une collection d’amour qui commence avec un Fajardie, c’est très très dur... Et puis il y aura pas mal de journalistes, et j’ai aussi trois ou quatre manuscrits d’inconnus, dont un très bon, mais là l’éditrice veut choisir les bouquins. Un des deux éditeurs a du mal avec le Poulpe, avec le fonctionnement, ça lui échappe, il ne comprend pas pourquoi je publie tout. Je lui dis : si on ne publie pas tout, ça s’écroule, c’est une collection comme une autre. Elle ne durera pas éternellement, mais il faut la sortir du champ normal de l’édition et après voir un peu comment réagir autrement. Pour les Velours ils vont choisir les bouquins, moi je m’en occupe pas. Macno, c’est moi qui est lancé l’idée mais c’est eux qui lisent et s’ils refusent le manuscrit d’un auteur que je connais je le lirai pour savoir si c’est vrai. Je ne fais pas confiance aux autres lecteurs...

 Macno, la collection de science fiction ne ressemble pas au Poulpe, les romans ont l’air différents les uns des autres...
Il y a un rendez-vous Macno, qui est une entité virtuelle, une boite à lettres, on ne sait pas trop. Ayerdhal essaie de donner une explication, mais elle ne sera pas suivie par les auteurs. Les histoires se passent toutes en 2068. La science fiction, tu ne peux pas barrer l’imaginaire des mecs... Ce qu’on voulait avec Macno, c’est rattraper toute une école de science fiction politique française qui a un peu disparue. Jean Marc Henning et Michel Jeury n’écrivent plus de science fiction, on aurait bien aimé, comme publier un Peulot, Brussolo s’il se remet à la science fiction. Il y a des types comme Bernard Blanc, toute la bande à Kesselring, dont on ne sait pas où ils sont passés, Andrevon qui encore est là. Bernard Blanc j’ai réussi à le dénicher, il cultive des fromages dans le Luberon, il me dit "Ah, j’aimerai bien, mais attends, oh, oh !". Des mecs comme Jean Marc Ligny sont apparus peu après. Mais c’est vrai qu’il y a toute une école, la grande époque où il y avait vraiment des auteurs, qui vont pouvoir venir se marrer, donc le truc c’est de les revoir et puis peut-être d’admettre des étrangers. Spinrad vit à moitié en France, Evangelisti, qui est paraît t-il le meilleur écrivain de science fiction en Italie, m’a téléphoné, il veut en faire un. Ça commence à bouger. Mizio, lui aussi va en faire un, c’est un jeune auteur, mais de talent, il en a fait un très bien : "la retraite à trente-cinq ans", c’est terrifiant. L’écolo-mutualisme...

En même temps les données ont énormément changées, il n’y a plus du tout le côté utopique qu’il y avait dans les années 70...
Je pense que ça va revenir, mais il faut générer les choses. Pour l’instant le champ littéraire est trop large, donc par exemple si on lançait notre collection agit-prop’ on ferait deux bouquins sur la sécu. Il y en aurait un qui serait le monde atroce des bureaux, une caricature de reportage du réel et puis il y aurait un bouquin utopique, avec quelqu’un qui dise ce que peut être la sécu, un système de protection. On va tenter de faire des collections plus pointues et plus rentre dedans avec des textes qui parlent d’aujourd’hui. Plutôt des textes d’intervention que de se renfermer encore dans le polar. Le champ du polar s’est fait sur le vide de la littérature blanche, le vide d’histoires. Depuis le structuralisme et la sémiologie, Pfffftt on réduit le champ de la littérature générale au champ analytique et à celui de la recherche. Celui du conte et celui de la fiction est resté largement ouvert et la littérature de genre s’est emparée de ça. Ce qui m’intéresse c’est de revenir à ce champ du réel, mais qui ne soit pas forcément polar, il faudrait peut-être trouver un autre nom, mais je crois qu’il y a quelque chose à faire. Pour moi, toujours dans la littérature populaire, parce que je ne suis pas Christian Bourgois. Des bouquins en gros pas cher, avec des couvertures en couleur, qu’on va remarquer, parce que minuit, POL, moi je ne peux pas, c’est pas mon champ, je n’y ferai rien et puis c’est aussi une manière de s’amuser.


Entretien paru dans Jade 15 © Lionel Tran, Markus Leicht & 6 Pieds Sous Terre, 1999 / Photos © Valérie Berge
Une autre interview de JB Pouy sur le site de Mano Solo