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joueurs de blouses

Quatre internes échappés du service des urgences en psychiatrie sèment depuis 1997 la zizanie à l'étage de la pop alternative : prodiguant calmants et excitants, les Clinic continuent d'opérer sans anesthésie au vif du sujet. Vertiges, étourdissements et autres effets secondaires très désirables sont au menu de leur second album Walking with Thee (Domino). Pendant qu'on en tient deux d'entre eux dans une camisole de force, traitement de choc à base de vinyle grésillant.

The Buzzcocks Friends of mine
Ade Blackburn
(guitare, claviers, voix) : Je n'ai aucune idée de qui ça peut être.
Brian Campbell (basse, coeurs) : Les Buzzcocks ? J'allais le dire. Je te le promets !

Au son de quelle musique avez-vous grandi ?
Ade : The Specials, Soft Cell, Teadrop Explodes, Echo & The Bunnymen. J'étais trop jeune pour écouter les Buzzcocks, comme je n'ai jamais été emballé par des musiques plus synthétiques comme celles de Depeche Mode ou Spandau Ballet.
Brian : Mon grand frère écoutait aussi bien Depeche Mode que des groupes punk. Je préferais Elvis Presley, Roy Orbison. J'ai grandi avec eux.

Le punk, c'était de la musique de grand-frère ?
Brian : Absolument. Mon frère et ses copains écoutaient ça dans la chambre d'à côté. Il y avait toujours du bordel. Moi, sans doute en raison de mon jeune âge, j'avais beaucoup de mal avec ce genre de musique. Je préférais les Smiths qui étaient plus mélodiques.

On décrit souvent le punk comme une révolution. Etes-vous d'accord ?
Brian : Je crois que ça a permis a beaucoup de gens qui n'étaient pas musiciens à la base de s'immiscer au sein de groupes et de s'exprimer par ce biais. C'était un pied de nez à l'industrie du disque : on pouvait aussi faire de la musique dans sa chambre, monter son propre label... Beaucoup de groupes que nous avons écouté en grandissant étaient les héritiers de ce mouvement : c'était la seconde génération.

J'ai pensé aux Buzzcocks aussi parce que vos morceaux sont la plupart du temps courts et percutants.
Brian : On va directement au but. Nous ne sommes pas des virtuoses, nous serions incapables de jouer un solo de guitare. Et quand bien même nous en serions capables, ça ne nous intéresserait pas : pourquoi dire en un paragraphe ce que tu peux dire en une phrase ?
Ade : J'étais beaucoup trop jeune pour comprendre ce que le punk avait apporté. Ce n'est que bien plus tard que je me suis rendu compte que j'étais complètement d'accord avec beaucoup de ses préceptes.

The Modern Lovers Old World
Ade : Comme beaucoup de gens, j'ai découvert les Modern Lovers après le Velvet Underground. C'est curieux d'ailleurs qu'on les décrive souvent comme les enfants du Velvet alors qu'ils délivraient des messages très positifs, prônaient un mode de vie très sain, sans drogue... Ils avaient également plus d'humour que le Velvet. Je comprends que la voix de Jonathan Richman puisse agacer, mais j'adore sa façon de chanter. Ce n'est que récemment qu'on a commencé à reconsidérer les Modern Lovers, à se rendre compte que leur album avait été sous-estimé... Je regrette qu'ils n'en aient enregistré qu'un seul et qu'ils ne lui aient pas donné de successeur. Nous avons complètement repompé l'orgue de "Old World" sur "Monkey On Your Back" (un des premiers morceaux de Clinic - Ndr).

C'était un hommage conscient ?
Ade : Oui, totalement délibéré. J'aime beaucoup les parties d'orgue chez les Modern Lovers, pas seulement le son très sixties mais aussi leur façon d'en jouer qui est très originale. C'est un groupe qui avait l'originalité de briller à une époque où beaucoup déclinaient et s'enfoncaient dans les méandres du rock progressif. Les Modern Lovers etaient un groupe de rock à guitares et restaient fidèles à cette définition.

"Pouvoir se foutre des Beatles, c'est une bonne chose." (rires)

cliquez pour aggrandir l'imageVos racines sont-elles principalement américaines ou anglaises ?
Brian : Américaines, européennes, et ensuite anglaises. Le rock'n'roll, le doo wop, Le Velvet, les Modern Lovers, les Shangri-La's, les Ronettes, Phil Spector : voilà pour les américains. Can, Kraftwerk, Gainsbourg : les européens. Ensuite, il n'y a pas beaucoup d'anglais.
Ade : Je garde les Rolling Stones et les Sex Pistols qui viennent du rock'n'roll. Mais je ne me pose plus ce genre de questions. Maintenant, je me moque un peu de savoir d'où vient telle musique et quand elle a été enregistrée. Tout se mélange. A l'origine, j'écoutais beaucoup de pop. Maintenant, c'est principalement de la musique folk, du blues... Je n'écoute plus vraiment le Velvet ni Can. Je connais suffisamment leurs disques. J'ai besoin d'autre chose.

Vous sentez-vous profondément anglais ou au contraire avez-vous l'impression d'être nés au mauvais endroit ?
Ade : Etre originaire de Liverpool et y vivre renforcent le coté décalé de notre musique. Nous ne sommes pas un groupe typique. Ca ne peut-être qu'une bonne chose : suivre ce que ton imagination te dicte et pas ce qui se passe autour de toi. Pouvoir se foutre des Beatles, c'est une bonne chose (rires).

The Jesus & Mary Chain Upside Down
Ade :
J'avais acheté leurs premiers singles. J'aimais beaucoup leur premier album Psychocandy. Mais ils se sont vite imposés comme LA référence "alternative" auprès de gens qui en manquaient. Musicalement, je ne trouve pas ça aussi crade qu'ils l'auraient voulu. Et la rythmique était vraiment leur point faible. Quand tu réécoutes leurs disques, c'est vraiment toujours la même chose. J'aime beaucoup " Never Understand "ou " You Trip Me Up ", mais j'ai vraiment l'impression qu'ils n'ont qu'un seul genre de chansons à leur répertoire. Si tu compares les trois premiers albums, beaucoup de mélodies se ressemblent. On parlait tout à l'heure de ce groupe, Black Rebel Motorcycle Club : c'est fou qu'ils aient pu s'inspirer d'un groupe comme The Jesus & Mary Chain qui est déjà si limité à la base.
Brian : Je crois que tous les groupes que nous aimons ont en commun un certain éclectisme. On essaie, avec Clinic, d'aller dans ce sens.
Ade : En Angleterre; c'est devenu un lieu commun : n'importe quel groupe qui sonne un peu garage est systématiquement comparé à The Jesus & Mary Chain. Je crois que ça montre bien où en est la critique : j'ai l'impression que les journalistes n'ont aucune référence antérieure à 1985. C'est de la paresse. Je ne dis pas ça pour toi (rires).

The Residents These Boots Are Made For Walking
Ade :
On écoutait encore cet album dans notre van la semaine dernière. C'est vraiment l'opposé de The Jesus & Mary Chain : tellement d'éléments différents qui se chevauchent, de manière très originale, très intelligente, jamais prévisible... A la fois des éléments de rock'n'roll, des mélodies pop que tu peux retenir facilement, la liberté du jazz... La façon dont ils ont su entretenir leur mystère d'années en années, que ce soit au travers de leurs pochettes comme de leurs photos, est exemplaire. C'est un des tout meilleurs groupes encore en activité, si ce n'est le meilleur groupe tout court.

Comment les as-tu connu ?
Ade : J'avais entendu aussi bien Will Sergeant (Echo & The Bunnymen) que Bill Drummond (KLF) les citer, c'est grâce à eux que je me suis intéressé à leurs disques. Ils ont longtemps été une référence assez floue pour moi, j'avais juste quelques images en tête : San Francisco, la Bible... J'ai mis des années avant de les écouter pour de vrai. J'avais peur que le concept autour d'eux soit bien plus intéressant que la musique en elle-même. Mais leurs albums sont assez pop en fait. J'étais très agréablement surpris en les découvrant. Comme je suis surpris chaque fois que je les réécoute.

Leur anonymat reste légendaire. Quand avez-vous décidé de revendiquer le vôtre ?
Brian : Dès le début. Dès que nous avons eu l'idée du nom " Clinic ", nous avons décidé de nous présenter en blouse et porter un masque. A l'époque, ce n'était pas très courant que les groupes se démarquent visuellement parlant. Peut-être qu'aujourd'hui, grâce aux White Stripes qui s'habillent toujours en rouge et blanc, ça l'est moins.

Mais quand vous êtes sur scène, vous ne portez pas vos uniformes ?
Si.

cliquez pour aggrandir l'imagePourtant je vous ai vu deux fois et vous ne les portiez pas.
On se les ait fait voler il y a deux ans, et on a dû jouer quelques concerts sans, le temps de les remplacer. Ce n'est pas vraiment le genre de vêtement que tu peux trouver n'importe où.

Vous jouez masqués, mais vous donnez des interviews : vous n'entretenez pas non plus le mystère.
Ade : Il est évident que quand tu publies des disques comme les nôtres, qui ne sont pas amenés à se vendre à des millions d'exemplaires, te prêter au jeu de la promotion est quelque chose de très important. Ce n'est pas parce que nous répondons aux interviews que les gens savent pour autant à quoi nous ressemblons : nous sommes masqués sur les photos, nous n'apparaissons pas dans les clips, pas sur les pochettes de disque... C'est inévitable que des gens finissent par nous voir sans nos uniformes. Ensuite, c'est peut-être le cas pour 1% de ceux qui nous écoutent.

Augustus Pablo & The Upsetters Vibrate On
Brian :
Nous nous sommes inspirés des effets qu'Augustus Pablo utilise sur le melodica quand nous employons cet instrument. Notamment de cet effet d'écho qui prolonge le son. Celui qui sort de l'instrument n'est pas très impressionnant, mais il suffit que tu mettes une pédale de delay pour que, tout à coup, ça devienne autre chose.

Ade : L'idée, à l'origine de Clinic, est de proposer des mélodies simples à jouer mais de trouver le bon instrument pour les interpréter. Si tu écoutes Kraftwerk par exemple, ce sont aussi des mélodies très simples. Le choix du melodica s'est vite imposé parce que c'est un instrument facile à maîtriser, on dirait un jouet pour enfants. Combiner cet instrument avec des éléments plus traditionnels nous a permis d'obtenir ce son singulier que nous recherchions.

Vous écoutez beaucoup de dub ?
Brian : Quand nous sommes en tournée, nous écoutons beaucoup de cassettes au fond de notre van. Chacun apporte les siennes, ce qui nous permet à tous d'écouter beaucoup de musiques différentes. Au bout d'un moment, elles ne sont plus rangées dans leur boîtier, on ne sait plus vraiment de quoi il s'agit... Mais c'est très intéressant musicalement parlant (rires).

Einstürzende Neubauten Sand
Brian : Je n'ai pas la moindre idée.
Ade : C'est une chanson composée par Lee Hazlewood, c'est ça ? Je me souviens avoir vu Neubauten en concert, ça devait être à la fin des années 80. J'aimais bien leur attitude très agressive. Ils avaient complètement détruit la scène sur laquelle ils jouaient.
Brian : Ce sont eux qui tapaient avec des marteaux sur des pianos ?
Ade : Je n'ai jamais beaucoup écouté de musique industrielle. Ce qui est intéressant, c'est qu'elle participe à la définition de ce qui est acceptable musicalement parlant. Produire une musique qui ennuie les gens ou qui les fait se réveiller en sursaut : c'est une vraie démarche.

Television Personalities Part Time Punks
Brian : Pas la moindre idée non plus.
Ade : Jamais entendu.

The White Stripes Broken Bricks
Ade :
Je n'ai pas vraiment écouté les White Stripes, les Strokes, les Von Blondies... mais ils ont de véritables parti-pris. Et ils ramènent dans la pop, qui commençait à s'endormir avec tous ces arrangements acoustiques, des éléments de rock'n'roll. Moi, ça me plaît beaucoup plus que Travis, Coldplay... Je trouve que les White Stripes sortent vraiment du lot alors que les Strokes me rappellent beaucoup de groupes de rock indépendants des années 80. Je n'irai pas acheter leurs disques pour autant.
Brian : A chaque foisque je vois les White Stripes en concert, ils m'épatent. Je me demande toujours comment ils peuvent faire autant de boucan à eux deux. La plupart des groupes auraient besoin d'au moins deux musiciens en plus pour en faire autant. Je trouve ce retour aux racines du rock'n'roll plutôt sain. Si ce genre devient la norme, alors je suis rassuré. Je préfère que des jeunes qui commencent à faire de la musique prennent les White Stripes pour modèle plutôt que d'autres. Je pense que la simplicité de leur alchimie peut donner envie à pas mal de musiciens en herbe de prendre une guitare et de jouer. Cette excitation me rappelle les débuts du punk.

"Quand nous tournons en Angleterre, on passe vraiment pour les ploucs de service."

C'est marrant quand même qu'ils aient publié deux albums sur un petit label américain sans que personne ne les remarque, et que tout le monde s'excite sur le troisième, qui est vraiment dans la lignée des deux premiers. J'ai l'impression que ce succès leur est vraiment tombé dessus par hasard comme il aurait pu tomber sur n'importe qui, à commencer par Clinic.
Ade : Le presse musicale anglaise a d'abord lancé la brit-pop, puis cette scène assez acoustique dont nous parlions tout à l'heure. Comme elle vu que ce courant commençait à s'essouffler, c'était assez prévisible qu'elle se tourne vers les Etats-Unis. Souvent, c'est juste une question de timing et rien d'autre. Le groupe était disponible pour tourner au moment où il fallait, publiait son nouvel album au moment où on l'attendait... Je pense que le fait que les White Stripes soient américains leur donne beaucoup plus de crédibilité aux yeux de la presse anglaise, beaucoup plus par exemple que Clinic.
Brian : Si les White Stripes venaient de Liverpool ou de Birmingham, ça n'aurait peut-être pas marché. Souvent, ça tient juste à ça. Pareil pour nous ; quand nous tournons aux Etats-Unis, les gens sont impressionnés par le fait que nous venions de Liverpool. Pour eux, c'est du sérieux. Alors que quand nous tournons en Angleterre, on passe vraiment pour les ploucs de service.
Ade : Les White Stripes sont fortement influencés par le blues. Un groupe anglais qui se revendiquerait de ce courant musical n'aurait aucune crédibilité face aux médias anglais étant donné que le blues n'est pas une musique qui prend ses racines en Angleterre. Eux, comme ils sont américains, ils sont censés avoir ça dans le sang. C'est dans leurs traditions.

Vous avez accompagné Radiohead sur leur dernière tournée et un de vos morceaux, " The Second Line ", a été choisi pour illustrer une campagne pour une marque de jeans. Avez-vous senti qu'à ce moment-là, vous auriez pu décoller ?
Brian : Ca n'avait pas du tout été calculé dans ce but. Nous ne cherchons pas à franchir les échelons d'album en album. Nous jouons la musique que nous apprécions, et si ça plaît aux gens, c'est un plus. On n'a pas de plan de carrière comme " l'année prochaine nous aurons vendu tant d'albums " ou " nous serons à telle place dans les charts ".
Ade : Ça marcherait si nos chansons étaient toutes semblables. Je crois qu'une des qualités de notre musique, c'est qu'elle est très variée. Ce n'est pas une formule que nous déclinons tout au long d'un disque. Nous ne balançons pas single après single de manière à rentrer dans les charts. Je comprends que cette variété puisse troubler pas mal d'auditeurs, mais c'est vraiment ce qu'on fait le mieux. Dès que tu commences à te répéter, les nouveaux morceaux ressemblent à des mauvaises copies des anciens...
Brian : Nous revendiquons complètement notre schizophrénie. Nous partons du principe que si c'est intéressant pour nous en tant que musiciens, ça peut l'être pour l'auditeur.

"Nous revendiquons complètement notre schizophrénie."

La campagne Levi's, ça vous a apporté quelque chose finalement ?
Brian : Beaucoup de gens ont vu d'un mauvais oeil qu'un groupe comme Clinic se corrompe dans une campagne commerciale, avec un gros annonceur comme Levi's. Moi, j'ai trouvé cette expérience très positive. Notre musique a été diffusée grâce au spot à des heures de grande écoute. Levi's avait déjà utilisé un morceau de Death in Vegas, qui est par ailleurs un groupe on ne peut plus respectable. En même temps que " The Second Line ", un titre de Boss Hog a également été associé à cette campagne. L'association avec ces deux groupes me paraît avoir du sens, ça n'est pas Britney Spears non plus.
Ade : L'industrie du disque a toujours été étroitement liée avec celle des affaires, que ce soit au travers des partenariats sur les festivals, des publicités dans les magazines... Indirectement, les groupes indépendants en ont toujours bénéficié. Ce serait malhonnête si on avait cherché à caser d'autres morceaux à d'autres annonceurs. Mais ponctuellement, ça ne me gêne pas. Nous avons pu voir au préalable les visuels qui allaient être utilisés, les spot qui allaient être diffusés... Je ne le regrette pas.

Ca vous a apporté beaucoup d'autres auditeurs ?
Brian : Je ne pense pas car " The Second Line " n'est pas devenu un tube pour autant. Les gens ont été mis au courant de l'existence de Clinic, c'est déjà ça. Nous n'avons pas vu la couleur de l'argent : il a été reversé directement à notre éditeur et notre maison de disques. Si ça les aide à signer d'autres groupes dans notre genre, ça aura servi à quelque chose. Même si cette publicité n'a pas eu de retombées directes, elles sont positives.

Beat Happening Pajama Party In a Haunted Hive
Brian : Je ne sais pas.
Ade : Non plus.

Pourquoi avoir choisi de signer avec Domino plutot qu'avec un label américain comme Matador ou K Records qui serait plus proche de votre son ?
Brian : C'est une question de personnes. Nous avons choisi de signer avec Laurence Bell, qui dirige Domino, parce que c'est un fan de musique avant tout. Il n'est pas carriériste. Domino est un des derniers vrais labels indépendants. Il nous fait totalement confiance sur l'artistique, domaine dans lequel il n'intervient jamais.
Ade : Laurence est anglais, il a toutes les cartes en main pour comprendre notre démarche et notre humour. Signer sur un label américain aurait été nous exposer à toutes les critiques, à commencer par celle de vouloir sonner comme les groupes américains. Domino est basé à Londres : c'est facile pour nous d'aller leur rendre visite, de passer la soirée à discuter en face à face. C'est bien plus facile que si nous devions communiquer uniquement par téléphone. Laurence est un garçon assez calme. Ce n'est pas la caricature du mec arrogant qui travaille dans une maison de disques. Nous avons vu d'autres personnes avant de signer, mais c'était toujours la même rengaine : " On adore ce que vous faites, mais... " (rires). Par ailleurs, ce qu'elles nous proposaient était vraiment très classique. On avait envie de travailler avec des gens un peu plus créatifs.

Avant Domino, vous avez publié vous-même vos disques ?
Ade : Oui. Nous avons dû mettre en sommeil le label actuellement car nous n'avons pas le temps de nous en occuper. Mais dès que l'occasion se présente, on reprendra cette activité.
Brian : Peut-être pas pour publier des albums, mais juste des singles de groupes qu'on a envie de pousser. Nous avons monté le label parce que nous en avions vraiment ras-le-bol d'envoyer des démos à des maisons de disques et à des magazines sans aucun retour. A ce stade, ça nous semblait plus censé de mettre la main au porte-monnaie et de presser nous-même nos singles, de manière à ce que la personne qui s'intéresse à notre musique reçoive un ensemble comprenant une pochette, des visuels... John Peel en a reçu un et a commencé à beaucoup le diffuser. Du coup, on a commencé à s'intéresser à nous. Je ne pense pas qu'il ait pu nous remarquer si nous ne lui avions envoyé qu'une cassette dans un boîtier plastique.

"Suicide me semble très surestimé."

22-Pistepirkko Frankenstein
Ade : Jamais entendu.
Brian : Je ne sais pas ce dont il s'agit.

Warsaw Interzone
Brian :
Je donne ma langue au chat.
Ade : Joy Division ? Je n'en gardais vraiment pas ce souvenir.

Suicide Johnny
Ade : Suicide. Je ne me souviens plus du nom du morceau. Pour moi, ils sont assez proche de The Jesus & Mary Chain. Je me vois encore en train d'acheter leur premier album. Je crois que j'étais plus enthousiaste que je ne le suis maintenant. Ça peut paraître très présomptueux de ma part, mais je trouve que Suicide est assez caricatural de l'attitude " rock indépendant ". Musicalement, il ne se passe pas grand chose : pas assez par rapport à ce que j'attends d'un groupe en tout cas. C'est le même reproche que je fais à The Jesus & Mary Chain : une trop grande similitude entre les morceaux. Moi, je ne garderai qu'un ou deux titres de leur premier album. Le reste, c'est quand même assez faible. Pourtant j'aime bien leur désespoir, leur avant-gardisme, mais Suicide me semble très surestimé. On les décrit souvent comme ayant été aussi importants que Kraftwerk, mais pour moi, entre les deux, il n'y a pas photo. Quand je lis le nom de Suicide quand un journaliste parle de Clinic, je me dis que c'est vraiment de la paresse de sa part. Tout ça parce qu'on utilise un orgue...

Kim Fowley Ain't Got No Transportation
Ade : J'adore " The Trip ", qui date du milieu des années 60, et aussi l'album Outrageous qui est sorti un peu plus tard. C'est drôle de constater que la plupart des groupes psychédéliques étaient inspirés par le rythm'n'blues, et que c'était surtout par leurs arrangements, notamment grâce aux pédales d'effet, qu'ils se démarquaient. Ça a donné des choses assez comiques. La plupart des groupes ne publiaient que quelques singles, très rarement un album. Ils n'étaient absolument pas préoccupés par l'idée de faire carrière. Ce qui les intéressait, c'était de prendre leur pied. C'est la raison pour laquelle ils enregistraient avec une telle liberté, sans aucune limite. Je pense que mes groupes favoris de cette période sont The Thirteen Floor Elevators et Chocolate Watch Band. J'ai récemment acheté aussi un album des Seeds très étonnant, Future. C'est un peu leur Sgt. Pepper's. Je connaissais bien leurs débuts, mais pas du tout cette période où leur musique devenait plus aventureuse : on peut entendre du tuba, du fouet... Il a récemment été réédité dans une collection où tu as deux disques pour le prix d'un. Future est un peu raté, mais dans ses bons moments, il se rapproche beaucoup du Satanic Majesties Request des Rolling Stones. On a l'impression qu'ils ont perdu le contrôle de leurs instruments, ce qui donne un coté encore plus psyché au disque.

The Roughnecks You're Driving me Insane
Ade : The Primitives ? Lou Reed ? The Roughnecks : je n'étais pas loin.
Brian : Nous existerions sans le Velvet Underground, mais ils nous ont sûrement fait gagner beaucoup de temps

Quelle est ta période favorite du Velvet ?
Ade : Le premier album.
Brian : Sans aucune doute, parce qu'il marie à la fois leur coté mélodique et leur coté déjanté. C'est un disque pour schizophrènes. Avoir sur la même face " Sunday Morning et " Venus in Furs ", c'est incroyable.
Ade : Au troisième album, tu distingues facilement les instruments, tu comprends mieux la mécanique de chaque chanson. Il reste cependant un très bon groupe. Sur le premier album, des morceaux comme " Black Angel's Death Song " ou " Venus in Furs " n'ont pas pris une ride. C'est leur période la plus radicale et la plus excitante. Je vais jusqu'à White Light / White Heat, qui pousse le bouchon encore un peu plus loin par rapport au premier album, surtout au niveau de la distorsion. Quand j'écoute actuellement " Black Angel's Death Song " ou " European Son ", je trouve que ces morceaux sont encore très forts, très inventifs.

On dit que si le Velvet n'a pas vendu beaucoup de disques à l'époque, tous ceux qui les ont acheté ont formé un groupe après ça. Est-ce que Clinic n'aurait pas existé sans eux ?
Brian : C'est une influence que je qualifierai de majeure pour nous. Je crois que si le nom du Velvet revient régulièrement à notre égard, c'est surtout en raison du changement de style d'un morceau à l'autre. Mais musicalement, je crois que ça s'arrête là. Il ne faut pas tout confondre. Notre son, d'orgue peut peut-être faire penser à celui du Velvet, mais c'est surtout l'esprit plus que le contenu musical.
Ade : Nous existerions sans eux, mais ils nous ont sûrement fait gagner beaucoup de temps. C'est assez cliché de dire que leur premier album est beaucoup plus inventif que beaucoup de ceux qui sortent actuellement... mais c'est pourtant la triste vérité. La technologie qui est arrivée après eux n'a pas apporté grand-chose en comparaison. Tout le monde s'est servi dans leur répertoire pour trouver son style.

Clinic - (compilation
des premiers singles)
1999 (Domino/Labels)

Internal Wrangler
2000 (Domino/Labels)

Walking with Thee
2001 (Domino/Labels)


Entretien Olivier Josso & Philippe Dumez | Dessins © Olivier Josso 2003