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Entretiens

  JadeWeb chroniques #10
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LES ENTRETIENS
. Bip-Hop .
. Travaux Publics .
. Mathieu Malon .
. Arbouse Rec .
. Active Suspension .

. Osaka .

À LA LOUPE

CHRONIQUES 2003

 
 
 
 
 

CAVIL Laughing in the morning (Acétone/ Pop Lane)
Rendue obsolète par une décennie de travail de bureau, la main de Cavil revient à la vie dès lors qu’elle se trouve à portée d’une guitare. Ami et confident de Gnac et Quigley (The Mongolfier brothers), il a su faire son deuil de sa timidité et sortir de l’ombre, enfin s’exposer au monde. C’est une fois encore Acétone, label au nez fin dans le domaine des perles pop qui lui offre l’occasion de dévoiler les plus confinés sentiments qui l’habitent, les parts de mystère sur lesquels il lève le voile.
On est touché par sa poésie, son humanité, sa sensibilité à faire des bribes du quotidien de belles et subtiles litanies. La patine du temps dissimule à la longue les bas-reliefs de nos désirs, de nos peurs. Cavil oxyde ce dépôt, fait sauter cette couche.
C’est dans la sobriété la plus nue, la plus désintéressée que cet album a été enfanté. Cavil porte chaque parole, chaque note, chaque mot comme si sa voix pouvait s’éteindre subitement.
Le dénuement des textes, leur charge émotive, l’aspect vulnérable des compositions, les vertus mélodiques de l’ensemble confèrent à cet album une place privilégiée, exclusive, aux côtés de Dominique A et Bill Pritchard, frères de sons de Cavil, quitte à délaisser un temps les incontournables de sa discothèque, quitte aussi à voir sa sensibilité défaillir. Neuf oraisons funèbres d’une grande beauté.
JJ.

 
 
 
 

CAMPING CAR s/t (Travaux Publics)
C’est armé d’une lotion solaire indice 42, d’une bonne paire d’espadrilles bleu délavé ; propice à la déambulation dans le village de tentes et d’un corollaire de détails touchants : des poils pelviens du voisin sur la savonnette commune jusqu’aux rations de frites tièdes au self du camping, que doit s’appréhender ce premier jet créatif de Camping Car, duo dévoué au farniente estival et à l’inaction résolue.
Six titres comme autant de cartes postales sonores de ce à quoi devraient ressembler toutes bonnes vacances qui se respectent : de la baise au fond de la caravane à l’absorption irraisonnée de Ricard par 40° Celsius et le soleil au zénith.
Et de nous rappeler que le concept du camping car se résume à cette articulation simple mais ô combien réfléchie : avoir partout avec soi sa maison / se sentir chez soi partout.

Chemin faisant, Camping Car devient à son corps défendant l’ambassadeur de charme d’une culture de masse ou l’on n’omettra pas de mentionner l’éventail des accessoires qui accompagne ce disque : Parasol, tongs tricolores, Ricard, pliant, RTL, pétanque, grosses têtes, bronzage camionneur, tour de France, bière chaude et gros beaufs. À cet inventaire pictural à la Prévert se soustrait un inventaire plus intime, évocation jouissive et dansante des congés, à cheval entre les productions de Console, la hargne communicative de Peaches voire Cheeks on speed, de spoken words à la Sophie Calle, d’easy-listening nostalgique, d’une voix grave à la Jeanne Moreau, d’électro cheap et engageante, de bossa nova languissante, sans oublier les solos de synthé pourraves, Blondie, Portishead, Jackie Quartz, Lali Puna… le tout sur fond de duos à la Élie et Jacno.
Fraîcheur, provocation et diabète… Sea, sex and sun…
Six morceaux pour six tubes, soit le sans faute absolu du petit label qui monte, qui monte, le bien nommé Travaux Publics.
JJ.

 
 
 
 

POST OFFICE Telegraph (Logistic records/La Baleine)
Même si Post-office se révèle une compilation intéressante à bien des égards on est face à un manque total de lisibilité de la thématique, qui perturbe, puis finit par déstabiliser. Chacun des intervenants s'embrigade dans un dédale de détails, de faux-fuyants qui laissent un peu perplexe.
On passe ainsi d’un morceau house à un élan de pure électronique, d’une vague techno de Détroit, on retombe sur un morceau lounge. Etc. Une auberge espagnole de style qui gagnerait un peu à être ordonnée. Mention spéciale à Ark et aux vieux DJ’s.
Avec Ark, Akufen, Ben Nevile, cabane Daniel Bell, Ricardo Vilalobos, Robert Hood.
JJ.

 
 
 
 

DAVID WHITAKER The David Whitaker songbook (Tricatel/ Wagram)
Les historiens incarnent la mémoire trop courte des hommes. C’est sans doute la réflexion qu’a dû formuler Bertrand Burgalat en allumant son poste radio un matin d’été 94, en découvrant les arrangements de David Whitaker pour le Rolling Stone song’s book, spoliés par les gringalets de The Verve à l’occasion de leur tube. Quelques procès et années plus tard, les animosités semblent s’être assagies et les choses rentrées dans l’ordre, si ce n’est, si ce n’est que David Whitaker n’a jamais fait l’objet d’un hommage à la hauteur de son talent.
Le compositeur évoluant toujours dans l’ombre, confortable réconfort pour un homme qui nous avait tant habitué à la discrétion.
Chef d’orchestre et arrangeur, l’orientation professionnelle, passionnelle de Whitaker a semble-t-il trouvé deux orientations au cours de son existence : un axe symphonique, majeur, atemporel, bâti autour d’orchestrations luxuriantes de films à la manière de John Barry / Maurice Jarre / Ennio Morricone où les sections à cordes viennent tirailler les sections à vents.

À bien y réfléchir, jamais auteur n’aura su lier avec une telle cohésion intensité visuelle et tension auditive, la composition devenant le temps d’une séquence l’écho de l’image, son reflet fidèle.
Un autre axe, plus en osmose avec son époque, marqué par les harmonies de son temps, lui aura offert la promiscuité de grand noms de la musique. De Nico à Lee Hazelwood, de France Gall aux Stones, en passant par Air et Long Cris, tous auront trouvé dans ce compositeur un serviteur révérencieux de leur talent, un gardien de l’identité de leurs morceaux.
Deux facettes complémentaires d’un talent hors normes. MAGNIFIQUE.
JJ.

 
 
 
 

INFORMATION Biomekano
(Rune Grammophon/ECM)
Ash int avait déjà affranchi Disinformation, c’est à présent au tour de Rune Grammophon de dévoiler Information.
Biomekano est l’aboutissement technique, intellectuel, auditif d’un travail entamé sur Artifacts et successor, projet exaltant oscillant entre musique et hasard, paru sur l’intègre label Tromso beat Service, du nom de la ville qui les a vus grandir.
Pour communiquer, il suffit d’être deux ; de ce constat enfantin, ils ont construit une vaste imagerie complexe, bâtie de manière exclusive autour de l’électronique. Plus appropriée que le terme galvaudé d’ambient-arctique, leur musique, d’expression atmosphérique rappelle de façon plus claire l’aurore boréale, scène isolée de chaleur et de beauté abstraite au centre d’une aridité froide.
Les deux compositeurs ont sans doute dû tracer une diagonale et partager ainsi une culture en mouvement, technologique, qui trouve une épaisseur, une profondeur de circonstance dans l’approche environnementale de leurs sons, échos lointains des régions où ils vivent. Auparavant, la culture se transmettait par le biais de contes, historiettes, racontars, le chant est à présent instrumental.
Information compose une pièce riche de détails, subtilement isolationniste à mi-chemin entre les trames sonores de Phonophani et la tension de Biosphère. Paradoxe, c’est dans la rétention des données que les compositions étirées acquièrent le plus splendide des mutismes, un autisme spectral.
Rune grammophon, dernier conteur électronique ?
JJ.

 
 
 
 

DELAY MAKES ME NERVOUS V/a (Karaté-Joe/ Metamkine)
Tout d’abord, ne pas se fier à l’effet d’annonce du titre, faussement trompeur quant à la musique dispensée au sein du disque… point de delay à foison sur cette compilation. Pour tout avouer, c’est davantage un autel à la musique électronique et/ou expérimentale qui est ici mis en avant, fomenté par divers artistes, en résidence à Vienne, siège social du jeune label Autrichien Karaté-Joe.
La question électroacoustique est à la source des onze interrogations présentées ici par des artistes tels que Olivier Grim, Thermodynamic Superstar & his gardeners, Gilbert Handler, Jakob Polacsek, F Bogner, etc. Les modes de création évoquent, selon la sensibilité et le tempérament de chacun des participants un détail du large spectre de la musique électronique, qu’il prenne la forme de programmation environnementale, d’espace syncrétique, de soundfield brumeux ou de steppes ambiants. La sincérité est l’acte de foi de l’ensemble des projets accueillis, où circulent vitalité et authenticité comme autant de spores disséminés par le vents.
Une compilation foisonnante d’idées, qui porte un regard inédit sur cette frange de musiciens et compose une entrée en matière privilégiée pour le label. Pour les amateurs de Tourette rec ou scd, voire Trente Oiseaux.
JJ.

 
 
 
 

V/a LEAF Lost for words (Leaf/Chronowax)
Cette audition surprise permet rétrospectivement de saisir les évolutions majeures du label et de faire, avouons-le à peu de frais, son tri préliminaire au milieu de cette foisonnante poignée d’artistes.
Faisant suite au Osmosis, sorti à l’été 99, Leaf met les bouchées doubles pour convaincre si c’était encore nécessaire, de la prolixité de ses poulains. Les compositions font la chasse à la mélodie, mettent en branle cette partie du cerveau, l’hypophyse, où se jouent les rêves, actionnent les interfaces nerveuses commandant nos jambes.

L’analyse révèle deux grandes approches dans la démarche du label agissant chacune sur l’autre, en interaction continuelle et avec une réciprocité maladive.
Approche mélodique tout d’abord résumée dans le parfait morceau Hana de Asa-Chang & Junray, lente digression de violon et de voix synthétique, puis chez Murcof (électronique spectrale wong-karwaienne) Susumo Yokota (atmosphères traditionnels), Gorodisch ou A small Good thing.
Libération rythmique pour Boom bip & doseone (lignée blackalicious-Latyrx), Manitoba, The sons of silence et son morceau de grind hip-hop fantomatique, Eardrum (percussions obsédantes remixé pour l’occasion par les Sofa Surfers) et 310.
Une compilation exemplaire, à l’image de ce label éclectique et intelligent. 20/20.
JJ.

 
 
 
 

SOGAR Stengel (List /limonade/metamkine/amanita)
List continue d’édifier méticuleusement une cathédrale sonore cristalline, dont les harmonies transparentes singent le silence, tronquent les distances et ricochent sur les parois en échos sans fin.
Sogar, présent sur la compilation introductive du label ne relâche pas son addiction pour les résonances analogiques, prolongeant sa recherche sur les signaux et les interférences plus en amont.
Allemand de son état, Jürgen Heckel a déjà dessiné l’épure d’un album sur 12K (label de Taylor Deupree). Cet album vient confirmer tout le bien qu’on pensait de lui.
Les constructions fragiles suggèrent tout juste un détail, à la manière du Mort aux vaches de TV Pow (Staalplaat), par infiltrations fugaces, touches fugitives, oscillations vertigineuses. Ses travaux, très évanescents, éphémères, caressent les mêmes rêves de translucidité que Richard Chartier (en plus symphonique) ou Pimmon (en plus mélodique). Très beau.
JJ.

 
 
 
 

KAT ONOMA Live à la chapelle (dernière bande (unltd)/Wagram)
CADIOT/BURGER Hotel Robinson (dernière bande/Wagram)
Je n’ai jamais été conquis par les charmes de Kat Onoma, même si les projets attenants de Rudolph Burger me caressaient fréquemment l’oreille.
On retrouve dans ce live une bonne part de ce qui enivre les amateurs du groupe : voix profonde et posée, musique lancinante, mélodie triste et éplorée ; Kat Onoma aime la nature simple des choses, leur humanité ; un festival discret, quelques vallons fleuris, des rencontres, du partage, la nature comme amphithéâtre et un village des Cévennes. Sincérité, simplicité et profondeur, voici la démarche artistique de ce groupe.
Enregistré à la chapelle de Saint-Pierre sur L’Hâte (Sainte Marie aux mines), ville natale de Rodolph Burger et de Pascal Benoit.

Burger trouve ici tout les stigmates du prêcheur, la stature imposante de l’homme d’expérience.
L’ambiance est feutrée, la musique laisse deviner la chaleur des bougies et les yeux émerveillés du public composé pour sa majorité de gens du village, d’anciens et de descendants d’ouvriers. Lou Reed, fait même un bref passage dans la chapelle, son Over You emplissant chaque abside, chaque contrefort de l’édifice religieux.
Les plus patients pourront entendre une reprise free rock spatiale désincarnée de Radio Activity en fin de plage 10.

Beaucoup moins liturgique, l’hôtel Robinson du duo Burger & Cadiot mélange les arrangements "rock" consacrés de Kat Onoma à des intermèdes dignes de Dominique Petitgand. Bâti sur le même principe que son prédécesseur, L’île de Batz sert de théâtre à la composition, les habitants devenant acteurs au sein des mélodies. On retrouve toujours l’attachement des deux auteurs à l’écriture et aux écrivains, notamment Gilles Deleuze et Henry Miller. Un peu d’électronique (Cheval-mouvement), des textes personnels et la voix de Burger … Un peu lourd à digérer à mon goût.
JJ.

 
 
 
 

MY LITTLE CHEAP DICTAPHONE Music drama (Soundstation/ Discograph)
On serait en droit de deviner dans ce projet toutes les promesses d’une pop low-fi ficelée anarchiquement à la simple évocation du nom.
Affecté, on l’est certainement, par la surprise de découvrir une musique travaillée, amplifiée, belle, étrange, arrangée, instrumentée, pleine de références historiques et de clins d’œil.
Ça commence comme un générique d’Ed Wood ou des frères Barron ; puis on découvre la voix enfumée de Redboy et les lignes de guitare assassine du projet.

Une ambiance obscure et sépia, où flottent du Theremin et des voix ukrainiennes, les Flaming Lips et Black Heart Processions, Sparklehorse et Pram, de l’électronique post-nucléaire et des mélodies folks ultra sensitives (So sorry today).
La complexité des approches, la diversité des angles d’attaque dans la composition créent une multitude d’images et de sensations dont le fil d’Ariane reste le traitement du son irréprochable de Mike Mogis, musicien à part entière du projet. Un projet, dont l’approche artistique, le visuel évoquent un grand écart entre Baxendale et Krafwerk. Quatorze titres qui trouvent un subtil baisser de rideau en la présence de ce Silencio fantomatique.
Si la musique est un drame, My little Cheap Dictaphone s’offre l’une des très belles tragédies de cette fin d’année.
JJ.

 
 
 
 

COLLECTION OF COLONIES OF BEES Face a (Crouton/ Metamkine)
Collection of colonies of bees n’emprunte pas autant au monde apicole que le laisserait penser la désignation succincte du collectif. Certes ce Face a nous plonge par touches et nuances dans un monde où les bourdonnements et les vibrations ont la part belle. Cependant, il exprime également la quiétude et l’apaisement des immenses lanscapes et des larges espaces pastoraux.

Extraits de travaux antérieurs, cette œuvre délicate agence ses frontières autour de la recherche et de l’improvisation nourrie de folk. Elle effleure nos souvenirs, éveille les réminiscences d’albums passés, de Tagu Sigumoto en solo ou O’Rourke sur Domino : segments de batterie, exhalaisons d’arpèges, zones acoustiques ouateuses, chants discrets d’oiseaux, passages improvisés.
Les harmonies sont disséminées avec la plus grande parcimonie et une juste aménité brosse l’oreille de l’auditeur dans le sens du duvet.
Des mille copies tirées, chacune a reçu le privilège d’une photo unique, faisant de ces mille albums des présents rares et précieux.
JJ.

 
   
 
   

SPECTRE FEATURING SENSATIONAL Part Unknown (Quatermass/Tripsichord)
Le revenant le plus talentueux de la scène new-yorkaise est de retour.
Après sa trilogie obscure, construite autour de la peur, de l’inhibition et de la souffrance, soit The illness, The second coming & The end (Wordsound rec), considérée à bien des égards comme des chefs d’œuvre d’érudition musicale, Skiz Fernando, autrement connu sous le nom de Roots Control et Slotek, tête pensante du label Wordsound revient hanter nos platines de sa fantomatique présence et de ses beats pesants et minimalistes.

Ses apparitions rares s’articulent autour d’une mise en œuvre simple où des rythmes ultra pondéreux et des basses sataniques viennent en soutien de vocaux lents et gutturaux.
Dark Vador testant son flow sur les Subsonic bass de Bill Laswell…
L’emploi de mélodies madrigal, de samples de films surannés, d’effets désuets et bancals (That’s what we call illness) assiège notre conscience et insuffle une ambiance soufreuse et chargée de particules, un climat asthmatique. Ce Part unknown reflète ici la collaboration croisée avec un élément clé de la scène hip-hop new-yorkaise en la présence de Subliminal, qui au travers de textes provocateurs, injecte une modernité proche et urbaine à cet album d’outre-tombe. Son interprétation rappelle par moment Tricky, on pense aussi à Badawi, à The Hashishen sur Sub Rosa, etc. Souhaitons que la mort soit aussi douce.
JJ.

 
   
 
   

FENNESZ/MAIN Split 12 fat cat series (Fat Cat/pias)
À l’occasion de cette nouvelle parution Fat Cat réunit un duo prestigieux, composé du talentueux guitariste et laptopien autrichien Chritian Fennesz (qui n’a pas encore écouté le splendide Endless Summer ?!), également membre de Orchestre 33 1/3 ou encore MIMEO au côté de Noetinger, Keffe Matthews, Markus Schlinker, Rafael Toral ou Phil Durant.

Robert Hampson, quant à lui, n’a plus rien à prouver ici bas ; artiste culte de la scène indépendante, tant au sein du mythique Loop (quelque part entre Spacemen 3 et du My bloody valentine sous prozac) qu’avec son projet Main.
Son actualité n’est pas moins riche, avec des projets en compagnie de Janek Shaeffer (album sur Rhiz) sous le nom Comae ; ainsi qu’un album pour Kid 606 (Tigerbeat rec) et un autre pour le label belge Kraak 3. Le personnage paraît insatiable d’expériences et de rencontres, son travail et sa vision n’ayant de cesse de se développer au creux des limbes de la musique atmosphérique et ambiant, voir le turntable et le bruit blanc.
Cette rencontre est porteuse d’espérance puisqu’elle développe un trait de caractère indépendant des travaux (habituels) susnommés des deux protagonistes. Cette réunion invente une troisième voie, distincte qui s’apparente volontiers à de l’électro-acoustique domestiquée, rappelant les climats environnementalistes de Francisco Lopez sur La Selva, voire Thomas Köner, quand la température des samples diminue. Un travail ciselé et admirable.
JJ.

 
   
 
   

TARTWATER Dweller on the treshold (Kitty-yo/ Tripsichord)
Tarwater, qu’on aurait pu croire un peu flétris d’avoir tant offert à la musique, prouvent avec un talent réaffirmé et beaucoup d’élégance qu’ils peuvent réinventer sans complexe un univers des mélodies indispensables à qui sait les recevoir.
Dwellers on the Threshold égraine chaque composition comme la note évidente d’une symphonie majeure. Animals suns & atoms entrevoyait certains morceaux comme des transitions, des amuse-bouches, des préparatifs alors que ce nouvel opus assume chaque élément, chaque son et chaque arrangement comme ci celui ci était unique.
Cet album porte le sceau de l’ouverture, à bien des degrés. Sans y voir d’ironie, on observe des facettes nouvelles au duo, notamment sur Be late qui aurait tout aussi bien pu inspirer le producteur des Destiny’s child ou de Brandy & Monica (!). Cette anecdote close, se dessinent derrière cet album une effervescence et une spontanéité qu’on croyait voir s’émousser. Le champ d’investigation et de recherche des deux Allemands converge toujours vers maintes sphères musicales, qui de la folk au blues, de l’électronique passée au post rock, de l’easy listening tiki à la musique classique, réitère sans jamais ressasser la plus belle page de l’histoire de ces musiques. Écouter Now, 70 rupies to paradise Road, Be late, Tesl a (qu’on croirait sorti des Two Lone Swordmen) c’est s’enivrer de bien trop de bonheur à la fois. Le mérite t’on seulement, tout ce bonheur ?
JJ.

 
   
 
   

NICOLAI DUNGER Tranquil isolation (Dolores rec/Labels)
Avec un physique de jeune dilettante plus prompt à en découdre avec un canapé et des draps qu’avec un studio d’enregistrement et des rasoirs, Nicolaï Dunger, suédois jusqu’au bout de ses blonds cheveux, revient après deux années d’absence. Le néophyte aurait bien du mal à croire que ce jeune homme a déjà à son passif une longue liste de disques, productions diverses étoffée sur presque six ans de carrière (This cloud is learning et Soul rush sur Dolores rec., etc.) dont le dernier Something in the way fut remarqué en son temps par Jonathan Donahue et Wild Oldham.
La charge héroïque du blues champêtre qu’il nous livre sur Tranquil isolation est l’écho le plus pur et le plus proche, prolongement absolu et exigeant de l’œuvre immense de Will Oldham. C’est en fait lui, plus désœuvré et barbu qu’à l’habitude, qui a convié Nicolai à Louisville, Kentucky pour cette session extraordinaire où le Suédois a su se départir de toute instrumentation superflue.
Adjoindre à cela la présence de son frère et de quelques collaborateurs antédiluviens que le temps associe à cette fratrie (Jessica Billay, Peter Townsend), et vous aurez l’ossature humaine de cet album. Le dernier des intervenants, sans doute le plus essentiel est la maison, déchargée de tout stigmate de modernité, confinée dans l’isolement et le recul au monde le plus total. Situé au confins du Middle-West, ce studio improvisé a su catalyser la captation de l’amertume la plus épurée et de doux tremblements de l’âme. Cette réclusion solitaire est la parfaite image de cet album, pétrie d’isolation, de folk sombre et emphatique, blues pastoral " cajin " des profondeurs. Nicolai Dunger dessine un univers à la mesure de l’homme, de son spleen, un univers où l’on souhaiterait résolument vivre, libéré de toute attache. Une sinécure pour l’homme moderne en quête de repères.
JJ.

 
   
 
   

ALEXEI BORISOV Before the evroemont (N&B research digest/Metamkine)
Si l’on se doit d’admettre que des artistes tels que Fizzarum, Ae ou encore Alexei Shulgin (386 DMX) ont éveillé l’attention de nos oreilles à la scène culturelle russe, on ne peut non plus oublier que le territoire de feu l’URSS a été un terreau sur lequel auront su s’épanouir les plus fines fleurs des arts et des lettres. La connaissance aiguë de cette culture passée, mêlée à un sentiment de fierté (souvent accompagné d’humilité) contribue encore à ce jour à fertiliser les jeunes générations de musiciens actuels.
Alexei Borisov, membre actif du collectif FRUITS, cultive pour sa part l’héritage soviétique, quelque part entre Djertov et Maïakovski, coincé entre un réalisme cru et épique et un surréalisme visionnaire.
Le dessein de l’album est l’évocation de l’architecture unique de Moscou, parfait outil de propagande urbaine du soviet autant que chaos de styles divergents et de superpositions…
Ainsi, jamais une ville n’aura autant stigmatisé les influences idéologiques qui ont traversé son histoire récente. Dés lors, on comprend infiniment mieux les sources, références, visuels employés par Borisov (les travaux photos sont signés Anne Hämäläinen) pour signifier cette atmosphère : bruits de fenêtres, radio filtrée via une pièce d’appartement, bruits coutumiers de la ville, chants russes désincarnés, grésillements de compteur Geiger.
La dernière de ces modifications est The Evroremont, terme désignant l’européanisation du paysage et des intérieurs urbains moscovites (et par extension des mentalités). Un genre d’european way of life en quelque sorte.
Ces sources " concrètes " du quotidien sont appuyées ici d’éléments électroniques audacieux qui mettent en scène de façon poétique l’urbanité de la capitale. Une manière peu onéreuse et intelligente de voyager. Pour auditeur averti.
JJ.

 
   
 
   

BUSY SIGNAL Busy beats (Cherry red/ Poplane)
La pertinence du métissage musical, du croisement permanent de sources ne s’analyse pas, elle impose sa tenue au monde, des pieds jusqu’à nos oreilles. Le faible nombre d’élus à cette loterie (parmi lesquels Beck, The Avalanches, Primal Scream) répond à une infinité de projets décevants, moribonds, voire risibles (la liste est trop exhaustive).
Howard W. Hamilton III ne le sait que trop bien, c’est pourquoi il a concrétisé au sein de Busy Signal une alchimie surprenante, qui si elle laisse deviner un goût éhonté pour la pop, offre aussi un regard curieux sur d’autres genres bien intégrés. Citons celles qui ont le privilège d’être flagrantes de Cornershop à Beck, de New Order à De LA Soul. L’évolution de la musique est un métissage constant qui nécessite expérimentation et humilité dans un rapport de force fragile. Pour le coup Headphone world (très Wurlitzer jukebox), The freeway, All the young designers ou Long Funnel font figure d’hymnes splendides avec leur mélodie douce sur fond de beat rond et chaud et d’ambiance rock sixteen.
La seule motivation qui aiguille et oriente l’inclinaison des compositions de Hamilton III est le souhait de sortir les gens de leur torpeur, de les tirer de leur morosité et de leur claustration.
Un assemblage extravagant et génial de tubes taillés à la mesure de nos attentes.
Définitivement entêtant et absolument conseillé.
JJ.

 
   
 
   

UN CADDIE RENVERSE DANS L'HERBE
Some nenu songs (ooze bap/mange disque)
À l’ère du règne total (hégémonique ?) de la langue anglo-saxonne, notre cher français trouve dans la bouche d’artistes étrangers des consonances exotiques.
Le parler gaulois est donc devenu cette langue pittoresque, qui permet des assemblages de mots aussi extravagants que surréalistes et mystérieux… Un caddie renversé dans l’herbe au même titre que Pierre Boulez mange des slips en salade.
Par chance, le sous-titre éclaire un peu mieux l’auditeur sur les choix musicaux de l’artiste "panafrobrazilian rhizhomes meet robotica under a nex slikworm orchestrated band". Voici ainsi résumée la pertinente vision de l’auteur sur son œuvre.

Enregistré entre Sao Paulo et Barcelone, Didac P. Logarriga alias UCRDH a composé cet univers complexe de musiques assemblées et d’images volatiles, fruit d’une imagination débridées. Au delà des mots, Some nenu songs transporte notre imagination de l’Asie à l’Amérique du sud, au gré des sons qui s’incorporent, s’édulcorent, se rétractent et se téléescopent. Si filiation il y a, c’est bien celle de Harry Partch, Pierre Bastien Ocora (l’aspect traditionnel) voire Burnt Friedman et ses péripéties électro-exotiques qui doivent être mis en avant.
Laissez votre (bonne) humeur suivre la ligne courbe de cette musique étrange et spectrale.
JJ.

 
   
 
   

IDAHO We were young and needeed the money (Idahomusic/Poplane)
Idaho est une promesse d’évasion, de contrées lointaines, un parcours désœuvré aux confins de la conscience américaine, une quête de la beauté, à mi chemin entre l’apprentissage et l’expérience, entre l’acquis et l’inné. Deux facettes ambivalentes qui gouvernent leur création et sans doute encore davantage cet album.
Comme pour nous rappeler à leur talent, ils nous livrent We were young and needeed the money, trait musical qui prend son envol en 1992 pour s’achever dix ans et sept albums plus tard en ce début de siècle nouveau. Une occasion rare de se réapproprier leur discographie par le chemin de traverses des raretés, versions écartées, lives échevelés et de cette voix céleste… un itinéraire qui traverse avec une cohérence et une pertinence étonnante dix années de création mélodique, faite d’assauts slo-core Ridien (Social studies, Teeth Mark’s), de flânerie mélancolique (Signs of life, Stax dogs) et de bijoux mélodiques et cérébraux (Spiral, Nothing wrong).
Jeff Martin et John Berry, noyau dur du groupe, s’ils ne cherchent plus ni l’argent, ni la reconnaissance nous invitent avec une grande humilité et un peu de nostalgie à cette postface splendide et ample de leurs pérégrinations musicales.
Un magnifique réflexe de survie.
JJ.

 
   
 
   

MS JOHN SODA No p or d (Morr music/ La baleine)
Lorsqu’une ligne droite pure, Stéfanie Böhm, devient sécante à un cercle parfait, Micha Acher, la géométrie cède alors le pas au champs des sciences inexactes des sensations.
Ms John Soda reflète bien la réunion de ces deux personnalités, avec tout ce que cela implique d’incidences heureuses. Stefanie Böhm est la claviériste de Couch (Kitty Yo) projet rond et chaleureux de Munich. Micha Acher, quant à lui, a transigé avec bon nombre d’expérimentateurs, dont certains ont déjà percé la lumière, que ce soit dans une variante Pop (The notwist), sous une forme Jazzy (Tied & Tickled Trio) ou dans une approche atmosphérique (Village of Savoonga). Le dénominateur commun de ces projets restant la qualité exemplaire, sous la houlette du label Hausmusik.
Ms John Soda emprunte certainement plus à l’univers de The Notwist, du fait de la direction très mélodique donnée aux morceaux. L’accroche des morceaux a une connotation profondément rock. L’électronique n’est ici qu’un détail de forme, un ornement symbolique, le réel propos de leur musique reste l’émotion, charpente mélodique envisagée sous les traits fins d’une ligne claire de guitare, d’un souffle de batterie, d’un grésillement de sampleur, d’un tintement de cymbales et la voix affectée de Stéphanie comme écrin. Ce projet abhorre la simplicité et immisce le beau là où on ne l’attend pas, là où on ne l’attendait plus. Absolument nécessaire.
JJ.

 
   
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