Entretiens

 
JadeWeb chroniques #6
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à la loupe
Dragon Head de Minetaro Mochizuki
Miroirs et fumée de Neil Gaiman
Uncle Sam de Steve Darnell & alex Ross

archives
Chroniques #0 From hell | Petit manège | Attends | L'usine électrique | Caricature | Le feuilleton du siècle

Chroniques #1 Gorazde | Persepolis | Frankenstein encore et toujours | Cosmique tralala | Froncée | Jeux d'influences | Isaac le pirate | Villégiature

Chroniques #2 Le val des ânes | La poursuite | Le roi de la piste | La boîte à chimères | Black hole

Chroniques #3 Hicksville | O pesadelo de Gustavo Ninguém | Le petit garçon qui n'existait pas | L'enclos | Cadavre exquis | Essai de sentimentalisme| Parrondo poche #1

Chroniques #4 Frida Kahlo, une biographie surréelle | Kane #1 | Trino ou le journal de la Création |

Chroniques #5 Johnny Rien-à-foutre | Roulathèque roulathèque nicolore | Freeze, punk ! a tribute to myself | Le playboy | Je ne t'ai jamais aimé | L'épinard de Yukiko | Pat Boon | Sketch

 

A la loupe :
Un monde de différence
d'Howard Cruse

 
 
 
 

PEEP SHOW

Après Seth et Chester Brown, voici Joe Matt pour compléter le trio anglo-canadien de choc qui fit sa petite révolution dans le monde du comics alternatif autobiographique au milieu des années 90. Son oeuvre phare, Peep show est enfin traduite dans la collection Tohu Bohu. Après le raffiné et distant Seth, l’élégant Chester Brown (Cf. chroniques #5), autant dire que Joe Matt, lui, prend un malin et presque masochiste plaisir à mettre les pieds dans le plat et un peu tout le reste également. Pas d’évocation évanescente, pas de distance, Peep show porte bien son titre. C’est cru, frontal, on lui mettrait des baffes tellement il s’y présente dans l’exacerbation de tous ses défauts, qu’il estime nombreux. Feignant, totalement obsédé par le sexe, les cassettes pornos et la masturbation, profitant au maximum du moindre de ses avantages -son statut d’auteur par exemple-, hypocrite, couinant sur son sort, etc. Joe Matt ne nous épargnera rien et c’est là toute la force de sa démarche. Cela rappelle les ouvrages de Mattt Konture qui lui aussi insiste pour se mettre le plus possible à nu dans une tentative graphique quasi-thérapeutique. Avec Peep show, on assiste à son quotidien de glandeur de première, de dragueur invétéré ou à ses maladresses absolues qui confinent à la grossièreté envers sa copine Trish. Le plus épatant dans tout ça, c’est qu’à force de nous asséner par couches l’étendue de ses lâchetés -dans lesquelles chacun saura reconnaître les siennes-, on finit, entre deux rires grinçants, par le trouver touchant et quasi-sympathique. Qu’un type qui se dévoile autant ne peut pas avoir un si mauvais fond malgré sa récurrence à l’auto-flagellation, est-on là aussi face à une autobiographie thérapeutique ? Difficile cependant d’y voir une tentative de soulagement car cette franchise, imprimée et disponible dans les comics shop de sa ville semble lui amener les pires ennuis. Ainsi de la représentation d’Andy et Kim, un jeune couple branché très amateur de ses comics et qui se retrouvent quelques épisodes plus tard portraiturés dans le rôle de fans un peu bêtes dont Matt use et abuse, allant jusqu’à dévoiler qu’il se taperait bien Kim et qu’Andy a l’air d’accord. Et que dire de son amour pour la jeune Frankie qu’il cherche désespérément à impressionner avec ses livres et son travail d’auteur tout en la transformant en objet de fantasme dans ces derniers. Forcément, tout ça ne peut que logiquement tourner à la catastrophe. Au final, on se retrouve face à un livre -et un personnage- désarmant, pas si feignant que ça à la vue de l’ampleur de son travail. Nous aurait-il menti ? Cette thématique de dévoilement et de mise en scène d’un entourage proche ou lointain pourra rappeler d’autres ouvrages comme Le journal d’un Album (Dupuy et Berbérian), Livret de phamille (Jean-Christophe Menu) ou le Journal de Fabrice Neaud et confronte comme chez ceux-ci la bande dessinée (et surtout son lectorat) à un espace dont elle n’a pas l’habitude. On entre dans un espace tout à fait mature, où le sérieux du média n’est plus une question, celui-ci devient -enfin- un pur support aux échanges humains même si cela se passe souvent dans un cadre polémique. Les techniques narratives, souvent largement enrichies par ce type d’oeuvre, n'est plus une question centrale, comme trop souvent lorsque l’on évoque la bande dessinée alternative, niant par là l’originalité de son contenu. En cela, Peep show est aussi une vraie réussite.
JP.

Joe Matt | PEEP SHOW
176 pages / 13,90 Eu | éditions Humanoïdes associés

 
 
 
 

INCERTAIN SILENCE

Jusqu’alors pas vraiment convaincu, je dois bien l’avouer, par les récits de François Ayrolles, je profite de la sortie d’Incertain Silence dans la toujours rigoureuse collection Éperluette de l’Association pour changer mon fusil d’épaule et chanter les louanges de cet auteur finalement très discret. L’ouvrage propose de partager quelques moments agités du quotidien d’un peintre ambulant à la physionomie de Buster Keaton et qui ne dira pas un mot durant tout le récit. L’action, totalement Rocambolesque, se déroule au début du vingtième siècle et, dans un esprit proche des films comiques du cinéma muet. Prenant comme compagnon de route un certain Jim, soi-disant poète mais surtout minable escroc (et qui ressemble comme deux gouttes d’eau au Blôtch de Blutch), notre peintre pince-sans-rire affrontera chute d’eau, voleur de chevaux, quiproquo policier, artistes pochetrons, tombera amoureux et finalement récupérera, par une suite de pirouettes narratives s’enchaînant sans répit, son petit chez soi, une vieille roulotte. L’air de rien, le déroulement graphique est impressionnant de limpidité, tout s’enchaîne, même le plus invraisemblable, dans une redoutable logique et la fable sociale qui se déroule au fil des pages sait être à la fois touchante et drôle. Le dessin à l’encre de Chine, raffiné, fait parfois penser à Muñoz ou aux premiers ouvrages de Chauzy avec un petit plus pour la composition des images fascinante d’élégance.
JP.

INCERTAIN SILENCE | François Ayrolles
96 pages | 16 Eu | éditions L’association

 
   
 
   

LA MEILLEURE DU MONDE

Nouvelle venue sur la scène de la bande dessinée alternative et après un premier ouvrage remarqué, La Boîte, chez le même éditeur Pauline Martin revient avec La meilleure du monde, suite de saynètes de rencontres amoureuses où l’amour, justement, semble faire souvent défaut. Quittée par son ami dans la première histoire, l’héroïne va enchaîner les aventures, poursuivie par une sensation de manque que ces rencontres ne viendront pas apaiser. L’occasion de dresser des portraits de jeunes adultes souvent cyniques ou sans réelle volonté de communication avec l’autre. La présence de " l’autre " semble souvent mystérieuse, les personnages impénétrables, seulement mus par le contact physique ; la gentillesse, d’apparat, masque une certaine indifférence et parfois la cruauté. Tout en restant légère dans le ton, on est toujours au bord du gouffre, Pauline Martin dresse avec La Meilleure du monde un constat douloureux des rapports humains à l’aune de sa propre expérience et sous sa robe bichrome vert olive et noir, l’on se prend à apprécier la sensation de malaise qui plane sur l’ouvrage. L’univers de cet auteur est décidément très curieux, à la fois attachant et dérangeant et, en tous les cas, extrêmement singulier.
JP.

LA MEILLEURE DU MONDE | Pauline Martin
64 pages | 13, 50 Eu | éd. Égo comme x

 
   
 
   

Dubuffet

Pour prolonger les plaisirs de l’ambiance de la rétrospective Jean Dubuffet qui a lieu au centre Pompidou, ou pour ceux qui n’auront pas la chance d’aller la voir, pourquoi ne pas se ruer sur son imposant catalogue mi-chic, mi-cheap, l’occasion d’avoir à la maison des reproductions d’oeuvres souvent difficilement accessibles, voire carrément invisibles. Jean Dubuffet, façonneur de monde, expérimentateur forcené a porté l’art brut vers le public quasiment à lui tout seul, lui faisant -presque à contre coeur- une place de choix dans les musées (chacun pourra en peser les avantages et les inconvénients). Son influence sur le monde de l’image dans de multiples domaines, y compris dans le fourmillement que constitue la bande dessinée actuelle est toujours d’une fascinante actualité. Quasiment 400 reproductions soigneusement imprimées donneront l’occasion de se perdre de nombreuses heures dans ses mondes intérieurs. Quelques textes tels ceux d’Henri Meschonnic ou d’Alexandre Vialatte apportent des éclairages particuliers que viennent compléter les propres écrits de Dubuffet, souvent délicieusement surannés dans le ton. Une imposante biographie illustrée boucle ce catalogue indispensable de liberté.
JP.

Dubuffet | COLLECTION CLASSIQUES DU XXe SIÈCLE
460 pages | 360 FF | éditions du Centre Pompidou

 
   
 
   

LA LECTURE DES RUINES

Décidément, quelle étrange fascination à David B. pour la guerre... avec La Lecture des ruines, il convie le lecteur à un récit d’espionnage au coeur de la première guerre mondiale, à la recherche d’un savant farfelu et mystique, inventeur d’armes étranges comme le canon à rêves ou les barbelés vampires. On retrouve rapidement certains thèmes de prédilection de l’auteur des Incidents de la nuit, dévoilant des groupes occultes et des mondes parallèles, tournés vers des quêtes dont l’enjeu est un mélange de nouveaux savoirs ou d’anciennes pratiques perdues. Ces thèmes, souvent archi-rabâchés en bande dessinée avec des yeux béats d’optimisme sont cependant d’une noirceur implacable chez David B. où les personnages, abrupts et cruels -qui n’auraient pas semblé étrangers à un Hugo Pratt-, sont enracinés dans leurs calculs et savent toujours comment foutre en l’air le moindre espoir. La confrontation, chère à l’auteur et quasiment ritualisée dans ses fictions, oppose ainsi deux folies, symbolisées par le canon à rêves, qui se nourrissent l’une de l’autre. Proche d’un imaginaire enfantin surchargé de bribes de savoir (tel qu’il se décrit lui-même dans L’Ascension du haut-mal), où le merveilleux se noue à l’horreur et à la violence, La Lecture des ruines explore une voie transversale aux Incidents de la nuit plus festive et primale.
JP.

David B. | LA LECTURE DES RUINES
Coll. Aire libre | 80 pages | 81 FF | éditions Dupuis

 
   
 
   

GORAZDE 2

De cette guerre des Balkans suivie au travers des médias, dans des grandes lignes pas toujours très claires, nous ne conserverons en général que de vagues souvenirs d’un spectacle horrifiant. Joe Sacco, dans la lignée de ses précédents ouvrages, cherche à aller plus loin et a recueilli sur place, dans l’enclave de Gorazde, les témoignages de ceux qu’il a rencontrés et dont certains sont devenus des amis. Il en livre, avec le second et dernier volume de Gorazde, une compilation quasiment insoutenable. Médecins, professeurs, étudiants, paysans, tous lui racontent comment ils ont été entraînés à prendre part et à subir cette guerre civile, à la fois religieuse et nationaliste. Ces témoignages rapportent des évènements tellement abominables que cela devient vite une épreuve de finir le livre. À la lumière de ceux-ci et de ses propres investigations, Joe Sacco tente de démêler les fils de la politique internationale d’alors. Cette confrontation entre réalité vécue par les habitants de l’enclave et les méandres de la diplomatie écoeure au plus haut point et au final l’ouvrage éteint toute tentative de jugement moral, on en ressort blême. Ce tome 2 de Goradze est certainement le plus dur de tous les ouvrages de Joe Sacco et désespère sur les comportements humains. Mais comment ne pas le lire ?
JP.

Joe Sacco | GORAZDE tome 2
128 pages | 13,20 Eu | éditions Rackham