Colleen
Sous couvert de compositions où l’économie de moyen rivalise avec la sobriété de réalisation,  Colleen [Cecile Schoot] distille avec fragilité et retenue ses étamines mélodiques aériennes, éthérés et désuètes. Un air d’un autre temps qui portent en lui pourtant des promesses de renouveau et d’avenir radieux.

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INTERVIEW


l’insoutenable légèreté de l’air

Pardon d’y revenir. Peut-tu nous présenter dans les grandes lignes ton parcours ? te destinais-tu à composer ou est-ce un hasard heureux de la vie ?
J’ai eu mon premier choc musical avec les Beatles vers l’age de 14 ans, ce qui n’est pas très original, mais récemment j’ai regardé les dvds du coffret retraçant l’histoire des Beatles, et finalement j’aime toujours autant, voire plus car maintenant il me semble encore plus magique qu’ils aient réussi à faire tant de grands morceaux.
Les Beatles m’ont amenée à la guitare acoustique, que j’ai rapidement remplacée par une électrique, puis les Pixies, Sonic Youth et My Bloody Valentine m’ont amenée à mon premier (et unique) groupe, qu’on aurait pu qualifier de « quiet noisy pop » ou quelque chose du genre.
Les groupes suivants à avoir eu une influence sur moi, vers l’âge de 18 ans, ont été les Tindersticks et Low avec leurs premiers albums respectifs, puis à 19 ans une grosse claque avec le premier album de This Heat (sorti en 1977, donc découvert avec beaucoup de retard en ce qui me concerne – on était en 1995). Après ça plus rien n’a été pareil : à l’époque j’essayais de faire de la musique seule, j’avais découvert des musiques plus expérimentales, j’étais encore passionnée de guitare même si je tournais en rond, j’avais un quatre-pistes et rien d’autre, grâce au groupe dijonnais Ultra Milkmaids j’ai découvert le sample, sans pouvoir en utiliser moi-même à l’époque puisque je n’avais pas d’ordinateur et je n’y connaissais rien (sans compter qu’en 1995 il n’existait pas tous les logiciels d’aujourd’hui, et que les connections haut débit pour les télécharger gratuitement n’existaient pas). Bref, pendant deux ans, un gros passage à vide, alimenté par le choc This Heat (en gros, pourquoi faire de la musique quand cet album avait été fait, et en plus de ça en 1977).

Heureusement, j’ai déménagé à Paris en 1999, les médiathèques musicales et un cd plein de logiciels de musique donné par un ami m’ont permis de réaborder la musique de manière totalement différente, ça a été le début d’environ deux ans de travail sur ordinateur à base de samples qui ont finalement donné naissance à un 45T sur active suspension, puis le premier album sur Leaf.

Tu privilégies une instrumentation quelques peu inusités ? (Glokenspiel/ viole ) As-tu un attachement particulier à des sonorités authentique, avec une texture marquée ou est-ce la pratique  de certains de ces instruments qui les a imposé naturellement à l’écriture ?
Je n’ai pas de formation classique et à l’origine je ne suis que guitariste, mais par le biais des samples et de mon intérêt grandissant pour toutes sortes de musiques (« classique » au sens ultra large du terme, avec une prédilection pour le baroque et toutes les musiques de la fin du XIXème / première moitié du XXème siècle, musiques non européennes et en particulier d’asie du sud-est et d’indonésie, musiques de film, jazz.... et tout un tas d’autres choses plus pop ou au contraire plus étranges et marginales), j’ai développé une passion pour les instruments, en particulier acoustiques, et depuis trois ans environ tout l’argent que je gagne est réinvesti dans l’achat d’instruments.
Malheureusement pour moi je n’ai pas encore de viole de gambe, donc ce qu’on entend sur le nouvel album est un simple violoncelle, qui plus est avec une prise de son telle qu’il n’est pas toujours très reconnaissable (mais c’est une autre question).
 Il y a un tout petit peu de glockenspiel sur le disque, les deux autres instruments que l’on pourait prendre pour des glockenspiels sont en fait respectivement un glass harmonicon pour « the heart harmonicon » et une espèce de clavier à lames de type gamelan acheté à amsterdam (plus un instrument pour touriste qu’un véritable instrument) pour « mining in the rain ».
Le glass harmonicon est le plus intéressant des deux car il s’agit en fait d’un glockenspiel à lames de verre datant du début du 19ème siècle et appartenant à un ami (dont certains connaissent peut-être la musique d’ailleurs : il faisait partie du très beau duo Electroscope à la fin des années 1990) qui a été antiquaire dans le domaine de la musique mécanique entre autres. Il a un son cristallin vraiment magnifique.
La fabrication des instruments est un domaine qui me fascine et j’espère plus tard pouvoir me consacrer à la fabrication d’instruments, je trouve le « concept » merveilleux, du bois, des cordes, et l’on peut obtenir tellement de sons différents à partir de ces éléments communs…
Pour moi  il ne s’agit pas tellement d’une question d’authenticité, mais d’un choix esthétique : ce sont ces sons que j’aime, et à l’époque où je ne travaillais qu’avec des samples c’étaient déjà ces sons-là que j’utilisais.
Sur le deuxième album l’idée reste quand même que quasiment tout (le son, le jeu) est transformé par l’intermédiaire de l’ordinateur, qui permet des choses acoustiquement ou techniquement (en termes de jeu) impossibles.
Et j’ai l’intention d’aller encore plus loin sur le troisième album en termes d’utilisation d’instruments négligés dans la musique actuelle, tout en essayant de continuer à éviter l’écueil du néo-classique, qui ne m’intéresse pas.

Tu as sortie récemment ton deuxième album chez Leaf, comment as-tu lié contact avec eux ? Est-ce eux qui t’ont contacté ou as-tu envoyé une multitude de tes travaux à nombre de label ?
J’ai envoyé une démo qui correspondait de très près à ce qui est devenu le premier album, à plusieurs labels, leaf a répondu avec une proposition concrète, j’ai accepté.

Est-ce que cette stature internationale t’a offert une plus grande liberté dans tes choix artistiques et t’a t-elle apporté en parallèle une certaine forme d’assurance ?

Disons plutôt que ça m’a fait immensément plaisir que le premier album soit aussi bien reçu, aussi bien par la critique que par le public. Je me revois très bien à l’époque où je faisais des démos que je donnais à des amis qui ne réagissaient pas trop… Donc c’est un grand bonheur, de penser que des gens ont acheté mon disque et l’ont ramené chez eux, c’est un petit peu comme si je rendais visite à plein d’inconnu(e)s par l’intermédiaire de mon disque…
Mais je ne pense pas vraiment que l’assurance (si tant est qu’il s’agisse d’assurance) vienne de là. J’ai toujours pensé qu’il ne fallait pas attendre que quelqu’un dise que ce qu’on fait est bien pour y croire. Et effectivement si  j’avais attendu des encouragements pour envoyer ma démo, je n’aurais jamais rien envoyé, car personne ne m’a dit : tu devrais envoyer une démo. Donc plutôt que d’avoir de l’assurance, il s’agit d’être porté par sa passion.
Pour ce qui est du côté « international », c’est vrai que j’ai toujours eu à cœur de ne pas sortir des disques pour un public français ou –pire – parisien. Je n’ai rien contre les parisiens, j’habite à paris et dans l’ensemble j’y suis très bien, mais je ne fais pas de la musique à destination des gens d’une ville en particulier. Or aujourdh’ui la distribution est un peu « le nerf de la guerre » en termes de ventes et (avant même de parler de ventes) de disponibilité . Donc c’est vrai que pour ça Leaf est relativement bien placé, même si c’est loin d’être parfait.

Les retours sur tes disques sont plutôt éloquent. Un succès d’estime auquel tu t’attendais ?

 Je crois avoir déjà plus ou moins répondu dans la question précédente, mais non, je ne m’attendais à rien, je n’étais pas là et je ne suis toujours pas là à me dire que ce que je fais c’est génial, même si oui, j’y crois vraiment, et que par ailleurs je crois vraiment faire quelque chose de différent de ce qui se fait à l’heure actuelle. Encore plus avec le deuxième album qu’avec le premier.

Tes compositions et les atmosphères semblent plutôt bien reçu par la presse et le public ? quels sensations souhaitais-tu véhiculer précisément en composant ?

La seule chose qui me guide quand je fais un morceau, que ce soit pour un album ou pour jouer live, c’est qu’il faut que je ressente quelque chose en le jouant et / ou en l’entendant.
Généralement j’écoute les morceaux des dizaines de fois, c’est pour les travailler mais c’est aussi le meilleur moyen pour moi de vérifier que l’émotion que je ressens résiste aux écoutes. Si c’est bon pour moi, j’espère toujours que ce sera bon pour quelqu’un d’autre.
Je sais que certaines personnes trouvent ma musique triste, voire glauque, mais d’autres pas du tout.
Quant à moi je ne l’associe pas du tout à de la tristesse car je suis toujours super excitée et heureuse quand je fais un morceau et que je sens que c’est un «  bon » morceau.
Mais j’ai toujours du mal quand on me pose ce type de questions, car c’est justement la force de la musique que de nous faire ressentir des choses sans qu’on soit obligé de mettre des mots dessus.


Tu sembles très attachée à une ligne graphique sobre. Quelles relations intimes établies- tu entre ces supports visuels et ta musique.

Effectivement j’aime plutôt les choses sobres visuellement.
Florence Manlik avait fait un travail extraordinaire pour le premier album, deux ans plus tard j’aime toujours autant ce qu’elle a fait.
J’ai vécu la création du deuxième album de manière très différente, à la fois dans plus de stress dans la mesure où j’avais la fameuse pression du deuxième album, et en même temps en étant beaucoup plus épanouie puisqu’effectivement j’ai été « portée » par tout un ensemble de choses très positives dans ma vie en général.
En fait c’était un drôle de mélange : les gens attendent beaucoup de moi – c’est cool car avant personne n’attendait rien de moi,  mais c’est stressant car ils risquent d’être déçus. Je fais un album avec plein d’instruments – c’est cool parce que je ne l’ai jamais fait,  mais c’est stressant parce qu’il y  a des problèmes d’interprétation et d’enregistrement.
Au final, j’avais envie d’une esthétique différente car il me semble que malgré leurs liens, ces deux albums sont quand même très différents, et pour moi le deuxième est plus léger, et à mon avis, l’illustration d’Iker Spozio a vraiment cette qualité de pureté et de légèreté, et un côté un peu intemporel aussi. Iker est très influencé à la fois par l’Art Nouveau et par l’art psychédélique, mais cette illustration pourrait aussi être tirée d’un livre pour enfants, bref c’est un mélange que je trouve à la fois très doux et puissant visuellement.

Finalement, même si tu composes dans une large mesure via  d’ordinateur, cette aspect numérique/ informatique  semble être part négligeable dans le rendu musical… penses-tu que les nouvelles technologies sont difficilement maniable pour restituer une certaine forme d’humanité ou tout du moins de sensibilité ?

Pour être claire, disons que je ne supporte plus d’entendre exactement les mêmes sons et tics de production sur des albums d’artistes différents. Ce n’est pas un problème lié exclusivement et intrinsèquement aux musiques utilisant des technologies actuelles : après tout, c’est tout aussi énervant d’entendre plein de groupes de rock ou de pop qui ont exactement le même son et le même type de compositions. Donc pour moi le problème général est là, et il se trouve qu’il se pose bel et bien avec les musiques faites à partir de logiciels. D’abord ça a été des copies d’Autechre, ensuite ça a été au tour de Fennesz d’y passer …Je trouve ça vraiment triste.
Outre ce problème, il se trouve que la musique qui m’intéresse en ce moment n’est pas celle faite à partir de logiciels et est rarement le fait d’artistes actuels. Il y a tellement de chefs d’œuvre à écouter dans tant de domaines que j’avoue que oui, pour l’instant, ce sont ces centaines d’œuvres qui m’intéressent et pas de chercher désespéremment un truc qui me touche vraiment dans la production actuelle. Je me doute que ça fait un peu réac de parler comme ça, mais plus ça va et plus je me rends compte qu’il est bon de connaître les « classiques » (ce coup-ci au sens ultra large du terme), car ils le sont souvent avec raison, plutôt que de s’extasier sur des choses qui sont de pales copies du passé. Malheureusement aujourd’hui c’est valable dans plein de domaines musicaux, vu qu’on recycle à tout va…

De quels musiciens, artistes ou travaux te sens-tu proches ?

Tout dépend si on se limite aux musiciens actuels ! Dans les artistes actuels, j’aime vraiment des gens comme Anne Laplantine, Pierre Bastien, après je me prends parfois des claques en concert avec des gens qui objectivement parlant font des musiques très différentes de la mienne, comme Chris Corsano et Paul Flaherty qui font du free jazz – ce que je fais ce n’est pas du tout du free jazz, et pourtant je me sens proche de ça quelque part…Donc c’est vrai que j’ai un peu du mal à me situer par rapport à d’autres artistes.
Sur mon site internet j’ai une section qui s’appelle « colleen’s playground » où j’ai organisé une sorte de liste de toutes les choses, principalement musicales, que j’adore, et bon c’est très large, je vais le mettre à jour bientôt car chaque année ça s’élargit, mais bon, ça va de bach, satie, Pauline Oliveros ou Terry Riley. des compositeurs de musique électronique des années 50 et 60 à de la folk et pop des années 60, du jazz, des musiques non européennes – c’est vraiment trop large pour tout citer ici, mais disons qu’en fait je suis touchée par énormément d’artistes et de musique, mais ce sont rarement des artistes actuels.

Ton actualité à venir (Le mort aux vaches !!) ?

Des concerts à droite et à gauche, la sortie chez staalplaat dans leur série mort aux vaches d’une session radio enregistrée en septembre 2004, travailler mes instruments et en acquérir d’autres afin de commencer la préparation du troisième album !


 

> Rédaction
© Julien Jaffré [contact] | Jadeweb 2005