Fabrice Erre a au moins une raison d'en vouloir à 6 Pieds sous terre : nous avons gardé dans nos cartons son hilarant projet "Démonax, histoire du plus grand bandit de l'univers" pendant au moins 6 ans. Persuadé que nous l'éditerions un jour mais coincé par le quotidien d'une programmation de livres serrée où les auteurs publiés dans la revue Jade (à l'époque) avait la priorité. Régulièrement ressorti des cartons, histoire de se jurer qu'il allait falloir le publier un jour, c'est seulement fin 2005 que nous contactons l'auteur, au risque de nous faire envoyer paître par le compréhensible courroux d'un auteur n'ayant pas eu de réponse à son envoi pendant plusieurs années. Et bien pas du tout, Fabrice Erre dispose d'une patience et d'une gentillesse exactement à la mesure de son humour, ce qui n'est pas peu dire à la lecture de son ouvrage. Auteur inconnu, autodidacte, publié chez un petit éditeur, c'est comme d'habitude dans une certaine indifférence que l'ouvrage sort en mars 2006, sans battage médiatique. Oui mais voilà, l'ouvrage est là, irrésistiblement drôle, savamment orchestré, Fabrice Erre est un grand auteur de bande dessinée, nous le prédisons. Comme nous avons l'habitude d'avoir 10 ans d'avance (si, si, c'est vérifiable), nous ne pouvons que lui dire : patience...




INTERVIEW


Fabrice Erre


 

Vous allez participer au 5° Festival de la BD « Des Bulles dans la Cartagène» à Massillargues-Atuech en mars 2007. Pouvez-vous en quelques mots vous présenter ?
Je m’appelle Fabrice Erre, je suis né en 1973, l’année où Picasso est mort et où une crise économique se déclenchait. J’aurais donc pu avoir une enfance malheureuse, mais non. Un jour j’ai découvert les Schtroumpfs par une petite figurine qu’un ami m’a donnée à la récréation et ça a été une véritable révélation. Il s’agissait du schtroumpf à lunettes habillé en procureur. Cet objet est pour moi ce que le sou fétiche est à Picsou.

Comment un professeur d’histoire devient dessinateur de BD ?
L’inverse est tout aussi compliqué.

Quelles sont vos principales influences ?
C’est impossible à lister.

Racontez nous votre première planche : Les aventures de Pavel Mc Bubble en 1995 dans Fluide Glacial.
En 1995 mes parents m’ont fait un énorme cadeau : ils m’ont permis de prendre une année sabbatique pour dessiner. Au même moment, Fluide Glacial lançait un concours, comme celui qui avait consacré quelques années plus tôt le jeune Blutch. J’ai travaillé comme un forcené sur une histoire en 5 pages que je croyais très drôle. Pour me détendre après cette débauche d’énergie, j’ai dessiné aussi un gag idiot en couleur, un après-midi de week-end dans la cuisine de mes beaux-parents. J’ai envoyé tout ça au journal et un jour le rédacteur en chef m’a appelé pour m’annoncer que je faisais partie des lauréats. Pas pour mon histoire, largement en dessous des exigences, mais pour mon gag idiot. Cela m’a appris beaucoup.

En 2006, vous publiez Démonax, histoire du plus grand bandit de l’univers aux Editions 6 Pieds sous Terre. Comment vous est venu cette idée évoquant les romans feuilletons du début du 20ème siècle et ses grands héros comme Fantômas ou Arsène Lupin ?
Je ne sais pas. Avant de faire cette histoire, je n’avais jamais lu ce genre de bouquin, mais j’avais quand même vu la série avec De Funès. C’est sans doute le produit du processus d’influences impossibles à lister évoqué plus haut. De fait, il s’agit d’un cadre narratif très efficace, facile à emprunter pour une première expérience.

La trame de Démonax paraît se situer au début d’un vingtième siècle imaginaire. Vous êtes vous servi de vos connaissances historiques, vous êtes un spécialiste de la presse satirique du 19ème siècle si je ne me trompe pas, pour la création de cette histoire ?
Je fais effectivement partie du club très fermé des spécialistes de la presse satirique du XIXe siècle. Notre organisation est si secrète que je n’ai pas le droit d’en parler ni d’évoquer les informations historiques que je pourrais en retirer. Des intérêts que vous n’imaginez pas sont en jeu.

Vous avez développé l’histoire sur un format atypique, plus de cent pages d’un coup. Vous n’aviez pas envie d’un habituel album en 44 pages avec plusieurs volumes, une série classique quoi ?
Le fait d’écrire un scénario d’une manière un peu théorique est quelque chose de très compliqué. Pour surmonter ce problème, à l’exemple de Hergé dans Tintin au pays des soviets ou plus récemment de Lewis Trondheim et de son Lapinot, je me suis lancé dans cette histoire directement au dessin, page par page, avec en tête seulement le profil des principaux personnages. L’histoire s’est donc construite au fur et à mesure : à partir de la situation de départ, tout s’est enchaîné de manière assez naturelle et finalement les réactions des personnages s’imposaient d’elles-mêmes. C’est d’ailleurs un phénomène plutôt singulier. Je me suis donc arrêté quand la chaîne des événements liée à la situation de départ s’est épuisée.

Que s’est-il passé entre Fluide Glacial en 1995 et Démonax en 2006 au niveau bande dessinée ?
Rien au niveau bande dessinée. Mais tellement de choses dans d’autres domaines.

Et après Démonax, quel sera votre prochain projet dans le monde de la BD ?
J’ai deux projets en cours. Je ne sais pas s’ils aboutiront.

Démonax est en noir et blanc ce qui lui va très bien. S’agit-il de votre technique de prédilection ou envisagez vous des BD en couleurs ?
Il me semble que la technique utilisée doit être au service de l’esprit qui se dégage de l’histoire. Ce n’est pas un scoop, mais il faut bien reconnaître que ce n’est pas non plus une condition faisant l’objet de toutes les attentions dans la bande dessinée. Bon nombre d’albums sont coloriés pour mieux présenter, avoir une meilleure visibilité. Ce n’est pas un mauvais calcul, commercialement parlant : si vous saviez combien de gens m’ont fait remarquer que mon album n’avait pas l’air fini sans couleurs. C’est vrai aussi que dans beaucoup de cas, ça n’a pas vraiment d’importance. Mais dans Démonax, il me semble que le noir et blanc et l’utilisation raisonnée de graphismes participent à créer une ambiance. Ce n’est donc pas un choix par défaut. Pour d’autres projets, j’espère bien me servir d’autres ressources, dont la couleur bien sûr.



> Interview réalisée le 14/12/2006 par Gilles Triboulet © dans le cadre du 5ème Festival de BD de Massillargues-Atuech, « Des bulles dans la Cartagène ». Avec l'aimable autorisation de son auteur.
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