PANORAMIQUE : postface

        Plus le temps passe et moins je sais dessiner. Comme beaucoup des activités humaines, dessiner c'est trouver une solution à un problème. Face à un problème de dessin, dés le départ je ne sais pas comment le résoudre et je préfère trouver une solution plutôt que mettre en œuvre des gestes acquis. Donc je ne sais pas dessiner, et je persiste à apprendre.

        Je mentirai si je disais que je dessine tous les jours. Pourtant, j'aime cette idée d'une pratique quotidienne du dessin, d'une sorte de gymnastique graphique, comme un sportif fait son footing tous les jours. Ça se passe un peu différemment dans la réalité. Difficile de dire ce qui relève véritablement du dessin ou non ; en fait, la plupart de mes travaux sont réalisés dans un but précis, le plus souvent pour un livre. Et les circonstances dans lesquelles cela se fait, les structures au sein desquelles se font les livres et dont parfois je m'occupe moi-même font que le travail ne se limite pas à un contenu : il faut parfois réaliser des maquettes , des affiches , de la typographie , des logos ou comme tout récemment des lettrages pour une édition étrangère…

        Quand nous avons terminé « Le journal d'un loser » avec Lionel Tran, sur lequel nous avons passé trois ans, nous ne savions plus ce que nous avions tenté d'exprimer. C'était notre première collaboration et notre méthode de travail avait été très chaotique. Il fallait structurer, mettre en scène un propos ? le malaise qu'on pouvait ressentir par rapport à notre situation et à celle des gens de la même génération qui nous entouraient ? sur lequel nous avions du mal à mettre des mots et qui était perçu comme une agression et une incompréhension par les lecteurs de bande dessinée en général...

        Ce fut plus facile pour « Une année sans printemps » et « Une trop bruyante solitude », nos deux albums suivants, peut-être parce que nous avions rôdé notre manière de travailler, mais aussi parce qu'il était plus spontané, en rapport direct avec le dessin d'après nature dont je parlais. « Une trop bruyante solitude » est à l'opposé de ça : il a été entièrement réalisé d'après les photographies de Valérie Berge et ne me laissait, de fait, que peu de liberté. La technique en hachures utilisée était trèe répétitive et très longue, comme un travail artisanal, en lien avec l'histoire que nous racontions.

        Pour l'album « Trinité » , j'avais dessiné une première version qui m'a en quelque sorte servi de story-board pour la seconde, à une période d'inspiration un peu pauvre. J'ai l'impression qu'à nous deux nos livres sont plus forts, plus aboutis. Ce que je fais seul est plus bizarre, plus charmant, mais aussi, je crois, plus bancal.

        J'ai besoin d'un cadre assez rigide pour travailler. À chaque nouveau projet, il faut se demander quelle technique est la plus adaptée, qu'est-ce qui convient le mieux à ce qu'on a envie de dire. En même temps, il faut que ce soit quelque chose de suffisamment riche et excitant pour pouvoir passer du temps dessus sans s'épuiser, puisqu'on va passer plusieurs années avec cette technique-là. Il y a donc beaucoup de recherches différentes, je vais piocher des éléments dans mes carnets, ou bien dans des documents extérieurs : des photographies, des dessins d'autres personnes, ou bien encore ailleurs, dans des bas-reliefs romans, par exemple, comme pour le personnage de Méphistophélès dans le « Faust » que je prépare avec David Vandermeulen. Ce travail préparatoire se prolonge avec le découpage, une première mise en forme du texte avec le dessin, à la recherche du ton juste…

        Je suis de nature un peu angoissé, et j'ai besoin à un moment donné d'arrêter de me poser des questions et de tout remettre en cause, j'essaie donc de mettre en place un système graphique sur lequel il n'y a pas à revenir. Les choses se font rarement sans peine, et l'impression de ne pas savoir où l'on va est souvent là ; on peut toujours penser que cela aurait pu être mieux autrement, mais il faut faire avec. Finalement, si on est sincère, ça passe…

        Je ne pratique que peu le dessin d'après nature , et c'est dommage. Le modèle vivant demande de la rapidité d'exécution et ne supporte pas les doutes. Par rapport à des techniques plus travaillées, le dessin que je pratique dans ces cas-là est moins flatteur, il est peut-être plus fragile. Il s'agit de chercher une certaine justesse par rapport à ce qui se passe en face de nous… des choses difficiles à formuler encore une fois. J'ai essayé de conserver quelque chose de cela dans l'album « une année sans printemps » .

        « Une trop bruyante solitude » , l'album qui a suivi, est à l'opposé de ça : il a été entièrement réalisé d'après les photographies de Valérie Berge et ne me laissait, de fait, que peu de liberté. La technique en hachures utilisée était très répétitive et très longue, comme un travail artisanal, en lien avec l'histoire que nous racontions.

        La bande dessinée m'amène vers d'autres domaines, alors que j'avais choisi un moment d'arrêter d'autres activités pour me consacrer davantage à elle, ayant déjà un travail à coté. J'ai réalisé récemment des décors pour un opéra , et conçu des masques pour une troupe de musiciens , choses que je n'aurai jamais imaginé faire. La bande dessinée n'est donc plus maintenant mon activité principale. Pour autant, je ne suis pas prêt d'arrêter à en faire…

Ambre, 2004
avec l'aide de Lucas Méthé