Les histoires muettes de la dessinatrice Danny Steve apparues dans les pages du magazine Ferraille, nous entraînent dans d’étranges contrées peuplées de Barbie sexuées où règne une poésie tordue et dérangeante.

 

... Pour la télé, j’utilise mon vieil épisode enregistré...
DANNY STEVE

Jouant à la fois avec les codes narratifs du feuilleton télévisé et de la chanson de geste, Danny Steve est une des artistes les plus surprenantes apparues dans le champ de la bande dessinée ces dernières années. L’ironie faussement naïve de ses récits, bien que principalement axée sur la sexualité, évite la crudité et procède par de subtils décalages qui créent un effet beaucoup plus troublant. Son utilisation de couleurs "pop", rose fluo et vert vif, juxtaposées à des fonds traités à la manière des tapisseries du Moyen Âge, crée un sentiment de gêne, l’œil ne sachant trouver une balance entre l’aspect criard du récit et son indéniable beauté. Les trames sont simples : il s’agit de poursuites, de combats (le motif de la chasse et de la capture est prédominant), et pourtant les chutes, sont souvent ambiguës. Ses personnages archétypaux -la poupée barbie se confond avec la figure de la princesse, avec Alice- sont toujours poursuivis et possédés par le désir, auquel ils se livrent et qui les métamorphose. L’image, au premier abord très simple, n’est jamais ce qu’elle paraît -souvent les motifs du décor apparaissent dans des teintes pastel très clair qui plaquent à l’arrière plan des personnages, comme s’il ne s’agissait que d’un simple décor, créant, encore une fois, le trouble. Les titres qu’elle donne à ses récits -de L’homme impossible au Chevalier dérivatif- et les brefs textes qui les accompagnent entraînent la lecture sur un chemin de traverse, où elle prend de biais l’image, plus qu’elle ne la contredit, créant une relation texte/image particulièrement intense et sensible.

Jadeweb : Pourquoi la bande dessinée ?
Danny Steve : C’est génétique.(Rire). Non, j’en ai toujours fait. C’est mon trip. Je n’ai pas fait que ça, mais j’en ai toujours fait. C’est une écriture spécifique qui m’intéresse vraiment…

Tu en dessinais lorsque tu étais enfant ?
Ouais, c’était… de la figuration libre. Non, sérieusement, j’ai dessiné très tôt. Et même lorsque je faisais une image seule, la narration était très présente. Pour moi la bande dessinée, c’est une manière de dérouler la lecture que tu as d’une chose. Ça peut prendre plein de formes différentes.

Tu en lisais beaucoup ?
Bien sûr j’en ai lu plein, de tous les styles. Je cherchais un mystère (Rire). Sinon je lis celles qui me tombent dessus. Ici c’est impossible ! Ces derniers temps, je m’intéresse plus à l’imagerie médiévale, les peintures, les enluminures, le tarot, etc. Je fouille les systèmes narratifs de "notre inconscient collectif", comme qui dirait.

Qu’est ce qui t’intéresse dans ces systèmes ?
L’idée de systèmes de couleurs "magiques" m’intéresse vraiment, les recherches de Mondrian, les mandalas, plein de choses quoi. Et faire passer ça dans la bande dessinée ça serait logique. L’image est inerte, c’est le cerveau qui bouge. C’est ce coté inoffensif et redoutable qui me fascine. Et forcément dans une bande dessinée le jeu des symboles, des séquences, des rapports d’enchaînement est aussi très précis. La culture commerciale fait ça très bien aussi. C’est là qu’est la musique… On pourrait comparer un album de bande dessinée à un album de musique ? Regarde le travail de Paquito Bolino…
Voilà, pourquoi tous ces petits mystères. Pour une lecture transcendantale de la bande dessinée, tout simplement !… Celle qui touche l’émotion de manière très précise, sans que l’on sache comment. Pour la synesthésie de la bande dessinée libre ! Ça paraît un peu ambitieux, non ?

Ton premier livre chez les Requins marteaux, sorti en 2001, L’homme impossible était une parodie de série télé…
Maintenant, je déteste la télé, ça me donne mal à la tête. C’est trop fort. La télé, c’est quelque chose qui te possède. Plus personne t’écoute ! (rire) Du coup c’est épidermique : je fais une allergie à la télé !
Mais L’homme impossible ça date d’environ 5 ans. La télé de ma grand-mère marchait encore. Je regarde par hasard ce feuilleton et l’herbe magique m’en ouvre une perception transcendantale, là c’est vrai (rire). Et je l’ai dessiné dans la foulée, d’une traite, complètement exaltée... L’ennui est un bon facteur d’inspiration. Sinon, pour la télé, j’utilise encore mon vieil épisode enregistré.

Galerie DANNY STEVE
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Comment ton travail a-t-il évolué vers les récits muets que tu présentes dans Mon cul, le livre que viennent de publier les Requins Marteaux ?
Je travaillais surtout le plagiat, ou plutôt le "remake" de vieux trucs principalement, comme Alex Raymond. Pourquoi ? Pourquoi… disons que ce que j’en ai extrait c’est plus la détresse sentimentale du dessinateur de bande dessinée et du dessinateur de bande dessinée, au dessinateur, au garçon... comme un peu partout c’est la misère ! Prenons par exemple les aventures de Jeff Jordan, si tu mets ça à plat, tu réalises qu’il passe son temps à essayer de baiser des femmes qui sont chaque fois des entités extraterrestres !!! En fait je parodiais les dessinateurs, plus que les personnages derrière lesquels ils s’abritaient. La bande dessinée, c’est très masculin, tu apprends plein de choses sur les garçons.
Mais maintenant je m’intéresse aux filles, de manière plus frontale. C’est un peu un défi, une provocation ?… Et voilà comment le thème a encouragé le style, la pudeur d’une B.D. muette, un peu glacée, avec de belles couleurs et des cases bien sages… J’ai cherché à faire des images apaisantes, mais c’est pas évident.

Tu travailles exclusivement la bande dessinée ?
Non, je suis un tiers prof, et un tiers "veedjee" (souriez !) pour des festivals de musiques électroniques, ou ailleurs. Et là c’est l’inverse. L’image bouge, et c’est le cerveau qui s’immobilise. À vivre c’est plus intense que la B.D., mais ça dure moins. Beaucoup de dessinateurs s’équilibrent avec un genre d’expression plus physique. Tu n’a pas remarqué ? Est-ce que je peux dire pour finir qu’il faut guetter la diffusion très bientôt sur Canal+ d’un court-métrage de Didier Poiraud, qui est l’adaptation libre d’un récit de l’album, et qui est super drôle. Je n’ai pas la date en tête.

Danny Steve, l’hystérie, c’est pour se protéger ?
C’est… ? Pas du tout. Ou alors si. Pour se sauver même. Là tout de suite, elle coule dans mes veines aussi sûrement que la fatigue des petits matins sur Angoulême, pays du Cognac. (Il est 16 h. -Ndlr) Sans te parler de la foule compacte qui évolue à 80 cm de nous. Alors l’hystérie… forcement. Mais pourquoi pas, un coup de sang ça revigore aussi.

La dessinatrice Danny Steeve fait depuis 4 ans les beaux jours du magazine Ferraille.
Mon cul, son premier ouvrage en couleurs sortira courant avril chez les Requins marteaux [entretien].
Du 19 avril au 31 mai 2002 : exposition chez Marquis (22, rue Terme 69001 Lyon [mèl])

Entretien © Lionel Tran & Jadeweb, 2002