Le rialto

 

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LES FILMS DE BOXE

Si quelqu’un te frappe sur une joue, présente lui aussi l’autre "
Evangile Luc 6 :29

" Ce qui est ainsi livré au public, c’est le grand spectacle de la Douleur, de la Défaite et de la Justice "
Roland Barthes

Les films de boxe empruntent au Film Noir son esthétique (urbaine, grise, nocturne, sale) et son ambiance poisseuse, mélancolique et souvent pathétique, des " films d’hommes " où les seuls rôles féminins possibles sont évidemment ceux de la Maman (qui ne parle que napolitain, fait des spaghettis en priant la Madone et console son gros nounours en nettoyant ses plaies) et de la Putain (qui trouve les cicatrices sexy tant que le champagne et les dollars coulent à flots). Ils recyclent et déclinent également la même imagerie et la même galerie de portraits baroques : entraîneur paternaliste, manager cupide et cynique, pute au grand cœur, hommes de mains au physique et au Q.I de gorille, femmes fatales à la cuisse accueillante, politiciens véreux qu’on a du mal à distinguer des mafieux dans la fumée de cigarettes, salle d’entraînement sordide dans laquelle rôdent des personnages douteux, cravates blanches et lunettes noires… Le scénario ? Toujours le même bien sûr, écrit d’avance et sans surprises : matchs achetés et carrière brisée…ascension rapide puis chute…chute…avec rédemption parfois, sans rémission le plus souvent.

Cette stylisation, cette épure de la Tragédie touchent à la perfection dans THE SET-UP (Nous avons gagné ce soir, 1949) à la construction parfaite, respectant les règles d’unité de temps et de lieu dans une mise en scène théâtrale au possible : on découvre le boxeur dans sa chambre d’hôtel minable (l’Hôtel Douillet ! ) avant le combat, on le suit de l’autre côté de la rue (à l’asphalte luisant dans lequel se reflètent de squelettiques néons) jusqu’à la salle (Paradise City !) où il perd les dernières illusions qui lui restaient et termine, par la " sortie des artistes ", dans l’éternelle rue sombre des règlements de comptes sordides. D’une noirceur et d’un pessimisme terminaux, ce film bénéficie de la fantastique interprétation de Robert Ryan dont les yeux tristes et délavés, le visage marqué, usé expriment une lassitude infinie, un dégoût de tout, du jeu et de ses règles (truquées), de la vie et de son poids (lourd, trop lourd)…il glisse lentement vers le fond et ne fait plus rien pour se raccrocher à quoi que ce soit sinon à quelques idées fixes qu’il ânonne comme par réflexe (son crochet du droit qu’il n’a jamais l’occasion de placer et ce petit commerce qu’il ouvrira à sa retraite), ne trompant plus personne depuis bien longtemps, même pas lui-même.

Memphis Shock

THE SET-UP
Réalisateur :
Robert Wise | Acteurs : Robert Ryan - Audrey Totter - Alan Baxter - Georges Tobias - Wallace Ford | Scénariste : Art Cohn


REQUIEM POUR UN CHAMPION (1966) ressemble lui plutôt à un chemin de croix : un boxeur sans talent qui aurait dû raccrocher les gants depuis des années déjà (extraordinaire Anthony Quinn) fait le combat de trop qui le laisse avec un visage ressemblant sérieusement à de la viande hachée et un cerveau à l’extrême limite de la rupture de fontanelle. Il se retrouve totalement désemparé, seul, perdu, fort comme un ours, con comme un veau et doux comme un agneau. Il traîne sa tristesse et son désarroi dans un bar uniquement fréquenté par d’ex-boxeurs, terminus des losers, cimetière des éléphants des has-beens où ils se traînent avant de mourir pour se ressasser éternellement les mêmes histoires usées et les mêmes illusions vaines de gloire passée et d’occasions manquées. Sur ce fond de noirceur totale apparaît une faible lumière au bout du tunnel : une assistante sociale qui a de l’affection pour lui veut le sortir de là mais son manager (un porc suant en permanence dans un costard crème qu’il n’a pas dû quitter depuis quinze ans, un personnage ignoble mais qui réussit quand même à nous émouvoir, comme dans une relation sadomaso dont les deux partenaires sont également prisonniers de rôles déjà écrits et codifiés) l’oblige à se reconvertir dans le catch pour payer ses dettes. Il se retrouve (déguisé en chef indien ! ! ) dans un vestiaire miteux avec des catcheurs nains et un éphèbe grec et monte le cœur brisé sur le ring, sous les rires et les huées de spectateurs haineux dans une salle de troisième zone. Il a gravi toutes les étapes de son pathétique chemin de croix…sous la lumière blanche d’une ampoule nue le Rêve Américain a une drôle d’allure.

Spectacle éternel, mise en scène immuable, des jeux du cirque jusqu’au Golgotha : du sang, de la sueur et des larmes… Un homme, les bras en croix…des os qui craquent… Les spectateurs hurlent à la mort, pouces tournés vers le bas, les femmes se couvrent les yeux mais regardent entre leurs doigts. Pour paraphraser Barthes, la boxe " participe à la nature des grands spectacles solaires, théâtre grec et courses de taureaux : ici et là, une lumière sans ombre élabore une émotion sans repli ", un sport où l’on perd beaucoup plus que des matchs, un jeu dans lequel il n’y a pas de gagnants.

Memphis Shock

REQUIEM POUR UN CHAMPION
Réalisateur :
Ralph Nelson | Acteurs : Anthony Quinn - Mickey Rooney - Stanley Adams - Cassius Clay - Jack Dempsey | Actrices : Jackie Gleason - Julie Harris