Manipulateur d'images

Autodidacte né en 1968, Fredox puise son inspiration dans les magazines et les publications des années 1930-60, dont il détourne les photographies, qu’il recontextualise –après en avoir effacés les référents historiques- dans une zone dévastée oppressante, où, à l’ombre d’omniprésents pouvoirs technicoscientifiques, le corps est systématiquement martyrisé. Figure capitale du mouvement undergraphique français, il est l’instigateur du mythique graphzine Stronx et collabore régulièrement avec les éditions du Dernier Cri, chez qui « les dossiers noirs de l’histoire » sortiront au cours du second semestre 2001. Outre des pochettes de disques (notamment pour le groupe Unsane), il a réalisé l’affiche de Freak Zone, le réputé Festival du Film Trash de Lille en 1996.

 

Fredox

La pertinence du travail sur l’image (extrait) que réalise Fredox depuis une quinzaine d’année, devient de plus en plus incontournable alors que nous nous penchons sur la dimension propagandiste de l’imagerie photographique du XXème siècle. Son utilisation iconoclaste de documents historiques auxquels il mêle à la fois documents médicaux légaux, encarts publicitaires et pornographies rejoint sans conteste possible les recherches du chinois Chen Chie-Jen -présentées lors de la Biennale 2000 de Lyon- en qui il reconnaît d’ailleurs un pair. Issu de la première génération dont le regard s’est forgé avec la télévision, ayant grandi alors que s’effondraient l’ensemble des idéologies ainsi que les utopies qui les sous tendaient, son point de vue est celui d’un spectateur à la lucidité violente et désenchantée. Le sentiment qui se dégage de ses images, passé le cap de l’ironie sous-jacente, est celui d’un monde en guerre perpétuelle, dont les fondements rationnels (industriels, médicaux, militaires) font planer une menace permanente. Un monde où l’individu, frappé de stupeur, est livré à ses instincts et dont la corporalité a littéralement implosé sous l’effet des maladies qui le ronge de l’intérieur. La crudité de ce regard, à mettre en parallèle avec la fascination de cette génération pour le corps mis à mal (qui trouve son porte voix dans les travaux du cinéaste David Cronemberg), loin d’être une provocation est à prendre comme un témoignage sur l’état d’esprit qui accompagne les mutations de notre monde.

Propos recueillis...
« Ce qui est essentiel dans mon travail, c’est le fait de prendre des images qui existent déjà, qui sont accessibles à n’importe qui et de les faire parler, d’en faire une relecture. Je pars d’une base photographique réelle, de quelque chose qui a eu lieu. Mes images provoquent parfois des réactions violentes, ce qui est compréhensible et pourtant j’ai envie de dire que les sources dont je me sers sont réelles, il s’agit de véritables cadavres, ce qui est choquant le plus choquant c’est que j’ai accès à autant d’images de ce type.
Quand on considère ce qu’est l’image aujourd’hui et l’utilisation qui en est faite, il est évident que ce travail est éminemment politique. L’image est un domaine qui est tellement sensible que le simple fait d’y toucher me fait mettre les doigts dans quelque chose de forcément dérangeant. Il serait intéressant d’ailleurs d’explorer en profondeur les raisons qui font que lorsque l’on juxtapose des images disponibles -j’insiste sur ce fait- de catégories bien marquées et séparées, on obtient quelque chose de l’ordre du tabou. Il y a également une dimension ironique dans mon travail et pourtant ce n’est pas drôle ; ce dont il est question est même plutôt triste. Par exemple lorsque j’utilise des vieilles publicités des années 1930 ou 60, tout le monde trouve ça amusant parce que les intentions propagandistes crèvent les yeux et pourtant lorsque l’on regarde la publicité aujourd’hui, il s’agit de la même chose, c’est exactement les mêmes ficelles qui sont utilisées mais nous ne nous en rendons pas compte. Je travaille essentiellement avec des documents datés, sur lesquels j’ai du recul, je ne crois pas que je parviendrais à faire le même travail sur des documents actuels, qui poseraient de toute façon le problème des droits.
J’ai commencé à faire des collages manuellement et depuis quelques années je travaille sur ordinateur, mais je ne suis pas du tout fasciné par la technologie, j’utilise uniquement Photoshop de manière basique –comme une paire de ciseaux et de la colle. L’imagerie cyber futuriste ne m’intéresse pas, j’ai l’impression qu’elle va à l’encontre de ce que j’essaie d’exprimer, la fascination qui l’alimente est du même ordre que ce que je dénonce.
Ma base de travail est un matériau photographique que je réagence de manière fantasmatique –mes images ne sont pas réalistes, on discerne au premier coup d’œil qu’il s’agit de montages et pourtant aucun élément qui les compose n’est synthétique, imaginaire, tout est réel. L’idéal serait de tirer ces images sur un support photo pour qu’elles puissent circuler de la même manière que les images dont je me suis servi. Les faire vivre sur un support informatique -sous forme binaire- m’intéresse beaucoup moins. »

Bibliographie
Ouvrages
Les Dossiers Noirs de l’Histoire (Le Dernier Cri, Marseille, 2001) / Bonjour Bonheur (le Dernier Cri, Marseille, 1996)
Revues Hôpital Brut (numéro 1 à 5, Le Dernier Cri, Marseille,1997-2001) / Stronx (5 numéros de format différent, autoproduit, France, 1990-99) /
Crachoir (Les éditions du Cardinal, France, 1997-99) / Erogotoshitashi (Gotoproduction, France, 1996) / Le Dernier Cri # 10 (Le Dernier Cri, Marseille, 1996) / Castapiane (Gotoproduction, France, 1995)
Films d’animation Hôpital Brut (L’œil du cyclone, Canal +, 1999) / Le Dernier Cri (L’œil du cyclone, Canal +, 1997)
Extraits de stronx #2 >1 >2

Propos recueillis par © Lionel Tran à l'occasion de l'exposition que Fredox proposa ce début d'année à la galerie Marquis

Depuis 1999, Marquis est un espace où sont pratiqués le piercing et le tatouage dans un esprit professionnel ouvert et chaleureux. Situé au centre ville de Lyon, à quelques mètres de la place des Terreaux, Marquis présente un choix d’ouvrages rares et de K7 vidéos concernant les modifications corporelles et les pratiques physiques hors norme, ainsi qu’une sélection de publications touchant à la culture parallèle.
Dès son ouverture la boutique a proposé des expositions de jeunes créateurs Lyonnais (Stéphane Barry, Thomas Foucher, Valérie Berge, compléter…). En 1999 son espace d’exposition s’est associé avec l’espace des Arts Confondus du Pez Ner, dirigé pour la Tanatofoto (où ont été présentés les photographies de Gilles Berquet, Romain Slocombe, Jonathan Abbou, Lionel Bayol-Themine, Philippe Assalit, Bruno Wagner, Marie Claire Cordat, Maki) ainsi que pour une exposition de photographies prises lors de la tournée de Ron Athey par Damien.