Péplum

Blutch

éditions Cornélius 1997, Collection Solange.
ISBN 90-9990-33-8

Partiellement pré publié dans (à Suivre), n°220 à 224 (Voir en bas de document l'avis de l'auteur sur cette pré-publication).



"Péplum" n'est pas une histoire facile à cerner... Sous forme d'épisodes, dans (A Suivre), j'avais été fasciné par la fulgurance et la cruauté de certains chapitres isolés, mais je n'avais pas cherché à relier le tout. En le lisant  en album, la première fois, j'avais eu l'impression  de ne pas avoir assez prêté d'attention à l'œuvre pour qu'elle me parle. Ce n'est qu'après une seconde et une troisième lecture que j'ai commencé à percevoir la complexité presque cabalistique de l'entreprise. Sa dimension "littéraire"... Je crains malheureusement qu'elle ne passe inaperçue pour beaucoup. 

Premier chapitre; en deux séquences, les prémisses du récit sont posées : un noble Romain exilé dans des régions arctiques, participe à la découverte d'une momie congelée, que ses compagnons croient vivante sous sa nappe de glace. A Rome, le frère du noble romain, et d'autres sénateurs assassinent César,  pour abus d'autorité.

Les dialogues parodient avec beaucoup de spontanéité (ce qui est déjà un exploit) les tournures imagées et ampoulées de la langue de Pétrone. Mais dés le début du deuxième chapitre, le tir semble être rectifié :
un "Ta gueule ! " plus vrai que nature vient  ponctuer le premier discours.  
Il y a des signes qui ne trompent pas... Blutch, dans ce deuxième chapitre est  en pleine crise de feuilletonisme : il a déjà une folle envie de faire taire et de liquider son protagoniste principal.
D'ailleurs la carriole qui transporte la momie prend le large, et en deux coups de cuillères à pot, Publius Cimber est mort, l'autre type est mort, et ne reste plus qu'un jeune homme ahuri qui se couche de tout son long sur le bloc de glace et se met à forniquer l'image emprisonnée... Arrive une patrouille armée...
Le mode de narration est purement feuilletonesque, les ellipses sont   abruptes,mêmes explosives : chapitre 4, déjà, on sort de piste. L'épisode raconte une sorte de rêve sans continuité, fait de bribes incohérentes avec de la violence, de la terreur, une espèce de lumière blanche éblouissante... Beau morceau de narration onirique, mais pas très encourageant pour qui avait déjà peiné à suivre le fil du récit. Et au lieu de tout expliquer, le chapitre cinq nous plonge en pleine action, bien plus tard, avec une vague allusion aux péripéties intermédiaires.

C'est ici pour moi, qu'à la première lecture, j'avais cessé d'investir l'histoire, pour me laisser porter par les images.  Mais c'était manquer la véritable entreprise de Blutch. Il y a un défi dans ce livre, que Blutch n'affiche pas du tout clairement, et qui nous propose de lire son travail à la lumière de Pétrone (et peut-être d'autres auteurs latins que je ne suis pas capable d'identifier).  Il y a un "ailleurs" de l'histoire, des références textuelles, des emprunts de tournures de phrases ou de phrases entières qui montrent qu'un second degré probablement très riche    travaille sous l'œuvre.  Mes souvenirs du Satyricon de Pétrone sont malheureusement très lointains,  mais au bout de la troisième lecture, j'ai fini par me remémorer à quel point la structure narrative du Satyricon est étrange, disloquée, avec de longues séquences très détaillées, puis des zones très fragmentaires (et, effectivement, je crois me souvenir  d'une scène de naufrage suivie d'ellipses incompréhensibles).  Péplum  serait donc moins habituellement feuilletonesque que prévu. Ça commence comme un feuilleton, mais  l'articulation de la "phrase du récit" sa structure générale est volontairement  attaquée et rongée, pour l'amener à ressembler à un récit partiellement mangé par le temps. En ce sens, Péplum est une véritable" contre-façon", une fausse antiquité, qui a en plus l'élégance de ne pas se claironner telle (rien de Kitsch, à aucune endroit, d'ailleurs).

Il y a plusieurs grands précédents à ce type de travail (je songe au "Sot-Weed Factor, de John Barth, au "Mason and Dixon" de Pynchon, au "Maggot" de John Fowles), mais le plus beau parallèle est sans doute à trouver entre l'oeuvre de Alain Resnais et celle de Milton Caniff. On se souvient peut-être(1) que Resnais avait lu Caniff par fragments, avec une chronologie extrêmement erratique et perturbée, et il a expliqué que ce mode de lecture avait considérablement influencé sa propre esthétique narrative.
Voilà donc...."Péplum". Une très étrange expérience de mimétisme savant, un artefact littéraire absolument brillant., une merveille de dessin.

T.Smolderen

(1) Je rigole, ça se trouve dans mon livre sur Caniff, "Images de Chine" introuvable depuis très longtemps: Resnais y expliquait son rapport à Caniff.


L'exil.


La mort de César...


Une scène de lutte que n'aurait sans doute pas désavoué le grand Will Eisner



Publius Cimber va être jeté à la mer par des marchands qui en veulent à son trésor. Une attaque de pirates le sauve in extremis.

A propos de la prépublication de Peplum dans le mensuel (à Suivre), ce commentaire de Blutch dans son interview accordée à Jade : "Le problème, c'est que les planches rendues faisaient royalement chier les gens de (à suivre) et qu'ils ont tout fait pour que Peplum passe le plus vite possible, que ça ne dure pas des mois. Les parties du récit où il n'y a pas de texte sont passées à la trappe et des pages ont été ôtées de façon arbitraire".
(à noter, le journal était alors sur sa fin ce qui a entraîné une politique éditoriale plutôt chaotique).