LES 7 FAMILLES DE LA BANDE DESSINÉE #1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 | 7

l'électron belge

Avec frigo Revue, les éditions suisse Atoz nous révélaient au début des années 90 le talent d’une poignée de jeunes graphistes belges, Thierry Van Hasselt, Vincent Fortemps, Olivier et Denis Deprez et Dominique Goblet. Rassemblés dans le collectif Fréon, ils continuent l’expérience à travers Frigobox. La parution des albums Les nébulaires, Portraits crachés et Cimes marque leur singularité éditoriale. Depuis deux ans, l’édition de livres d’Alex Barbier, Martin Tom Dieck et Stefano Ricci souligne l’excellence graphique devenue leur signe distinctif.
Fréon
Légendes : T (Thierry Van Hasselt) / V (Vincent Fortemps)
 
Jade : Pouvez-vous définir les éditions Fréon ?
Thierry Van Hasselt : L’idée, je pense, c’est de défendre une bande dessinée assez difficile. Une bande dessinée d’auteurs, qui réfléchit sur ses spécificités à chaque niveau de construction, que ce soit le dessin, l’écriture, la structure du récit, jusqu’à la conception du livre, ça peut même aller jusqu’au moyen de diffusion du livre. Notre idée c’est de prendre en charge vraiment tous les paramètres du livre et du récit et de travailler là dessus de la façon la plus libre et la plus approfondie possible. On ne peut pas séparer ça du fond. On essaye de raconter des choses qui soient entières, fortes, questionnantes. Notre démarche elle n’est pas uniquement formelle. On ne veut travailler qu’avec des gens qui ont des choses fortes à raconter et qui réfléchissent, qui ont une manière de les raconter qui est puissante. La façon de raconter, c’est la première chose qui fera que ce sera fort, je pense. C’est un peu l’idée de Céline par rapport au style. Il n’y a pas de différence entre le style et ce qui est raconté. Pour nous la Bande dessinée c’est quelque chose de très large, on est plus intéressé par l’idée d’image narrative. Ce qu’on ne peut pas enlever, c’est la narration, mais ça peut aller jusqu’à des choses qui soient plus illustratives. Par exemple le livre d’Alex Barbier, « De la chose », c’est aussi presque de la narration, parce que la succession de ces images, le texte qui est mis, il n’y a pas de narration dans chaque image mais l’objet en lui-même ça devient quelque chose de narratif. C’est un peu ça l’idée. Puis, c’est avant tout un espace de liberté pour les auteurs. Au départ on l’a créé pour nous cet espace de liberté, pour nous quatre et puis les gens qui tournaient autour de nous et puis on a eu envie de l’élargir et puis on a invité plein de gens, qui au départ aussi, comme Alex Barbier, c’est des gens qui nous ont donné envie de faire ce type de bande dessinée là.
A la base, vous vous sentiez plus auteurs qu’éditeurs ?
T : La première expo qu’on a fait c’était des portfolios en gravure et là c’est vraiment bien symptomatique de notre travail, c’est à dire qu’on a tout fait nous même, on a gravé les plaques et puis on les a imprimés, puis on a fait l’objet, la reliure et on a été vendre les livres et je pense que pour nous c’est vraiment un tout. Ça nous excite autant de travailler sur un livre, de se dire quel papier on va prendre pour que ce soit convenable. Dans les livres qu’on fait, par exemple, nous on refuse vraiment l’idée d’une maquette pour la maison d’édition ou pour les collections, que visuellement tu dis « hum, ça c’est un bouquin de Fréon, c’est la collection Amphigouri », tu le vois directement parce que c’est très typé. Nous l’idée c’est que chaque bouquin doit avoir sa maquette propre et une autonomie totale. Tout est étudié pour le livre en lui même et pas pour son appartenance à une collection, à une maison d’édition. Ça je crois que c’est vraiment important. Et le Frigo box il change tout le temps, on n'arrive pas à avoir une stabilité non plus par rapport à ça. Le Frigo box on fera peut-être trois numéros avec une maquette puis on en a marre, on veut changer. On serait incapable de commencer une revue et de lui donner une maquette définitive et de s’y astreindre ne fusse que deux-trois ans. Je pense qu’on a besoin toujours de bouger. Et c’est en ce sens là que pour nous l’édition, c’est comme être auteur parce qu’on est toujours excité par des papiers, par des types de reliures, ça fait partie vraiment du travail artistique.

C’est quelque chose d’assez nouveau et d’assez global, en tout cas d’autres créateurs cherchent à se réapproprier la fabrication de leurs ouvrages. En même temps cela rejoint ce qui se faisait avant, lorsque les auteurs allaient faire composer leur livres ou qu’il faisait exécuter leurs gravures, ce qui n’a plus été le cas pendant une période où les éditeurs ont été les seuls à prendre en charge ce travail.
T : Dans la bande dessinée c’est quand même du standard. Nous on ne se définit pas par rapport à ça. C’est notre plaisir, on n’envisagerait pas de faire autrement. Et d’ailleurs quand on doit entrer dans des projets comme ça et qu’il y a des choses qui viennent avec des contraintes, quand on nous dit «on va faire un livre comme ça avec des trucs à vous », on ne peut pas nous enlever le fait de choisir nous même les papiers, même la maquette, la couverture, tout.
Vincent Fortemps : Sinon on est un peu agressé.
T : Notre travail d’éditeur il est là aussi, on aime aussi faire cette réflexion pour d’autres, ou avec d’autres. Quand on travaille un livre avec Martin Tom Dieck, Stefano et Giovana Ricci, eux, ont une autonomie de ce côté là. Là où en tant qu’auteur éditeur on trouve notre intérêt, c’est d’avoir des échanges avec d’autres gens, les gens qu’on édite on aime bien réfléchir avec eux à la façon de faire leur livre.

Quels sont les buts que vous vous étiez fixé ?
T : Ce qui s’est passé, c’est qu'au tout début, quand on est sorti de Saint-Luc (Ecole de Bande Dessinée de Bruxelles), assez vite on s’est rendu compte qu’on ne trouverait pas notre place chez les éditeurs traditionnels, les éditeurs indépendant c’était pas encore trop ça et puis on était tombé sur Atoz, un fou furieux suisse, et il nous avait fait des livres somptueux et puis il a disparu dans la nature donc on s’est retrouvé seuls, il fallait qu’on continue quand même.
V : On avait été très gâté… Il fallait qu’on survive à ça.
T : On s’est dit on va faire notre revue, elle va être plus cheap, on va faire ce qu’on peut faire et on a lancé Frigo Box, mais sans savoir du tout ce qui allait en sortir. Le but c’était créer vraiment un laboratoire, très régulier, qui nous donnerait une énergie pour encore travailler, donc ça devait sortir tous les deux mois, bon au départ c’était que des travaux d’auteurs autour de nous et après ça il y a Denis qui avait fini son bouquin « Les nébulaires », donc on a dit bon, on va faire le livre mais on s’est toujours lancé là dedans d’abord sans savoir financièrement comment on allait s’en tirer, parce qu’on n’avait pas d’argent, donc on a toujours chipoté pour trouver des sous, parce qu’on a eut des subventions mais beaucoup plus tard. On est partis un peu comme ça à l’aveuglette et je crois que tout s’est construit un peu au fur et à mesure, puis on a rencontré Alex Barbier, On a rencontré Latino avec Vertige Graphique et on a commencé à publier du Breccia, tout ça s’est construit progressivement, puis on a voulu élargir. Mais au début on n’avait pas vraiment d’objectif, à part, nous continuer à exister, c’était vraiment une urgence.
V : On faisait pas mal d’expositions au départ. On était existant par nos expositions je crois. On a fait aussi Autarcic Comix, donc réunir tous les auteurs qui étaient proches de nous et créer vraiment une synergie, rassembler Amok, l’Association…
T : On voulait qu’il se passe quelque chose en Belgique, parce que pour nous c’était vraiment dur. Maintenant ça va mieux en Belgique, mais alors quand on a commencé c’était vraiment, vraiment réactionnaire. Tout était vraiment comme le centre de la bande dessinée aujourd’hui, un truc vraiment figé. Donc il fallait amener une espèce d’énergie à Bruxelles. Notre culture, qui n’est pas démesurément liée à la bande dessinée, nous amenait à faire ça. Par le cinéma, par la littérature, par la peinture, par tout ce dont on se nourrit et une petite partie c’était la Bande dessinée. Evidemment on était en très fort décalage avec la bande dessinée.

Et en même temps il y a l’envie de faire quelque chose de novateur mais dans la bande dessinée.
T : Nous notre truc c’est de raconter. De raconter des histoires mais de trouver le moyen pour nous le plus fort de le faire. Pour nous un récit ça doit être quelque chose d’ouvert, contrairement à la majorité de ce qui se fait dans la bande dessinée, il y a polysémie. Nous on veut faire quelque chose qui reste ouvert, qui amène une certaine étrangeté. Je pense que la réflexion sur le récit chez nous elle est prépondérante. La critique qui revient pas mal par rapport aux indépendants c’est « oui mais il n’y a pas d’histoire, c’est le dessin ». C’est inconcevable, parce que la première réflexion elle est sur le récit et pour nous la Bande dessinée c’est vraiment un langage, un vocabulaire qui est hyper, hyper riche, qui nous intéresse à fond et je pense qu’il faut ramener des choses d’ailleurs dans le champ de la bande dessinée, mais il ne faut pas se positionner dans un autre champ. Nous on n’a pas envie de se positionner dans un autre champ parce que là on est maladroit, on n’est pas très assuré, tandis que c’est l’unique chose qui resserre le cocon je crois.

Comment la confrontation au monde de l’édition vous a fait évoluer ?
T : Frigo Box c’était vraiment le laboratoire à tout niveau, pour nous en tant qu’auteurs au niveau du récit, mais aussi en tant que maison d’édition. C’est l’édition qui nous a amené à utiliser le matériel informatique, par exemple, alors que sinon on n’y serait pas amené, aussi la construction d’un livre par cahier, dans frigo box on avait des papiers en couleur, ça devient une contrainte de structure pour la narration aussi et je pense que c’est vraiment ces interactions là, on a vraiment voulu se plonger là dedans et maintenant dans nos récits en tant qu’auteurs, quand on commence presque à faire le scénario ces problèmes de cahiers peuvent déjà intervenir. Je pense qu’on est plus objectif sur l’édition, le public qu’on touche, savoir que c’est un travail de longue haleine.

Vous vous êtes toujours intéressé à l’aspect du livre, à la fabrication du livre ?
T : Ouais. C’était ça le début. Les premiers trucs qu’on a faits, c’était en gravure, même les livres qu’on a faits chez Atoz c’était ça, c’était réfléchir sur les papiers, les bichromies avec des inversions de films, des trucs comme ça. Ça a toujours été un terrain de jeux. Au niveau des livres on est toujours fort à l’affût, en photo, les livres de Twin Palms par exemple, on regarde toujours comment c’est fabriqué.
V : On regarde la couture ! (rires)
T : On regarde les trames au compte fil. Ça reste dans un contexte semi-industriel, mais de voir économiquement ce que tu peux faire pour le même prix si tu réfléchis un peu plus, si tu t’y prends autrement pour ton scannage, flashage. Utiliser des trames aléatoires c’est pas beaucoup plus cher mais tu n’as aucun imprimeur qui ne veut le faire, tu vois, c’est aussi un travail de recherche de trouver un imprimeur avec qui tu peux avoir un dialogue, une complicité. Nous pour chaque livre on change d’imprimeur quasiment, on essaie de trouver l’imprimeur le plus spécifique pour un travail qui doit être fait, nous ça nous passionne vraiment ça.
Combien de titres sortez-vous par an ?
V : Quatre –cinq, je pense. On aimerait bien en faire plus. On a pas mal de projets, mais on a un embouteillage. Ça s’accumule.
T : On a plein de trucs qu’on voudrait sortir qui pourraient être fait mais au point de vue thune on a un peu peur. Donc on sait pas trop comment. En fait il y a eu un moment où au début, on avait tous pleins de trucs et puis il y a eut une espèce de très long blanc où tout le monde travaillait sur ses récits et personne n’avait fini parce qu’on fait tous des très longs récits. Il y a eu le livre de Vincent et puis il y a eut tous les auteurs étrangers, dans tous les sens du terme, il y a eut Martin, il y a eut Stefano, Alex. Et puis maintenant on va tous avoir fini nos récits en même temps, ça doit sortir et on a d’autres auteurs étrangers qu’on aimerait publier. Donc il faut qu’on établisse une hiérarchie dans tout ça pour voir comment on peut faire parce que les livres ça nous prend quand même beaucoup de temps.

Economiquement, vous fonctionnez comment ?
T : On bricole. En général on fait un livre parce qu’on a vraiment envie de le faire et parce qu’il doit exister mais on se soucie pas trop de savoir comment on va le payer. Bon maintenant le problème c’est qu’on va en avoir cinq à faire il faut quand même qu’on s’en soucie sinon on est mort.
V : De toute façon sortir un livre c’est toujours un risque pour nous, c’est énorme…
T : Bon maintenant ça commence à tourner parce qu’on commence à avoir un catalogue important et que tous les livres qu’on a faits jusqu’à très peu de temps sont tous payés donc ça continue à rentrer de l’argent. Ça commence fonctionner comme ça et ça devient assez stable, mais on n’a pas encore la capacité de payer quelqu’un dans Fréon pour travailler la gestion des projets éditoriaux. Nous là dedans on ne gagne pas un rond. Mais depuis que ça existe ça n’a toujours fait que se stabiliser et se renforcer donc, bon, on espère un jour arriver à ça, mais pour nous le plus important avant tout c’est d’arriver à gagner notre vie en tant qu’auteur et que la structure puisse un jour nous permettre ça.

Quand vous publiez des livres chez Fréon, vous sous rémunérez ?
T : Il y a des droits d’auteur. Comme les livres des autres auteurs, c’est la même chose. Mais bon c’est jamais énorme, avec des livres à 1500 exemplaires. Les livres couleur, Anita et Lettres au maire de V., ça c’est des plus gros tirages, avec la couleur il n’y a pas vraiment le choix.

Editorialement, quel a été votre plus grande réussite ? Et le plus grand échec ?
V : Mon bouquin… (sourire)
T : C’est très difficile à dire. Je pense que c’est les Frigo Box dont on est le plus vite lassé, parce que là c’est vraiment un processus sériel et ça sert à ça, c’est un laboratoire. Disons que moi je suis très content du projet de Frigo Box dans l’ensemble, mais après ça de numéro particulier, je ne saurais pas répondre…
V : Il y a eu une déception, c’est pour les nébulaires, on espérait vraiment un impact important parce que c’est un livre formidable et c’était le premier livre qu’on a fait et il a essuyé les plâtres.
T : On fait beaucoup de mauvais choix, on n'aurait pas du le faire sur ce papier là, on aurait dû faire un plus grand tirage pour le vendre moins cher. C’était le premier livre qu’on a fait, après c’était " Portrait Craché ", en fait chaque livre il y a des choses qui restent très fortes et des choses qu’on aime moins. Par contre sur les derniers livres qu’on a faits, par exemple " Lettres au maire de V.", moi j’ai encore rien à redire. Pour moi c’est vraiment une réussite. Chaque livre a aussi son contexte particulier. " Anita " c’est un livre dont on n’a pas fait nous la conception, on en a discuté avec Stefano, mais comme Stefano est aussi graphiste, c’est eux qui ont géré ça. Pour nous c’est une réussite aussi parce que c’est bien de pouvoir proposer un livre qui est fait comme ça. Chaque livre a vraiment un contexte particulier. En fait je crois que c’est les derniers livres dont on est les plus fiers. C’est à partir de " Cimes " qu’il y a vraiment une identité, une façon de travailler qui a été mise au point. " Les nébulaires " et Portraits crachés c’était encore les moments où tout se mettait en place, tout se cherchait, même si c’est des livres qui pour moi restent très forts.

Comment vous voyez l’évolution de votre structure ?
T : Dans la continuité. L’idée c’est de continuer à faire des livres. Là on va faire le " FrigoBox 10 " qui est un peu une clôture d’une série, puis on va relancer une nouvelle formule, puisqu’on a un gros projet lié à Bruxelles capitale de l’Europe en l’an 2000. On va faire intervenir des auteurs d’un peu partout à Bruxelles pendant un mois sur le thème de la ville et on va faire trois revues là dessus et après ça on envisagera une autre formule du " Frigo Box ", ou on l’abandonnera, en fait on ne sait pas trop, on n’a pas vraiment d’idée. C’est un peu comme chaque livre, comme il n’y a pas une idée de maquette, de collection, il n’y a pas une idée d’une identité forte qui passe avant le livre, dans la même idée on ne sait pas très bien vers quoi on va. On veut que la structure qu’on mette en place soit très mobile, qu’elle puisse s’adapter si on change, qu’elle puisse s’adapter selon nos préoccupations d’un moment ou d’un autre C’est clair que la collection Amphigouri c’est une collection dont on est quand même assez fier et puis on voudrait qu’elle grandisse, je pense que ça c’est un truc qu’on n'arrêtera jamais, la collection Quadrupède aussi, elle a son sens, donc ça c’est les deux collections qui a mon avis resterons mais je ne vois pas très bien pourquoi on ferait des bandes dessinées dans une autre collection que Amphigouri, je ne vois pas la nécessité d’en créer une autre. Comme des livres d’images mais qui ont une espèce de sens narratif dans leur objet, je ne vois pas non plus pourquoi ils se situeraient autre part que dans Quadrupède. Il pourrait y avoir encore une collection mais je ne vois pas encore sa spécificité. Le Frigo Box, quand à lui il sera toujours remis en question, c’est pas sûr qu’on continue toujours. Là je crois que Frigo Box on est arrivé un peu au bout de ce qu’on lui demandait, donc on va faire un dernier numéro, on a vraiment très envie de faire celui là, puis on aura une raison de faire autre chose avec le " FrigoBox " pour Bruxelles 2000 mais après si on n’a pas encore une raison de faire quelque chose d’autre, je ne sais pas si on le fera. Mais je crois qu’il y aura une nécessité parce qu’il y a pleins de travaux de jeunes auteurs, de gens qu’on aime bien, qu’on aimerait bien pousser à travailler et pour lesquels on ne peut pas faire faire des livres directement donc " FrigoBox " c’est un bon support pour ça. Là on a parlé de l’édition mais on a une pratique qui va de plus en plus se décliner sur trois supports qui sont : la publication papier, les expositions –qu’on appelle les espaces narratifs- et on aimerait bien développer quelque chose sur internet aussi. Bruxelles 2000 ça va vraiment être une occasion de travailler sur ces trois supports en même temps. Je pense que ces trois supports, c’est un peu comme des collections pour lesquelles on va avoir chaque fois une structure spécifique. Les espaces narratifs, pour nous c’est presque comme un travail d’édition, c’est trouver une structure spatiale que chaque auteur puisse investir par son récit. Et donc là on en a deux, le FX espace narratif A et le FX espace narratif b. Le A c’est une grande boite de 10 mètres sur 5 et de 2,5 m de haut, qui est traversée dans sa longueur au centre par un couloir et de chaque côté de ce couloir il y a quatre cellules de 2,5 sur 2,5 m et il y a une cellule par auteur et chacun installe son récit. L’espace narratif B c’est un grand fly-case qui fait 1,5 m de long 1,5m de haut et 1 m de large dans lequel chacun a mis des boites, c’est un kit, du l’amène dans un endroit et avec les boites, tu montes une installation de chacun. Pour nous c’est un peu comme une revue, dans l’idée ou on propose aux auteurs un support qu’ils peuvent s’approprier pour mettre leurs récits, mais là dans l’espace au lieu de la mettre sur papier. Mais en tout cas on trouve cela vachement important parce sinon pour nous l’idée de l’exposition de planches traditionnelles ça se résume un peu à du promotionnel, on trouve ça plus intéressant si ça devient un travail en soi. Et le Web, on voudrait trouver aussi un statu qui fasse que ça devienne un travail en soit , que ce ne soit pas juste avoir notre catalogue sur un site et que des gens puissent voir ce qu’on fait, ça doit devenir un support de travail.
V : Il y a beaucoup de possibilités dans Internet.
T : A côté de ça on fait beaucoup de graphisme, on travaille pour des événements culturels. A Bruxelles, ce qui est intéressant c’est que c’est très informe, c’est très flou la forme que ça prend les interactions, entre Fréon plus d’autres graphistes. On a fait une autre association pour le « graphisme d’auteur » mais tout ça devient assez flou et pour finir on se met en réseau avec des projets dans d’autres domaines, culturel ou sociaux et les échanges se font sur plein de niveau. Je crois que l’évolution de Fréon va un peu dans ce sens là, ça navigue et puis ça trouve un peu chaque fois des voies mais on n’a pas envie de dire : voilà, on va faire ça pendant les cinq prochaines années. Ce qui est sûr c’est que moi je travaille sur un livre depuis 4 ou 5 ans maintenant ça va être fini, ça va sortir, je travaille sur un autre livre, Vincent a des livres en chantier, Denis aussi. Quand on commence un travail on sait que ça va durer plusieurs années et il faut quand même que la maison d’édition puisse nous assurer que quand le livre sera terminé elle pourra le sortir et que ça existera toujours et tout. C’est important de travailler en ayant cette espèce de certitude là, mais c’est tout en fait. Après on voit qu’on s’implique dans les projets qui n’ont rien à voir avec la Bande dessinée qui nous excitent aussi peut être que la maison d’édition va glisser vers d’autres… On veut rester assez mobile dans ce sens là.

On va aborder une partie plus polémique…
V : Ahhh ! (rires)
T : Les grands mots ! (rires)
Que pensez-vous du travail des gros éditeurs ?
V : Ah, ça va, on s’attendait à une méchanceté contre nous…
T : Ce que ce pense, c’est qu’au début des années 80 il y avait derrière le travail des gros éditeurs vraiment une ambition quelque part artistique. Je pense surtout à A suivre, cette idée de roman dessinée. Il y avait une pensée derrière tout ça et j’ai l’impression que c’est complètement disparu. Métal, Les humanos c’était des gros éditeurs, c’était des sociétés commerciales, pas comme ce qui se passe actuellement dans le milieu indépendant, c’est des associations, c’est vraiment quelque chose de très curieux en fait. Et il y avait du fond, il y avait une rage, Métal c’était quand même quelque chose, Charlie , L’écho, Futuropolis, enfin tout ça, c’était vraiment très sensé. Alors que maintenant il y a vraiment une perte de sens, une perte de fond et plus de travail d’édition. Je pense qu’il y avait des gens qui avaient quand même envie de faire quelque chose d’une façon plus gratuite. Dans un même journal il y avait toujours des trucs très bons et des trucs dont on n’a rien à cirer mais tu pouvais quand même trouver ton compte. Je ne sais pas, j’imagine, bon je n’ai pas vraiment connu cette époque là, mais si tu achetais Métal ou les autres et tu trouvais toujours quelque chose de bien dans un de ces supports, moi maintenant je ne vois pas quel support j’achète ou je trouve quelque chose de bien dedans, ou alors vraiment épisodiquement, mais alors il faut vraiment les acheter chaque mois et te dire je vais acheter celui-là pour cinq pages une fois tous les 6 mois. Par exemple, je ne vois plus très bien ce que Casterman ou les Humanos défendent comme idée de la bande dessinée, même ce que Delcourt défend comme idée de la bande dessinée c’est très maigre. Et je trouve ça dommage parce que je pense que c’est pas parce qu’il y a commerce qu’il faut effectivement balayer ça. Il y aurait moyen de lier les choses. C’est comme le marché, on voit, si cette bande dessinée là s’écroulait complètement on serait nous aussi foutus. Si les libraires n’ont pas leurs XIII, je ne sais pas avec quel argent ils achèteraient nos livres. Donc c’est très dommage. Mais sinon ça ne nous préoccupe pas tellement, à Fréon je suis le seul à jeter encore un regard sur la bande dessinée, parce que les autres ils n’y connaissent rien… Je suis le seul qui lise encore des trucs qui parlent de BD.
V : C’est bien.

A travers Frigo, vous semblez revendiquer une forte militance, traitée de manière dérisoire…
T : Hum, hum. (silence) Ben, c’est un peu se battre contre des moulins, je veux dire on a des idées très fortes. Ce qu’on fait, la manière dont on le fait, la manière dont on le vit c’est quand même aussi un engagement, parce qu’on ne gagne pas notre vie. Moi je suis officiellement homme au foyer. (rires) Bon, avant on était tous chômeudars et tu vois là on est tous à bosser.
V : Je crois que c’est aussi lié à notre humour. On a toujours une distance. On a une dérision.
T : On sait très bien qu’on a envie de dire des choses importantes mais on sait très bien qu’on ne va pas les dires à grand monde (rires) et donc ce truc là ça devient un peu dérisoire et ça nous plaît bien cette idée là. Je ne sais pas comment dire. On se demande toujours qui va lire ce qu’on raconte. (rires) Si ça sert à quelque chose. Mais d’un autre côté ce n’est pas possible de ne pas le dire, de ne pas le faire, sinon on n’existerait pas. Je ne sais pas ce que je ferais. Je vois par exemple par rapport aux gens, bon, nous on est tous sortis d’école d’art, on est des érudits diplômés officiellement, on a eut une éducation conforme et je vois que les gens qui sont sortis en même temps que nous, ils ont fait souvent d’autres choix. On commence par se dire on va d’abord gagner du fric et puis après on va faire ce qu’on veut et puis ça, ça ne marche jamais. Tu les vois…
V : Ils vivotent.
T : Et je crois que c’est un peu lié à tout ça. Nous pour finir on arrive quand même à s’en sortir, mais en même temps à qui on parle, je ne sais pas. Ce qu’on fait pour nous c’est tellement important, existentiel quelque part et puis tu fais un Frigo Box et puis tu le vends à 400-500 exemplaires. C’est peut-être un peu de là que vient le ton…

Dans les éditos de Frigo Box, vous oscillez entre un ton extrêmement sérieux et une grande auto-dérision. Ouverte mais pas affiché clairement, il y a une part de provocation là dedans…
T : Oui, je pense. Et puis ça ne nous intéresse pas que les choses soient claires aussi. (rires) On ne veut pas, on n’est pas des prophètes, mais les prophètes ne sont pas clairs non plus. (rires) Au niveau culturel, ce qui m’intéresse le plus dans la littérature ce sont les choses qui ne sont pas claires. C’est toujours cette histoire de polysémie. Il faut que ce soit ouvert, que ça annonce quelque chose et que ça le casse simultanément. Je crois que le doute, l’informe c’est la basse de notre travail. Et cette auto-dérision, je pense qu’elle est liée à ça et c’est aussi lié à cette identité qu’on ne veut pas avoir. On ne sait pas très bien non plus ce qu’on cherche, on ne sait pas où on va mais on en veut pas le cacher ça. On ne veut pas avoir l’air d’êtres sûrs de ce qu’on dit, c’est aussi une espèce d’idée artistique. De l’artiste qui sait ce qu’il dit…
V : Il maîtrise tout.
T : Nous on ne maîtrise absolument pas ce qu’on fait et je pense que ça doit se refléter à tout niveau, jusque dans l’utilisation des supports qu’on emploie pour dessiner. Délibérément on emploie tous des médiums de dessin impossibles à maîtriser. Ça je pense que c’est important pour nous.
V : Même au niveau du récit.
T : A tout niveau. On essaye de se mettre dans des situations qu’on ne maîtrise pas. Quand on fait des livres, par exemple si on commence à travailler avec la trame stockastique, où quand on dessine si on fait du monotype, où toi avec tes bavures de crayon, on se met toujours dans des processus qu’on ne maîtrise pas, et quand on écrit, moi par exemple j’écris aussi des textes, mais je ne maîtrise pas l’écriture, tu vois, c’est un peu toujours ça. C’est une base de travail importante et donc on peut avoir l’air très sérieux parce que bon, on est des gens assez sérieux (rires) mais on ne peut quand même pas se prendre trop au sérieux parce qu’on sait bien que (rires) ça nous échappe.

Vous avez dit que les médias étaient les représentants de l’impérialisme général ?
T : Oui, l’idée de la pensée dominante.
V : Dire : « ça c’est bien, il faut absolument le lire… »
T : Et puis il est quand même très désagréable de voir que ce qui est toujours promu par les médias ne correspond absolument pas à ce qu’on aimerait bien que ce soit, mais que tout le monde y est sensible. C’est un impérialisme et il n’y a rien à faire, c’est un peu chiant.

Et si vous vous trouviez soudainement promu par les médias ?
T : On pourrait devenir enfin impérialiste ! (rires)
V : C’est pas encore le cas… On a beau envoyer des services de presse (rires), ça ne marche pas.
T : On n’a pas encore trouvé les stratégies pour participer à la grande fête médiatique. Parce que c’est fascinant, c’est comme une machinerie, c’est comme la religion avant, c’est comme une puissance au-dessus des choses, voilà. Ça nous dégoûte autant que ça nous fascine, il y a beaucoup de récits aussi, je pense à pas mal de trucs qu’a fait Denis à un certain moment qui sont vraiment par rapport à la fascination que ces choses là peuvent exercer. C’est lié au pouvoir, à notre statu par rapport à ça, nous qui essayons de faire des livres le mieux qu’on peut et puis on voit que dans les médias on parle de croûtes infectes dans une dimension énorme. Ça pose quand même des questions. Bon après on peut toujours ce demander si ce qu’on fait à un sens. Peut être qu’on n’a rien pigé… (rire dépité) Je ne sais pas.
Alors vous pensez qu’il faut introduire le terrorisme dans la bande dessinée ?
T : Le terrorisme en bande dessinée ? Comme Bazooka, ou quoi ? Je crois qu’il faut s’en foutre. Commencer à aller cracher sur ci ou ça, pour moi c’est une perte de temps, on a mieux à faire.
V : Et puis on n’est pas capable de le faire.
T : Bon mais ce serait bien qu’il y ait des choses, avec la puissance d’Hara Kiri, c’est un manque. En fait il faudrait qu’il existe des fous furieux, c’est pas pour nous, quoi. Mais ce serait vachement bien. Parce que ça ronronne trop. Mais tout est devenu maintenant très ronronnant. Moi je pense, par exemple par rapport au cinéma, ce que j’aime bien aussi c’est l’idée de fous furieux plus discrets et peut être que nous quelque part on est furieux dans ce qu’on fait mais on aimerait bien que ça reste discret. Je pense a Monteiro au cinéma. Pour moi Monteiro c’est un fou furieux mais c’est un fou furieux élégant, discret. Moi ça me suffit, sinon c’est aussi une idée de l’imposer de force à des gens qui n’en ont rien à… Je trouve qu’il faut des fous furieux dans leur coin, par exemple Alex Barbier je trouve que c’est un fou furieux, et il est dans son coin, c’est un pur et dur, il ne fait pas une seule concession, ça existe quoi. Après le terrorisme c’est aussi un peu d’aller imposer des choses aux gens, je pense qu’il faut le préserver, nous notre but c’est un peu ça, créer un espace de travail pour des fous furieux discrets.

Quel regard vous portez sur la bande dessinée d’aujourd’hui ?
T : Ça bouge vachement bien. Il y a deux-trois ans j’espérais pas que ça évolue comme ça. La façon dont cette bande dessinée aujourd’hui est accueillie dans les librairies, c’est vraiment très nouveau. Il y a trois-quatre ans je n’aurais pas imaginé en Belgique que la plupart des libraires auraient leur rayon indépendant et qu’il le vendrait convenablement, c’est vraiment étonnant. En France ce que je vois avec Vertige Graphic c’est la même chose en mieux, donc il y a aussi une espèce de réseau qui se crée avec des affinités, des échanges il n’y a pas vraiment d’idée de concurrence, je trouve que c’est assez sain comme truc. Nous on est vraiment bien dans cette bande dessinée, on trouve que ça se porte bien, que ça évolue bien. Il se passe quelque chose qui commence à prendre vraiment du poids par rapport à la presse par rapport aux festivals, Lucerne ou Bastia, on n’aurait pas imaginé ça. Si ça peut continuer comme ça, ça serait bien.

Une autre chose qui m’intriguait, il y a un moment où les indépendants ont eu le besoin d’aller chercher des aînés, Amok avec Muñoz et Sampayo, l’Association avec Baudoin, Vous avec Alex Barbier. Ça correspond à quoi ?
V : Alex Barbier, il n’était plus édité.
T : C’est un travail qui nous fascinait réellement donc on est entré en contact avec lui. Je crois simplement c’était l’idée de publier des gens qui nous ont fait aimer la bande dessinée. Et puis à un moment Amok et nous on s’est rendu compte que ces choses là ne seraient plus chez des éditeurs traditionnels, qu’il y avait eu une telle fracture et un tel vide de sens dans l’édition traditionnelle que ces gens là ils avaient besoin d’autres supports et que nous peut-être on pouvait leur offrir ça et puis ils étaient tellement content de pouvoir faire ça.
V : Ils se sentent mieux chez nous, Barbier il était très content d’être édité par nous, et je suppose Muñoz aussi chez Amok, ils se reconnaissent bien.
T : Il y a un dialogue entre l’éditeur et l’auteur, c’est pas juste un contrat. Nous ce qu’il y a eut aussi un moment c’est une envie d’ouvrir, qu’il y ait d’autres travaux qui renforcent, d’ouvrir le dialogue avec des auteurs extérieurs, c’était Alex, Stefano ou Martin, et ça nous intéresse parce que ça nous enrichi de faire ça. Et puis à titre personnel, pour chacun d’entre nous le fait d’être éditeur, c’est une espèce de prétexte pour, c’est ce qui nous permet d’avoir une relation très particulière avec par exemple Alex ou Martin, ou Stefano et c’est des gens avec qui on a envie d’avoir une relation particulière parce qu’on est aussi auteur, il y a plein de choses dont on a envie de discuter, on a envie de comprendre, on a envie d ‘échanger des trucs et donc on a envie d’aller vers eux pour ça.

Comment se passe votre rapport d’éditeur avec quelqu’un comme Alex Barbier ? Quand vous dites qu’il y a un échange, que vous vous enrichissez, est-ce au niveau de son travail ?
T : Oui, on discute de son travail. Quand il faut faire une maquette, quand il faut faire une couverture, choisir une typo on est obligé de comprendre le travail d’une autre façon et on est amené à en discuter.

Pas dans le corps du récit ?
T : Si, du récit aussi. Pour nous la couverture du " Lettres au maire de V." ça fait partie du récit. Elle est là comme une ouverture au récit, donc elle a un statu vraiment particulier. On a choisi cette image, on a beaucoup réfléchi pour ça et on l’a mis en couverture parce qu’elle a un sens en tant que couverture, donc le livre ça devient le récit et la couverture devient une partie du récit, donc on est obligé de parler du récit.
V : La typo c’est une vieille typo de plaque française qu’on voit partout dans les petits villages, ça montre bien le rapport de la typo et du récit. On a un copain qui est typographe et qui l’a crée pour nous.
T : " De la chose ", c’est la même chose, il a fallu donner un sens à ces toiles, créer un livre. Bon, avec Stefano c’était un peu différent, parce que le projet il existait mais on était un peu à la base de ce projet. On les a rencontrés à Autarcic Comix et " Anita " avait déjà été publiée dans Glamour en Italie mais Stefano a tout redessiné pour le livre, mais c’est parce qu’on a discuté, d’abord c’est passé dans Frigo Box et puis c’est devenu un livre. Ça déborde toujours dans le récit, ça déborde toujours dans un dialogue, dans une réflexion autour du récit, autour de l’image et c’est ça qui nous intéresse. Avec Martin aussi, quand on a fait " Salut Deleuze ! " Il est venu travailler une semaine à Bruxelles pour faire le montage sur ordinateur, on a énormément réfléchi à la forme que devait prendre ce livre, mais la forme que doit prendre le livre elle est en fonction du récit. Pour nous éditer d’autres gens c’est une manière de réfléchir sur le récit entre notre pratique et la pratique de quelqu’un d’autre, pouvoir l’ouvrir.

Pour conclure, ce que je trouve assez étonnant, c’est que ces expériences sont tentées au moment ou il y a une grosse crise au niveau du statut de l’édition en général.
T : On n’est pas très au courant.

Comme si la survie de l’édition ne pouvait se faire que de manière fragmentée, presque artisanale.
T : Je crois que l’idée c’est de créer des structures économiques qui puissent assumer. Je pense qu’en bande dessinée ce qui s’est fort passé, ça à mon avis c’était au début des années 90, c’est qu’il y a des gens qui ont cru qu’ils allaient pouvoir démarrer fort. C’est toutes les revues qui ont commencé qui se sont plantées, ils n’ont aucune expérience, en plus c’est déjà pas terrible à la base et puis ils lancent un super gros projet et ils se plantent après trois numéros et il y a même des choses qui ont été beaucoup plus dramatiques que ça, parce que c’était de beaux projets, mais qui n’ont pas été assumés, qui avaient une ambition de créer quelque chose de très fort en bande dessinée puis Brrrrrrr !
V : Je crois que notre réussite c’est la lenteur. On est lent et on a besoin de peu de choses.
T : On a commencé petit, avec " FrigoBox ", 60 pages en noir et blanc, qui coût presque rien, bon on peut ne pas savoir comment le payer mais aussi que si on ne peut pas le payer on trouvera toujours une solution parce que c’est humainement possible de trouver cet argent là. C’est toujours de trouver cet équilibre là, entreprendre, prendre des risques, il faut les prendre, mais toujours que s’il y a vraiment une merde, humainement c’est économiquement gérable. Et c’est ça, je crois qui a fait les drames, c’est des ambitions démesurées, sans expérience, et nous l’idée c’est… C’est pour ça que je te dis par exemple qu’il y a un embouteillage dans nos livres parce que ça ferait une grosse structure de commencer à faire cinq livres en même temps, avec une somme qu’on n’a jamais géré. Depuis qu’on a commencé on gère des sommes de plus en plus grandes mais c’est très très progressif, on sait qu’on n’a pas d’argent mais on sait qu'on saurait le gérer s’il y avait vraiment une merde. On ne se met pas dans une situation de danger total et aussi toujours par rapport à l’expérience qu’on a des livres, puisqu’on se met dans une situation de non maîtrise et ben quelque part il y aura toujours moyen de rattraper les billes. On va pas aller faire un livre à 30 000 exemplaires par exemple du jour au lendemain en se disant on va faire un truc en kiosque et puis ça va marcher à fond ! On sait très bien que ça ne va pas marcher. Mais on sait que le livre doit exister et qu’il doit être fait. Les livres qu’on veut faire il faut qu’ils existent mais il faut trouver la manière de les amener lentement et sûrement. Par rapport à ça on ne se rend pas bien compte que le marché de l’édition ne se porte pas très bien parce qu’on trouve toujours des livres qui nous intéressent dans les librairies et je pense que les livres qui nous intéressent dans les librairies, enfin j’en sais rien, je ne connais pas la structure de ces éditeurs là mais ça à l’air d’êtres des choses faites avec un sens, avec un fond, avec une certaine lenteur.


C’est des structures à votre échelle, ce qui n’empêche pas de faire, mais c’est précaire…
T : C’est une fragilité précieuse. Et c’est une fragilité qui nous tient à cœur aussi.

Entretien paru dans Jade 18 © Lionel Tran & 6 Pieds Sous Terre, 1999. Photo © Valérie Berge

LES 7 FAMILLES DE LA BANDE DESSINÉE #1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 | 7