La tournée a bien eue lieu. Dogbowl a ensuite enregistré en 1998 The Zeppelin Record, édité par Lithium et distribué par Labels. C'est sans doute la première fois que du temps et de l'argent ont été dépensés sur un disque du new-yorkais, en rupture de ban avec Shimmy Disc. Pour la première fois aussi, il a bénéficié d'une distribution convenable en France. Malgré un bon accueil critique et quelques premières parties parisiennes (Babybird, Elliott Smith...), les ventes sont très en-dessous des espérances. Livré à lui-même, Dogbowl publie Fantastic Carburator Man, un album dont il grave chaque exemplaire sur son ordinateur et qu'il vend exclusivement sur son [site internet]. Un label belge 62 TV, a également l'idée d'une compilation qui voit le jour sous le titre Best of Dogbowl volume II. Dans le 13ème arrondissement, non loin du lieu de notre première rencontre, on retrouve Dogbowl en 2002, cigare aux lèvres, en exclusivité pour le jadeweb.

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DOGBOWL


Second round : où l'on apprend que le Zeppelin rapporte moins d'argent que le Titanic et que les acheminements sont plus sûrs en Belgique qu'au Japon.

Que s'est-il passé depuis notre dernière rencontre ?
J'ai publié deux albums depuis : The Zeppelin Record, à nouveau sur Lithium, et Fantastic Carburator Man, sur mon propre label, à New York. Je l'ai enregistré dans mon appartement. Un label en Belgique, 62 TV, a également eu l'idée de publier un best-of. Comme tu peux voir, je n'ai pas chômé.

Comment a marché The Zeppelin Record ?
Tu as déjà vu une photo du Hindenburg ? Je crois que Led Zeppelin a repris l'image de son crash pour la pochette de son premier album (rires). J'ai eu de bonnes critiques dans la presse. Il est toujours disponible... C'est un disque que j'ai pris beaucoup de plaisir à faire, comme j'ai pris beaucoup de plaisir à le présenter en tournée. Le plaisir, c'est mon moteur. Si ce n'est pas une partie de plaisir, alors autant ne pas le faire.

Comment es-tu venu à monter ton propre label ?
Vu que mes disques ne se vendent pas très bien, je me suis demandé pourquoi il fallait que je passe par toute une série d'intermédiaires pour publier un album. Tous les efforts qui avaient été fait jusqu'ici, que ce soit au niveau artistique ou de la distribution, ne m'ont conduit qu'à des résultats très faibles. Alors j'ai pensé que grâce à l'évolution de la technologie, je pouvais désormais vendre directement mes disques à ceux que ça intéresse. Alors j'ai décidé de graver moi-même mes disques, c'est aussi simple que ça. C'était une expérience, et j'espère que ceux qui y ont pris part en achetant le disque l'ont appréciée.
Trouver une nouvelle maison de disques aurait été un challenge impossible. Je ne me fais pas d'illusion : j'ai tout intérêt à jouer profil bas actuellement vu le nombre de disques que je vends. Tous ceux qui ont publié mes disques jusqu'ici l'ont fait parce qu'ils me connaissaient personnellement. Je n'ai jamais eu à envoyer de démos.

Même pour ton premier disque ?
Non. Je connaissais déjà Kramer. Nous avons enregistré le premier disque de King Missile (Dog Fly Religion) dans son studio à New York, et il est venu nous voir à la fin pour nous dire : "En fait, je crée mon propre label, si vous voulez, je sors votre disque". C'est comme ça que je l'ai connu.

Quand tu repenses au Zeppelin Record, disque qui a été distribué par une major, quelle leçon en tires-tu ?
J'ai été traité comme un roi pendant un mois. J'allais au studio de la Seine, je travaillais avec des excellents musiciens, un excellent ingénieur du son. J'ai eu au moins une fois dans ma vie la chance de connaître ça. Une expérience géniale : chacun faisait exactement ce que je lui disais de faire. Ce dont je garde le meilleur souvenir, c'est l'enregistrement en lui-même. J'ai donné quelques bons concerts. Nous avons joué en première partie de Elliott Smith à l'Élysée Montmartre, c'était très agréable. Le public était très attentif.

Comment as-tu vécu le fait qu'il ne soit pas bien vendu ?
Je l'ai pris avec cynisme. Si je l'avais mal pris, j'aurai arrêté les frais juste après. Évidemment, si je fais le bilan, je suis déçu par ma carrière parce que je n'ai jamais obtenu de reconnaissance. Je me retrouve aujourd'hui exactement au même point que quand j'ai commencé il y a 20 ans.
Depuis, je n'ai pas été foutu de gagner ma vie grâce à la musique. En 95, quand nous avons pas mal tourné, j'ai gagné un peu d'argent. Mais c'est le problème quand tu ne vends pas de disques : il faut bien que tu te nourrisses. Alors il faut continuer, même si tu sais que ce n'est pas comme ça que tu vas gagner ta croûte.

Quand tu le réécoutes aujourd'hui, qu'est-ce que tu penses de ce disque ?
Je n'étais pas d'accord avec la maison de disques au sujet du single. Elle voulait Follow My Roving Eyeball alors que je n'en voulais même pas sur l'album. Moi, j'avais choisi Womanizer, et je voulais une photo de Bill Clinton sur la pochette (rires). Non, je plaisante. Je ne sais pas pourquoi il ne s'est pas bien vendu. Mais ce sont les quelques-uns qui l'ont acheté qui comptent pour moi. Au niveau de la promotion, je n'ai pas eu à me plaindre. J'ai eu les honneurs des Inrockuptibles 5 semaines d'affilée. Ensuite, pourquoi un disque se vend ou ne se vend pas, c'est mystérieux.
Peut-être que si Womanizer avait été le single, j'en aurais vendu encore moins (rires). De toute façon, un artiste ne doit pas se miner au sujet des ventes. Quand tu as envie de faire un disque, tu trouves toujours un moyen d'arriver à tes fins, même si c'est en le pressant toi-même : ce que j'ai fait.
La plupart des groupes n'ont pas connu la moitié de ce que j'ai eu le chance de vivre. J'ai tourné dans le monde entier, j'ai publié quelque chose comme 13 disques, je suis allé jouer au Japon... Je ne crois pas que mes disques se vendront un jour. Il n'y a aucune demande. Alors ce n'est pas très important, sauf pour moi et les quelques-uns qui s'intéressent à ce que je fais. La plupart de ceux qui apprécient mes disques sont aussi auteur / compositeur ou musicien. Tous ceux qui m'écrivent ou viennent me voir après avoir acheté un de mes disques finissent par me parler de leur groupe (rires).

Et combien d'exemplaires de Carburator as-tu vendu ?
Deux cents, mais la différence avec tous mes autres disques, c'est que sur celui-ci j'ai perçu l'intégralité du prix de vente. De façon assez paradoxale, j'ai gagné plus d'argent avec ce disque qu'avec n'importe quel autre. Si Shimmy Disc m'avait payé des droits d'auteur, j'aurai pu gagner un peu de sous. Mais je n'ai jamais rien reçu de leur part. Un artiste devrait toujours veiller à se faire payer par contre (rires). Pas forcément des fortunes, mais au moins quelque chose. Trop de gens travaillent pour rien Aux Etats-Unis. En tout cas, beaucoup de salles de concert te font comprendre qu'elles te font un super cadeau en te laissant jouer chez elles, tout ça pour justifier le fait qu'elles ne te donnent pas un rond.

Quelle a été ta réaction quand 62 TV t'a contacté au sujet d'un best-of ?
La personne qui s'occupe de ce label était mon promoteur sur la Belgique. Le jour où j'ai joué au festival de Dour, il m'a fait remarquer que mes disques étaient difficiles à trouver en Europe, alors je lui ai proposé de s'en occuper. Il a lancé cette idée de compilation, et nous avons tous les deux éclaté de rire tellement c'était insensé. Peut-être que finalement ce n'était pas aussi insensé que ça.

Pourquoi s'appelle t-il Volume II ?
Un label japonais a publié un volume I, mais je n'en ai jamais vu le moindre exemplaire. Le mec qui s'occupe du label a eu un accident de voiture pendant qu'il traversait un pont, et tous les exemplaires sont tombés à l'eau. Je ne sais même pas à quoi ressemble le disque, je ne sais pas les morceaux qui sont dessus... c'est surréaliste. Tout est parti au fond du port de Tokyo, y compris les bandes master. Je n'y arrive même pas à y croire. C'est l'histoire officielle (rires). J'ai entendu dire que les crocodiles avaient déjà attaqué une partie du stock...

Mais tu n'as même pas donné ton accord ?
C'est flou. Je me souviens vaguement, un soir où j'avais beaucoup bu, qu'on m'a demandé de signer au bas d'un papier, et quand j'ai eu terminé, j'ai demandé pourquoi c'était, et on m'a répondu que je venais de donner mon accord à un best-of Dogbowl volume I. Je ne connais même pas l'ordre des morceaux. Peut-être que c'est le même que sur le volume II...

Et maintenant, que comptes-tu faire ?
Continuer à écrire des chansons, parce que j'aime ça. J'écris un livre pour les enfants, j'ai pratiquement terminé. J'ai écrit la suite de Flan, mon roman, mais l'éditeur n'en a pas voulu. J'ai d'autres projets de roman, comme celui d'un homme qui est obsédé par les jeux vidéos, ou celui d'un enfant qui vit sur la lune. Je vais essayer de trouver un éditeur pour tous ces projets.

Retrouvez Stephen Tunney sur son site [www.dogbowl.com]
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Entretien © Philippe Dumez/ jadeweb, 1995/2002
Photos © Philippe Dumez
Les photos d'intérieurs ont été prise dans l'appartement de Dogbowl à New York.