> Discussion entre Ambre, Lionel Tran & Valérie Berge

> L'ouvrage

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Entretien avec les auteurs par Laurent Bramardi

LA GÉNÈSE DU PROJET
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Le script de l'ouvrage
> 16 scènes avec leur croquis respectifs
> Photos préparatoires de la dernière scène (campagne)
>
Story-board de la scène de Noël


LOSER TOUR
>
Dédicace à la libraire Ziggourat (Photos)
> Fortune critique
>
Entretien sur le webzine Melanine


EXTRAITS
>
Episode inédit (exposition d'Art dans un sex-shop)
> Episode du bar
>
Episode de "La chambre"

LA REEDITION DE L'OUVRAGE VIENT DE PARAITRE DANS LA COLLECTION BLANCHE


La génèse du projet

- Cela fait une dizaine d’années que je connais Ambre. Depuis quelques temps, nous parlons de réaliser un long récit ensemble. En octobre 1995, je me mets à tenir irrégulièrement un journal intime, constitué d’impressions chaotiques. Le second cahier court du 11 novembre 1995 au 8 février 1996, à la fin de sa rédaction je le titre ironiquement Le journal d’un loser.

- Lionel Tran part au Vietnam en mars 1996. Il me laisse son journal juste avant son départ. Je le lis intégralement. L’ampleur du projet, des centaines de pages manuscrites sur des cahiers de format A3, m’impressionne. Sa lecture s’en révèle fastidieuse, ainsi qu’un peu embarrassante. Fascinante, aussi. Tout de suite j’ai envie de le mettre en images, d’en faire quelque chose de très long, de très quotidien.

- À partir des passages qu’Ambre a séléctionné, nous réalisons plusieurs scènes très différentes. Celle de la première discussion avec Michel nous oriente vers un rythme très lent. Pour cette scène, Ambre utilise des portraits de Valérie Berge, qui prend des photos de notre entourage depuis 1992. En juin 1996 je me rends à la fête de la musique dans l’optique d’en “ faire un compte rendu ”. Sans nous en rendre compte, nous nous éloignons de mon journal.

- Le 9 janvier 1997 j’écris dans mon journal : “ - Le Journal d’un Loser n’avance pas très vite.” Un truc m’inquiète : les visages des personnages évoluent constamment au cours du récit. Je décide d’intercaler entre les différentes scènes des discussions entre Lionel et moi. En avril, après un an de travail difficile et un peu décousu, une cinquantaine de pages sont réalisées. Je travaille alors sur l’épisode du vernissage d’exposition, un des plus problématiques. Je traverse une période graphiquement faible. Je me pose des questions à propos des liens entre le texte et l’image. Je crains de faire quelque chose de redondant par rapport au texte de Lionel. Le graphisme du Journal est de plus en plus réaliste. Valérie me donne beaucoup de photos, celles-ci deviennent rapidement une véritable base de travail.

- Je réécris la majeure partie des scènes déjà réalisées, supprimant la plupart des états d’âme afin de ne conserver que des impressions très fugaces, retranscrites au présent. Mon angoisse majeure reste la structure d’ensemble. Après plusieurs tentatives infructueuses, je dispose les scènes par ordre chronologique, ce qui n’avait jusque là jamais été envisagé. Je cherche toujours un fil conducteur qui soulignerait le déroulement du récit. La troisième version du script, inachevée, se conclut par l’indication “nous entrons dans le texte.”

- Le 14 août Lionel m’écrit : “ - Je pense sans arrêt au Journal d’un loser. Il faut que ce projet s’éclaircisse.” Au même moment, je pense qu’on trouve enfin le ton du récit en réalisant la scène du magnétoscope. Quelque chose de plus simple, de moins péremptoire. Je réalise les trois pages de la discussion entre Luc et Marie au lit, passage qui est, à mon avis, le plus réussi. En août 1998 nous passons une dizaine de jours à la campagne avec Valérie et Jean-Philippe Garçon, des éditions 6 Pieds Sous Terre.

- Je n’arrive pas à trouver le sommeil. Faut-il tout refaire ? Abandonner ? Au réveil, une série d’icônes réalisées par Ambre tout au début du projet me saute aux yeux. Ce fil conducteur était là depuis le début, nous en avions même oublié l’existence. Le projet trouve enfin sa cohérence. Dans la foulée, nous proposons à Valérie d’ouvrir et de clore l’album avec des photographies de natures mortes, pendant aux portraits dont l’album s’est nourri.

 Ambre & Lionel Tran

 

Du narrateur du journal d’un loser, nous ne saurons que très peu. Qui est-il ? Quel est le but de son existence ? Dès les premières pages, l’appréhension nous saisit avec lui. Il a peur. Peur de quoi ? Peur tout court. Ce doute tisse progressivement le douloureux fil conducteur de l’album. Les images de Ambre, peintes à l’acrylique et rehaussées par instants d’un trait de plume à la fois tremblant et précis, donnent corps à ce sentiment avec une justesse désincarnée. Il n’est question ici que de perceptions. Celle, par exemple d’une dislocation, d’un assourdissement ou encore d’une suffocation. Le trait disparaît, noyé dans la palette des gris. Les paroles échangées se perdent, restent en suspens, ou se fondent en un flux sonore indissoluble. Les jours s’égrènent, sans autre repère temporel que le formel “ un autre jour ”, proposition d’un laps de temps qui bien que différent ne semble pas contenir le germe d’une transformation. Petit à petit des personnages se dessinent. On ne saura pas grand chose d’eux, comme s’ils n’étaient que des balises entrevues au sein de cet océan d’incertitude. La figure de Michel, libraire sur lequel plane l’ombre de la dépression, est une des plus touchantes du récit. Peut-être parce ce que son naufrage murmure l’éventualité de mettre un terme à la peur. Le non dit imprègne l’ensemble du récit, relayé par la figure des deux auteurs dont l’autodérision gênée nous laisse deviner qu’à travers la réalisation de cet ouvrage ils ont renoncé à attendre Godot. Dans le dernier quart de l’album, ce non dit engloutit le sentiment même d’appréhension, opérant un reflux du récit. Des doubles pages très claires nous offrent de soudaines bouffées d’air. Vidés du sentiment d’oppression qui les accompagnait les dialogues s’allègent et leur insignifiance brille d’un éclat éphémère. La désintégration que nous craignons depuis les premières pages s’est produite à notre insu. L’album s’est dissous avant que l’on ait le temps de le refermer, nous soulageant de son poids. Nous tournons les dernières pages en nous demandant si, sous ses dehors angoissés, Le journal d’un loser nous parle d’autre chose que d’apaisement.