À l’heure où la pluralité culturelle bat de l’aile, où elle est remise en question par les instances politiques, à l’heure où les intermittents du spectacle sont mis au banc de la société -persona non grata d’une logique qui s’enfonce toujours plus dans le rationalisme et la logique économique- il est toujours salutaire de s’attarder sur ceux qui rendent nos journées belles et différentes, au besoin d’amplifier leur voix. Juste retour de choses si l’on considère toute l’humanité, le bonheur et le rire qu’ils nous offrent.
Loin d’un humour markété télé, dans une constante remise en cause humaine, technique et financière, la compagnie D œuvre pour la paix des ménages avec le rire comme adage. Sans prétention ni solennité, ils stigmatisent au détour de leurs spectacles de rue les errances de nos sociétés. Une trash culture où kitch, standard désuets et cynisme se mêlent dans un beau bordel organisé. That’s entertainement !!!!!!
Compagnie D

JadeWeb : Dans votre approche, qu’est-ce qui vous différencie d’autres compagnies de Théâtre de rue ?
Mis à part le fait que nous avons les moyens de nous payer le capitonnage en moumoute orange de la porte de notre bureau, je dirais que c’est d’avoir choisi la parodie du quotidien sur un ton humoristique. Cela ressemble beaucoup plus à du sketch et du canular qu’à du théâtre, même de rue. De toute manière, l’expression "théâtre de rue" est devenue un fourre-tout qui n’a plus grand sens… Sinon, il y a le choix d’une moquette violette, toujours dans notre bureau !

La genèse du projet ? Présentation actuelle du groupe ?
On était un club des cinq, totalement désœuvré, et on s’est mis à singer d’une manière totalement croûteuse Jean Louis 2000 et son équipe en ressuscitant Yannick Chevalier (grand mentor du deejaying à la française) pour une soirée privée et pour une série d’émissions pirates sur radio Béton. Et le jour où on nous a proposé de nous payer pour une intervention, on s’est dit que les comiques c’étaient peut-être pas nous ! De plus, on avait tous envie de faire des conneries… Pour reprendre les Fabulous Troubadours, " ma ville est le plus grand parc d’attraction "… donc autant en profiter ! Sinon, de cinq personnes et de mon placard à balai pour stocker notre matériel nous en sommes maintenant à une vingtaine d’intervenants aux compétences variées et à la présence plus ou moins régulière. Ce qui est important pour nous est que tout ça doit rester avant tout un plaisir. Pour certains, c’est un hobby occasionnel. Nous ne sommes pas des comédiens professionnels et ne voulons pas l’être. Pour résumer c’est une plate-forme, une structure pour essayer de réaliser certaines envies. D’ailleurs, on va essayer de diversifier nos activités en essayant de lancer des soirées avec des concerts, des perfs et surtout travailler sur l’ouverture musicale.

Quels sont les différents thèmes de vos spectacles ?
À l’heure actuelle on travaille sur "Vigie pirate" qui est une équipe d’agents de sécurité qui protège de tout et n’importe quoi et qui mêle l’univers des pirates, celui des forces de l’ordre et celui des milices privées. Sinon l’autre intervention phare est "Les Explorateurs" qui se décline en plusieurs versions. En gros, c’est une équipe de colonialistes qui découvre une nouvelle terre et qui essaie d’en tirer le meilleur parti en exploitant son prochain en toute bonne foi. On a aussi des faux présentateurs radio et Michel Delbiche. On a fait plusieurs créations à caractère unique pour des événements donnés. Par exemple, on avait organisé un grand téléthon pour repeupler les pays en voie de vieillissement avec le parrainage d’une fausse star du porno qui voulait se racheter une conduite en faisant de l’humanitaire ! Suite au largage des dons par canadair, l’Italie du Nord va beaucoup mieux…

Qui est Michel Delbiche ? Il a, paraît-il, fait des premières parties plus que prometteuses ?
Michel Delbiche, chanteur de variété pour femmes, est un personnage qui essaie de sortir actuellement la musique de son inertie créatrice. Il n’est pas italien mais berrichon car né à Sancoing (le plus grand marché au bestiaux d’Europe !). À son palmarès, entre autres, il a en effet la première partie de Richard Gotainer, la première partie des Roller Coaster, de Salmonella Dub et un happening-hommage à Franck Mickael au palais des congrès de Tours. Il a choisi d’explorer en concert la formule Tube-Repride-Reprise du tube. Si vous voulez en entendre plus, allez jetez une oreille sur le site.

Quelles relations cherchez-vous à établir avec le public ?
Tout simplement s’amuser avec eux mais quand même avec l’idée de s’interroger sur ce qui les entoure, le vrai et le faux, sur les représentations que l’on peut avoir de choses banales. Mais pour être totalement honnête, on réalise des choses qui ne sont rien d’autre que de vastes conneries ! !

Quel pourrait-être le fil d’Ariane reliant chacune de vos performances ?
La parodie, la dérision du quotidien (la sécurité, le star-system, la peur de l’autre, les grandes messes festives…) ; bref des choses que j'ai déjà citées un peu plus haut.

De quelles manières dosez-vous la proportion d’improvisation et de "séquences travaillées" au sein de vos interventions ?
Salaud ! T’as pas fini avec tes questions qui dérangent ! Les interventions sont calées en terme de scénario, de fil conducteur mais nous travaillons tous en dehors de la compagnie. Ce qui fait que nous répétons peu à chaque fois. Nous construisons nos personnages à force de faire, avec l’expérience. Comme je l’ai déjà dit, nous ne sommes pas comédiens et ne voulons pas spécialement l’être. Ce qui est aussi un avantage car on conserve une certaine naïveté et on est prêt à faire beaucoup de choses ! Mais nous avons prévu pour cet hiver de travailler sur deux spectacles en répétant certaines séquences clés de manière régulière.

Cela ne favorise-t-il pas la schizophrénie de simuler autant de personnages différents ?
Non ! bien au contraire parce que ça me permet de faire et dire des choses, de détourner des lieux et des situations. Beaucoup de choses que je ne pourrais pas faire dans mon quotidien ! Récemment, je me suis éclaté à déambuler juste en pagne, en bon sauvage, dans les rues de Poitiers, à rentrer dans les magasins, à arrêter et dompter un bus, à piquer des choses aux gens, etc. Bref s’octroyer la possibilité de faire quelque chose qui n’est pas conventionnel mais qui n’est pas non plus super incroyable, c’est peut être ça la subversion pour anticiper la question suivante car faisons tomber les masques ! Cette interview n’est pas en direct comme les lecteurs pourraient le croire ! Faites tomber le voile de l’hypocrisie M. Jaffré ! ! ! Non, pardon je m’emballe…

Vous vous permettez des actes assez osés, comme ce Père Noël raide bourré, grabataire sniffeur invétéré de coke, entouré de gogo danseurs S.M. en string et d'un élan mutant…
Dis-moi pas que tu n’en as jamais rêvé ? ! Non, c’est pas spécialement osé… Là où ça serait osé c’est de le faire dans une rue piétonne ou une galerie commerçante ! On va sûrement le faire ! d’une manière générale c’est les plans comme ça, les happenings, qui sont les plus riches parce que ça perturbe l’ordre des choses.

Est-il bon d’être désinhibé, voire de mettre au placard son amour propre pour intégrer la compagnie D ?
Je dirais que c’est bon pour tout le monde ! Je voudrais que le monde soit un goûter d’anniversaire permanent avec les Bisounours, Noël Godin et Kiss comme animateurs ! ! Par contre, évitez que Ian McKay s’occupe du buffet, merci !

Quels échos vous renvoient les gens de votre spectacle ?
Que nous les faisons rigoler ! Même si c’est parfois sans prétention.

Quels sont les activistes de votre région ?
Sans faire slogan du conseil général mais la Touraine c’est bien ; vivre ailleurs ça craint ! (je ne suis peut être pas totalement objectif !). C’est une ville très riche culturellement depuis de nombreuses années. Je ne citerai personne pour ne fâcher personne. Bon, il manque quand même un lieu de concert et de fête de taille moyenne.

Trouvez un slogan définissant au mieux la compagnie ?
"On l’a fait !… Et alors ?".

Le site de la compagnie D


Entretien & photos © Julien Jaffré 2002