Rares sont les graphistes à avoir marqué d’une telle empreinte l’identité d’un label. Kim Hiortoy et Rune Grammofon ont conclu, à l’instar de Faust et du diable, un pacte définitif et total. Une alliance entre grâce et esthétisme qui trouve une application concrète dans les pochettes du label Norvégien. Une approche minimaliste et abstraite, voire spirituelle qui ne saurait cacher les nombreuses autres activités que le Norvégien développe en parallèle : la musique et la photographie, notamment.





 

INTERVIEW


le minimaliste qui venait du froid


KIM HIÖRTOY

G R A P H I S M E

Il y a une subtile cohérence entre le minimalisme visuel des pochettes et les musiques des disques... Ecoutez-vous systématiquement les disques avant de proposer une pochette ?
Quelquefois je prête une oreille à la musique, mais plus autant que ça.

Votre approche graphique pour Rune Grammofon est très minimaliste et abstraite, pourtant on découvre dans votre livre Tree weekend des travaux photos ou plastiques (à base de pâte à modeler) totalement différents. Actuellement, vers quoi vous sentez-vous plus attiré ?
J’ai étudié dans une faculté de beaux-arts ; mon but initial était à l’époque de devenir artiste, au sens large, sans restriction ni intention de me spécialiser particulièrement dans le graphisme, ou le design. Aujourd’hui, je pense que ce n’est pas important de faire ces distinctions... il est plus important d’être ouvert, attentif et d’explorer la diversité des situations, des contextes, des possibilités et des centres d’intérêts que l’on perçoit.

L'empreinte graphique de Rune Grammofon est très forte. Vos images semblent inséparables de l'identité du label? (On pense à Peter Saville et New Order ou Tina Frank et Mego) N'avez vous pas peur de vous retrouver piégé dans ces thèmes (minimalisme et abstraction) ou pensez-vous qu'on peut développer longtemps sur le même sujet ?

A certain moment, j’éprouve des difficultés... les pochettes me paraissent trop comparables ; d’un autre côté, c’était une intention claire et assumée au départ d’offrir au label une identité unique, singulière, basée sur l’unité graphique des pochettes. Pourtant, on arrive parfois à en avoir de très différentes. En fait, je ne sais pas exactement ce qu’il va advenir dans le futur, sans doute serons-nous amenés à faire évoluer le concept... Tu vois, je finis par m’imaginer que la meilleure chose serait de produire des pochettes totalement identiques, juste blanches avec le nom de l’artiste...

Où puisez-vous vos sources de réflexions ? Dans le passé, dans le présent? Le Duck-Rabbit semble être un clin d'oeil aux "images d'Epinal" et certaines de vos pochettes rappellent les tableaux du couple Delaunay…
Qui sont les Delaunay ? L’image des Duck-Rabbit (qui correspond également au titre) est issue d’un traité pratique de psychologie et non de quelque chose que j’ai inventé. Pour la pochette d’Alog également, mon travail est parti d’un croquis réalisé par Wittgenstein. Je n’ai pas de sources spécifiques d’inspirations pour mes dessins. Je sais, c’est une réponse banale, mais c’est la vérité. L’inspiration peut provenir de partout et nulle part.
Tu sais, quand j’ai du temps, à l’occasion, je feuillette les revues de graphisme, les livres sur le design, les flys et j’ai l’impression que tout ça n’est que de la merde ; pourtant, il m’arrive de regarder ces mêmes choses à d’autres moments en les trouvant très amusantes et réellement inspirantes.
Quelquefois lorsque je vois autour de moi l’intensité et l’originalité de certains travaux, la ferveur des gens qui les créent, il m’arrive de penser que mes travaux sont nuls, sans intérêt et je ressens un profond sentiment de déprime, ce qui n’est pas vraiment stimulant pour la création...
Pour les pochettes de Rune Grammophon, une de mes inspirations définitives a été les travaux de Reid Miles pour BlueNote dans les années 50-60..

 
 

M U S I Q U E

Votre démarche créatrice est-elle similaire que ce soit pour la musique ou le graphisme ?
Dans une certaine mesure, oui et non. Quelle que soit la part de toi que tu utilises pour exprimer ce que tu trouves bien ou mauvais, ce qui te semble fonctionner ou non, la démarche est toujours la même, elle est équivalente et peut s’appliquer à toute chose ou à tout processus créatif.
D’un autre côté, les instruments de travail ne sont pas les mêmes, ils sont différents, les médias sont différents et une façon de penser différemment est requise. Dans cet ordre d’idée, l’approche intellectuelle et créative est essentielle quelque soit ta forme d’expression, au regard de ce que tu souhaites y apporter.

Est-ce le contact avec de nombreux musiciens qui vous a donné l'envie de composer ?
Je ne connaissais pas énormément de musiciens lorsque j’ai commencé. J’étais encore à l’école des beaux-arts, où l’on disposait d’un studio d’enregistrement avec sampler, table de mixage, etc. Je pense que ce qui m’a motiver à me lancer, au départ, était simplement l’idée d’utiliser ce que j’avais à porter de main et de voir ce qui pouvait en sortir !.

Vous avez sorti des morceaux chez Vertical Form, Smalltown Supersound et récemment sur la double compilation Wire (entre autres). Pourquoi ne pas avoir saisi l'opportunité d'en faire un directement sur Rune Grammofon ?
Je ne souhaite pas mélanger les casquettes, mixer d’un côté, dessiner de l’autre. Je n’aspire qu’à être le graphiste-designer de Rune Grammophon. Si je devais réaliser des musiques sur le label, ça modifierait sans aucun doute ma relation avec Rune Gramophon, ce que je ne souhaite pas. Et de plus, je n’en ai pas besoin. Smalltown supersound est le meilleur label du monde à mes yeux et je ne réaliserai mes albums que chez eux.

Votre musique à l'air plus ludique et extravertie que vos graphismes. Est-ce une manière de montrer de nouvelles facettes de votre personnalité ?
Je ne sais vraiment pas si le fait de faire toutes ces choses, composer et faire un travail graphique est une manière de dévoiler ma personnalité... cependant, il existe une différence essentielle, à cela que mon travail de dessinateur, de graphiste est un job... qu’on me demande d’exécuter, et pour lequel je suis payé, alors que la musique relève plus d’une démarche personnelle, sans que j’ai besoin de rendre des comptes à qui que ce soit.

Avez-vous des projets d'expositions ou de concerts à venir ?
Je viens juste de finir un livre pour Rune Grammophon collectant l’ensemble des travaux réalisés pour le label ses 5 dernières années. 3 sorties d’ep’s sont prévues sur Smalltown très prochainement. Le week-end prochain je vais à Caen participer à un festival, les Boréalis où auront lieu un concert et une exposition. Une exposition de mes dessins est prévue à Londres en mai..


> Rédaction
© Julien Jaffré [contact] | Jadeweb 2004