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JadeWeb chroniques #1

 

Chroniques #0
From hell
Petit manège
Attends
L'usine électrique
Caricature
Le feuilleton du siècle

 

Goradze

Après le remarquable Palestine, une nation occupée, on pouvait se demander si Joe Sacco, précurseur d’une approche de la bande dessinée de reportage, n’allait pas s’enfermer dans le système qu’il s’était lui-même créé. Sacco nous rassure avec Gorazde. Enfin, façon de parler... Gorazde, chronique de son séjour dans une enclave bosniaque en pleine guerre des Balkans est surtout terrifiant. L’auteur met en images les témoignages de la population décrivant les massacres dont elle a été victime, puis leur vie dans l’enclave sous un fragile contrôle onusien et désespérément isolée du monde. Au-delà de l’horreur qui émane de ce quotidien de survie, Joe Sacco se met lui-même en abîme, lui le journaliste occidental, privilégié par un chez soi lointain et stable, par une liberté de circulation (grâce au corridor humanitaire reliant, certes dangereusement, Sarajevo à Gorazde), modifiant inéluctablement le regard que les habitants lui portent. D’observateur, de témoin, Joe Sacco devient sujet, endosse le rôle d’attraction aux yeux des enclavés. Il s‘érige, presque à son insu, en symbole d’un occident rêvé, celui où convergent les espoirs des victimes de la guerre, mais également leurs frustrations.
JP.

Gorazde
Joe Sacco
118 pages / 85 FF éd. Rackham

 
       
   

Persepolis

Encore un témoignage que l’on reçoit comme un poing dans la gueule : Persepolis d’une jeune auteur d’origine iranienne, Marjane Satrapi. Être une petite fille de 10 ans en Iran, en 1980, déjà ça commence mal. Avoir en plus des parents plutôt modernes, voilà qui n’arrange pas les choses. Tous les rêves et les jeux d’enfants de Marjane vont pourtant coexister avec l’horreur dans un Iran en pleine révolution islamique. De sa voix, tout à la fois naïve et ballottée par la réalité, Marjane raconte l’histoire de sa famille emportée par la tourmente. Le dessin sobre, au noir et blanc net et cassant sert efficacement une narration respectant avec sensibilité la vision et la perception des évènements tels que vécus par l’auteur enfant. Traumatisant.
JP.

Persepolis (tome 1)
Marjane Satrapi
88 pages / 89 FF éd. L’association

 
       
   

Frankenstein encore et toujours - Cosmique tralala - Froncée

Alex Baladi Alex Baladi voudrait-il faire concurrence à Lewis Trondheim ? Toujours est-il que ce n’est pas moins de trois ouvrages qu’il nous propose en ce début d’année. Tout d’abord, le subtil Frankenstein, encore et toujours, qui brosse le portrait de deux jeunes suissesses dans une ville fantomatique, dont le mal-être s’incarne dans la créature imaginée par Mary Shelley. Promenade sombre aux portes de la folie, un chemin familier à Alex Baladi mais qui ne semble plus aujourd’hui tempéré par sa coutumière légèreté. Étrange. Il s’engouffre ensuite dans la science fiction avec Cosmique tralala, récit onirique de voyageuses inter-dimensionnelles. Occasion de saisir, encore et toujours des portraits de femmes mystérieuses et inaccessibles, éternels protagonistes de tous ses récits. C’est enfin Froncée ou l’onirisme, encore, des portraits de femmes, toujours, se disputent la promiscuité du quotidien de deux colocataires, l’une se disputant avec la réalité, l’autre s’enfuyant dans l’imaginaire. On découvre dans les trois livres un Baladi nouveau, démasqué de sa légèreté coutumière, débordé par ses angoisses.
JP.

Alex Baladi
Frankenstein, encore et toujours
96 pages ed. Atrabile
Cosmique tralala
144 pages / 99 FF éd. La cafetière
Froncée
40 pages / 45 FF éd. Bülb comix

 
       
   

Jeux d'influences

" Quel livre vous a donné envie de faire de la bande dessinée ? Quel est celui qui vous donne envie de continuer ?" Ce sont les deux questions posées à 30 auteurs de bande dessinée, de Baru à David B., de Goossens à Veyron, en passant par Trondheim, Rabaté ou Vanoli. Les réponses, souvent longues et argumentés, agrémentées d’anecdotes et de bribes biographiques en font un livre passionnant, incarnant davantage les auteurs interrogés dont chacun cherchera ensuite les corrélations dans leurs œuvres respectives. Quant aux réponses, Pratt, Franquin, Moëbius ou Muñoz semblent être les plus cités. Un ouvrage à côté de la Bande dessinée, presque un dérivé, comme on aimerait en revoir plus souvent, selon la formule consacrée.
JP.

Jeux d’influences
Collectif
176 pages / 110 FF éd. P.L.G

 
       
   

Isaac le pirate

Blain Si le quatuor Blain, Guibert, David B. et Sfar tend à renouer avec la bande dessinée d’aventure « grand public » là où Franquin, Tillieux et Wasterlain l’ont laissée, on peut se demander s’ils ne vont pas réussir à ressusciter un certain âge d’or zigouillé par le racolage pseudo « adulte » des années 80. Des Poupées de Jérusalem (Sfarr/Delcourt) aux Ogres (Blain & David B./Dargaud) en passant par Le Capitaine écarlate (Guibert et David B./Dupuis), on voit percer le regain d’intérêt des gros éditeurs pour « l’aventure » décomplexée (mais pas ignorante) des créatives années 70 (de Pratt à Moëbius) et de la tourmente que fut Les Passagers du vent. Ainsi le magicien Christophe Blain : après le formidable Le réducteur de vitesse, son nouvel ouvrage, Issac le pirate laisse présager de bien belles choses. Le trait élégant, la narration efficace, les couleurs raffinées, on embarque pour les mers du sud aux côtés d’Isaac, jeune peintre idéaliste et de pirates éclairés, en route pour un monde épique ou l’intelligence du récit se marie à merveille à la naïveté du conte. On ne croyait plus que le traditionnel format « 48 pages – cartonnée – couleur » puisse encore se prêter à ce genre de réussite, cependant on reste un peu sur sa faim après cette mise en bouche, car 48 pages c’est peu et on se prend à rêver du jour où l’on pourra en lire l’intégrale.
JP.

Isaac le pirate (tome 1)
Christophe Blain
48 pages / 62 FF éd. Dargaud

 
       
   

Villégiature

Peu connu en France, le jeune auteur québécois Leif Tande, passe enfin les frontières avec Villégiature, opuscule regroupant trois de ses histoires, édité par le petit éditeur, québécois également, Zone convective. Habitué de l’auto- édition, avec son propre label Mano Blanco, Leif Tande (que les curieux auront également pu apercevoir dans la revue Spoutnik), sous un dessin rondouillard et charbonneux, sait raconter des histoires avec la précision d’un vrai coucou suisse. Regroupant trois récits, dont deux repris de ses auto-éditions, Villégiature est un recueil savoureux qui part de situations anodines pour élaborer des suspens redoutables : un vétérinaire à la retraite en voyage, un rendez-vous matinal pour trouver un job ou une rêverie matinale devant un pack de lait… des petits riens que l’auteur remplit avec finesse et qui s’avalent goulûment.
JP.

Villégiature
Leif Tande
64 pages éd. Zone convective (import)