DONJON PEOPLE
cahier spécial de "L'Echo du Donjon"
n° 2. Invité : Joann Sfar
 
 
Joann et Lewis lors d'un festival Delcourt. 
Joann Sfar et Lewis Trondheim lors d'un festival Delcourt.
Rencontre avec Joann Sfar  

L'Echo du Donjon : "La réalisation de Donjon Crépuscule 102 t'as pris pas de mal de temps. Et à la sortie de l'album certains ont critiqué un peu
le fait que tu te sois éloigné graphiquement du 101..ça n'a pas
été un peu frustrant ?"
 
Joann Sfar : "Pas mal de temps, non, cet album a été dessiné vite, parce que les pages étaient prépubliées dans un quotidien belge et nous étions astreints à un rythme de travail extrèmement soutenu. Mais le changement de style graphique ne vient pas de là, j'ai toujours dessiné vite.

 
"Vous ne me croirez peut être pas, mais nos personnages font ce qu'ils veulent. On les laisse vivre leur vie et parfois, ils font des choses qui nous étonnent un peu, des choses qui ne se font pas dans une bd tout public. Mais on les laisse faire, on ne leur dit pas "hé! on est en access prime time, pas de sexe, pas de violence, pas de gros mots" 
 
L'équipe Donjon, version 1998...
Joann et Lewis en 1998. A l'époque l'équipe officielle de Donjon c'était juste eux deux.
Dans le premier album de Crépuscule, j'ai fait exprès de modifier mon style de dessin pour le rendre plus "accessible", plus "grand public". Je m'étais interdit de mettre trop de petits traits partout et je dessinais de façon soigneuse et pas forcément inspirée. J'ai fait ça parce que je voulais que les lecteurs soient contents, même les plus jeunes, même les moins cultivés. Mais ça s'appelle un peu faire la pute aussi, et ça me rendait malheureux. Dans le deuxième Crépuscule, j'ai voulu dessiner dans mon style, me faire plaisir. Je m'amuse beaucoup plus, je suis plus moi- même, il me semble que c'est un dessin plus original, plus intelligent, plus inventif.

si certains lecteurs aiment moins, je le regrette sincèrement, mais je dessine avant tout pour me faire plaisir. Si vous cherchez des dessinateurs qui ne vous surprennent jamais et qui vous font des livres comme des pantoufles confortables, laissez tomber Donjon.
 
J'ai tout de même un regret par rapport à cet album, c'est qu'il est trop court et que nous avons du laisser de côté pas mal d'idées qui auraient rendu l'histoire un peu moins hard boiled et un peu plus poétique, mais vous découvrirez tout ça avec le prochain album. Marvin Rouge est un punk ado, Le Roi Poussière et la petite chauve souris sont des personnages féériques, l'équilibre entre les deux est parfois délicat à trouver. " 

L'Echo du Donjon : "Ta méthode de travail avec Lewis sur le scénario évolue pas mal avec l'arrivée des dessinateurs de Monsters. Vous leur fournissez 
les histoires en textes ou sous forme dessinées ? " 

Joann Sfar : "Je donne du texte à Lewis et Lewis donne un storyboard au dessinateur. Nous fournissons également des sortes de fiches de personnages ou de décors. Avant ça, Lewis et moi discutons interminablement du contenu des albums." 

L'Echo du Donjon : "Pourrait ton imaginer un "Super Donjon" avec tous les dessinateurs qui se partageraient la tâche et les personnages ?" 

Joann Sfar : "Non. Mais il y aura des albums collectifs contenant des histoires courtes de dix pages chacune." 

L'Echo du Donjon :  "On a beaucoup parlé du ton des tomes -98 et 102 qui s'est révelé plus cru et incisif que celui de leur prédécesseurs. C'était une volonté de bien
démarquer Crépuscule et Potron Minet de la série Zénith ?" 

Joann Sfar: "Non. Zénith peut être très dur aussi. Vous ne me croirez peut être pas, mais nos personnages font ce qu'ils veulent. On les laisse vivre leur vie et parfois, ils font des choses qui nous étonnent un peu, des choses qui ne se font pas dans une bd tout public. Mais on les laisse faire, on ne leur dit pas "hé! on est en access prime time, pas de sexe, pas de violence, pas de gros mots". Nous n'avons aucune intention de tirer donjon vers des choses trop dures ou au contraire trop burlesques, nous essayons vraiment de faire des choses surprenantes, ça veut dire qui nous surprennent nous mêmes. là encore, si vous voulez une série où tous les albums se ressemblent, par pitié, ne lisez plus Donjon. " 

L'Echo du Donjon : "Donjon existe depuis maintenant 3 ans, tout c'est déroulé selon vos plans ou si c'était à refaire tu changerais quelque chose ? " 

Joann Sfar : "Non, on s'éclate. Dans un premier temps, le projet Donjon avait été présenté aux éditions Dupuis qui nous avaient répondu que "ça ne se vendrait jamais parce qu'on se faisait trop plaisir et que quand on veut faire une bd tout public, il ne faut pas bousculer le lecteur", Bon, hébin trois ans après ça se vend grave et il semble qu'on soit en train de prouver par l'exemple que le lecteur de bandes dessinées est moins con qu'on le dit et que quand les auteurs s'amusent, leur plaisir peut être communicatif. C'est une chance immense de bosser avec un type comme Lewis, et le fait d'inviter tous nos copains pour délirer avec nous, c'est génial." 

Entretien réalisé par Morgan pour "L'Echo du Donjon" (c) mai 2001 Donjonland
Archives : Lewis Trondheim