chroniques 2001   JadeWeb chroniques #5 /
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Chroniques 2002

 

YVES DAOUST  Bruits 
(Empreintes Digitales/ Métamkine) Site

En choisissant de consacrer ce nouvel enregistrement à la ville de Montréal, Yves Daoust chemine un peu plus profondément dans sa logique, bâtissant plus qu’auparavant un lien visible entre ses deux passions : le son et l’image. Si ses deux précédentes productions pour Empreintes digitales (Anecdotes, 91 et Musiques naïves, 98) étaient déjà empreintes de cinétiques… Bruits soulève dès les premières mesures l’idée de carte postale sonore. Quatre vues choisies, cadrées, dont la puissance eidétique et la richesse de sens émerveillent, étonnent ou intriguent… Sur Children’s corner, on pensera aux travaux de Sibylle Pomorin voire Robert Iolini sur Soundscape (Scnd rec.) ou encore à certains travaux de déambulations sonores d’O' Rourke sur Cinéma pour l’oreille. L’album prend également une trajectoire environnementaliste (un environnement urbain) comme si Daoust se faisait le caméraman d’une virée dans Montréal un jour d’éclipse solaire. Une relation avec l’image qui jalonne d’ailleurs sa vie, puisqu’ il fut designer sonore pour l'Office national du film du Canada (ça ne s’invente pas), sans trop évoquer ses multiples collaborations sonores à des documentaires et films. Une approche multidisciplinaire, comme Michael Snow et Derek Jarman savent les apprécier.
JJ.

 
 
 
 

AKI ONDA  Precious moments
(Softl music/ Ici d’ailleurs)

Peu ou pas connu en Europe, si ce n’est pas les "Japonophiles" de la première heure, Aki Onda n’en demeure pas moins un sérieux maillon de la toile underground ; compositeur émérite, il a approfondi l’étude de la musique électroacoustique dans divers styles, offrant quelques lettres de noblesse au jazz, à l’électronique en passant par l’ambiant. Des curieux en tout genre sont venus collaborer à ses travaux, dont quelques pointures, de Yamatsuka Eye à Nobukazu Takemura (deux excellents albums chez Thrill Jockey) ou encore SFT, Steven Berstein ou Blixa Bargeld…
Après cinq années au sein d’Audio Sport, il choisit en 1996 une voix plus introspective et solitaire, trois albums plus tard -Sur All Acces et EWE rec-, le voici embarqué dans l’aventure Softl (label de tom Stenlie -Tomlab, c’est lui- et Andreas Krause-Bmlab-).
Cette seconde production du label est lunaire et poétique. Elle dresse sur le temps bref de l’album, un portrait assez juste de son auteur (dont une coproduction de Kazutoki Umezu sur Toward a place in the sun) ; assemblage de perceptions intimes et d’expressions libres, d’érudition discrète et de sagesse consommée, où la clarinette arpente avec quiétude les plaines désertées chères à Giya Kencheli ou Arild Andersen. Du vent qui se serait pris dans les cheveux d’une jolie fille…
JJ.

 
 
 
 

BLACK FICTION  Internal dissident part1
(Soleilmoon/Wave) Site
Z’EV Face the wound 
(Soleilmoon/Wave)

Soleilmoon fait partie des "grands" labels indépendants. Il a contribué à documenter le milieu en artistes rares, Muslimgauze parmi tant d’autres…
Black fiction, ce pourrait être le roman noir de Romain Slocombe sorti récemment dans la collection Rivage noir, un poème urbain des rues de Tokyo où l’anonymat est omniprésent, où chacun est potentiellement la proie de l’autre. Un climat obscur agit , à l’occasion des boucles développées… une atmosphère soufrée, une messe noire où est invoquée le rythme profond des basses, l’appel imperturbable des sirènes, le vrombissement du néon court-circuité, le silence de l’obscurité.
Soleilmoon, après avoir accompagné de longues années durant les méandriques nappes électroniques et tribales de Muslimgauze, après avoir succombé aux charmes sournois de formations dark atmosphériques assume avec cet album une synthèse réussie des divers courants qui gouvernent ses sensibilités… l’âpreté des couches sonores, qui résonnent avec froideur dans nos têtes se heurte à la texture glissante et la rigueur ordonnancée des machines… On pense pour la partie rythmique à du Two Lone Swordmen, les longues intros ambiantes (agrémentées de discours quelquefois en allemand ou français) rappelant du Nigel Ayers ou des apartés à la Mimetic, Plug Research crew. Un travail riche et angoissant d’Andy Diey avec des sommets (Caucus burialtape partII, le muslimgauzien Sepia Indate…, le dubesque Afghan Frontv1.1 ).

Pour ce qui est de Z’ev, il est ici question de coupure plutôt que déchirure, schizophrénie plutôt que folie Z’ev s’est mis bille en tête d’ausculter le corps, d’en tester la malléabilité, d’inspecter en plongée descendante chaque portion… On est pris dans un tourbillon psychotique et métaphysique de sons volés, de samples happés, de conversations en provenance du néant, proche de la musique industrielle, du scratch, du cut-up sonore à la Shea/ Erik M… On pense aussi à Columne One, à Bourbonese Qualk, à Nocturnal Emission, et à plein de lieux étranges… Des mondes imaginaires où le temps compressé, rendrait compte d’une période de 50 années résumées en quelques dizaines de minutes intenses. Un zapping scarifié d’univers industriels. Sombre et éprouvant, mais intéressant…
JJ.

 
   
 
   

Francisco Lopez/ Joe Colley Knowing when not know 
(Antifrost/ Métamkine) site

Faisant suite à des productions locales (RM11), le label grec Antifrost, a peu à peu entrouvert les persiennes de son catalogue aux rayons rasants et lumineux de la musique internationale électroacoustique à filiation minimaliste. Un nouveau filtre vient ainsi enrichir la gamme large d’artistes présents (Sachiko M…) en la présence de Francisco Lopez et Joe Coley.
Si on ne présente plus le premier, maître de conférence à l’université de Madrid et chercheur ès-musiques environementales-minimales, voyageur insatiable, photo-reporter du son… le second, Joe Colley, californien, reste moins porté à l’avant-scène. Knowing when to not know, savoir quand on ne sait pas, est un journal de bord dont certaines pages auraient été enrichies le long des berges du pacifique (Sacramento). Travail original de Francisco Lopez, ce petit document sonore a connu les remaniements personnels de Colley.
Prenant des détours plus minimalistes (ça commence comme du Bernhard Günter aphone), la composition devient plus aventureuse au fur et à mesure (on a l’impression d’avancer dans un marécage de la selva), même si elle suit un balisage référencé, qui évite les impromptus et les surprises. Une collaboration étroite qui se conjugue avec l’absence de rythmique et qui fait suite aux conversations sonores et épistolaires de Francisco Lopez (sur Geometrik rec) avec David Myers, Illusion of safety, John Hudak, Minoy, Zan Hoffman ou Steeve Peters Une musique nocturne et immergée qui nous mène doucement au centre de la terre.
JJ.

 
   
 
   

Comae s/t 
(Rhiz/ metamkine/wave) site

En érudit astronome en herbe, on se doit de connaître deux ou trois notions d’astrophysique sur les comètes. La traînée stellaire (Comae en anglais) est le nuage de gaz lié à la destruction partielle de l’astéroïde (glace et poussières), particules qui se forment en périphérie selon une longue traînée aussi dénommée queue.
Une combinaison de glace (le silence), de poussières et de particules (les aspérités) et de gaz (la chaleur), qui tout bien considéré, compose une allégorie précise des compositions du duo Robert Hampson/ Janek Schaefer. Maîtrise de l’espace, main-mise sur la densité atmosphérique, voilà ce qu’a à offrir Robert Hampson, sommité des musiques dark atmosphériques depuis Loop jusqu’à Main. Janek Schaefer,est quant à lui, un architecte de la texture sonore, géomètre de l’espace tridimensionnel, expérimentateur zélé (un 45 t. sur Hot air où un dictaphone posté enregistre les postiers !!!) et bricoleur génial (on lui doit le Triphonic et des assemblages de Turntables alambiqués -avec plusieurs bras de lecture- qui aurait ravis Erik M ou Frederic le Junter).
On devine sans peine l’apport de chacun à la copie, où Schaefer rédige ses compositions instables, faites de bruits spongieux et excentriques, Hampson se chargeant de l’ultime mise en forme, ouvrant le confinement des pièces à l’espace… Ou comment sonne l’Univers… Spectral et liminal.
JJ.

 
   
 
   

Oh ! Henry s/t 
(Autoprod) Mèl

Oh ! Henry distille l’air du temps, avec une nonchalance teintée de gravité. Les dix morceaux, qu’on devine écrits à la hâte, sur le coin d’une terrasse parisienne cristallisent un style pourtant difficile à maîtriser (et à écouter) : la chanson à texte en français. Pour autant, sans toutefois crier au génie, on est en émoi devant les jolies formules de style que développe Georges H, sorte de satellite entre les compositions d’Alain Souchon (Les garces) avec une manière de poser la voix proche de Nicolas S, d’Indochine. Les titres tels que Carbone 14 ou L’été des merguez nous interpellent par leur justesse ; la musique lorgnant sans préméditation vers les compositions de Sébastien Tellier (La fille sans joie) ; Ou une façon comme une autre d’évacuer ou de stigmatiser, c’est selon, les zones d’ombre de son for intérieur. On aime beaucoup.
JJ.

 
   
 
   

Tlone 
(Musik experience) Mèl

Tlone développe les travaux qu’il avait entamés sur la compilation référence de musikexperience. Une course de demi-fond qui livre des facettes alors cachées de son travail. La connaissance de ses outils musicaux a dû faire son chemin. La pluie cristalline de .exe sur Fidge, le monologue de computeur sur Drop, la marche forcée des robots sur Criis-pizz, la bruine synthétique des Transit sont autant de courts-métrages étranges, de haïkus grippés, d’odes à l’accident informatique ; les compositions sont denses, compactes, voluptueuses et grisantes.
Personnifiant un certain état de trouble urbain, de dérive, Transit est un exutoire flamboyant à cette dépression latente. Des filtres opaques et oppressifs qui travestissent une musique électronique hybride et expérimentale, au demeurant assez enfantine, révélée par Bisk, Styrofoam, Crunch (et les titres les plus atmosphériques d’Autechre), parmi d’autres précurseurs du genre. Un disque d’électronica rythmée de très haute facture.
JJ.

 
   
 
   

Bathyscaphe Road movie
(Lykill records) Mèl

Ce pèlerinage auditif auquel nous convie Bathyscaphe exige abnégation : le chemin est long, difficile, parfois même accidenté ; le parcours est paradoxalement scandé de repères arrondis, émoussés, qui en adoucissent la rigueur (musique répétitive de rituel sur Film Winder Knob) ; images de films égarés, cinéma pour l’oreille que l’auditeur est seul à comprendre. Certaines des routes empruntées par Bathyscaphe sont balisées, indiquées ; d’autres se perdent dans les limbes de l’expérimentation. Rien n’obéit à la stratégie… Ces chemins de traverse sonore se plient à des motivations plus humbles. Les teintes bleutées et froides des guitares (granite) font place aux tons plus chauds de la batterie et de la basse (gneiss). Ce voyage fait de nous, sans conteste, des voyageurs attentifs, des témoins discrets et attentionnés de leurs découvertes. L’énumération des dissonances, des strates éthérées de guitares ou des vallons capitonnés de la basse et de voix samplées coïncident avec des attentes refoulées de notre esprit.
Cet album fait acte d’une grande virtuosité, proche d’une musique de film, sans pourtant recourir à la facilité (on note, en faite très peu de samples cinématographiques) ; il développe la trame de son scénario, par boucles lentes allant crescendo, prétexte à un périple urbain nocturne, cheminement moderne où l’on adopte et cale le rythme de sa marche intérieure sur les "évocations fantomatiques" du trio. On pense fortement à Bästard, mais aussi, sans doute à d’autres époustouflantes démonstrations telles celles des premiers Osaka Bondage ou le fabuleux Score de Village of Savoonga et d’autres accointances avec quelques groupes post-rock (Pluramon, Scopa ).
Un bel album, très soigné, paradoxalement plus cinématique que les morceaux précédents (B.O. de courts-métrages) qui signe une très intéressante entrée en matière dans un format long pour le label Lykill (qui a déjà irrigué nos platines arides d’excellentes formations telles que Phlegm, Telemak stasola, Elcetroscope voire UCM (sur ochre rec). Dispo chez Meridiens, le mail order des labels inespérés…).
JJ.

 
   
 
   

Yellow 6 lake : desert 
(Ochre rec/ import) Mèl

En ouvrant leurs compositions à des domaines autres que la musique acoustique pure, Yellow 6 a sans doute, involontairement repris le flambeau là où l’avait laissé l’écurie Kranky. Une vibration familière parcourt la surface de cet album, les apartés silencieux assurent la circulation de l’air, évitent l’asphyxie caractérisée et la raréfaction redoutée… Et toutes ces traces prennent leur sens lorsqu’elles s’intègrent dans leur globalité, soit la totalité de l’album.
Une exaltation retenue parcours ce Lake : desert… Un peu de l’expérience de Labradford, le goût pour la brume de Flying Saucer Attack ou Roy Montgomery (Temple IV), le manque de tenue d’Azuza Plane corrèlent et convergent à créer des morceaux à la texture limpide, harmonieuse et évanescente. Le résultat est proportionnel à la somme de travail (et de couches) mis dans la balance. Beaucoup de strates perdues dans la mésosphère…
Des compositions élégantes, où la guitare acoustique se laisse envelopper par d’étranges sons oniriques et délétères ; une sensation pareille au brouillard, tantôt angoissant et pénétrant, quelquefois rassurant, sujet de dissimulation. Une lente montée liturgique vers les astres, parmi les merveilles des constellations naissantes que sont Racing rockets, ou Stonescape...
JJ.
P.S. : On a déjà croisé précédemment le groupe sur 555 rec avec un 12’ vibrant.

 
   
 
   

Angil Beeguending 
(Autoprod) Mèl

Plutôt que de prendre les voix de destructions classiques (suicide, boulimie, anorexie), Angil a voté, à l’unanimité de son comité restreint, de traduire ses conflits intérieurs et ses belles mélodies d’outre-tombe en un exposé brillant. Il a choisi de nous faire part du trop plein de noirceur (et de bonheur) qui encombre ses veines par l’entremise de textes agiles à se déployer, évocateurs, en équilibre sur un fil tendu entre une harmonie qu’on aurait volontiers attribué à M.Ward et un quart d’heure spleenesque digne d’un Bonnie"prince" Billy en tenue d’apparat. Une voix splendide, sur fond de guitare acoustique isolée. Écouter An old acquaintance sans sombrer relève du défi. Parallèlement, l’album développe des propositions rythmées/déglinguées à la Beck, intelligentes et énervées. Monsieur Mottet, vous êtes un brillant song-writer.
JJ.

 
   
 
   

Mélatonine s/t 
(autoprod) Site

En mettant en scène ses doutes et craintes, Mélatonine a su donner une certaine grandeur au résignement. Développée dans le cadre fermé d’une noise contemporaine (A minor forest, Unwound ) à filiation post-rock américaine (Pullman, Sam Prekop), la musique de Mélatonine est ample, alternant fébrilité matinale et coup de sang nocturne : strates de wahwah, basse ronde et ondoyante, batterie réservée, voilà pour le décor. Les constructions nous dévoilent (à la manière de la pochette au centre de laquelle trône un immeuble hausmanien) l’architecture tour à tour rigoureuse et massive, puis, une fois les premières couches grattées, une somme de beaux détails de façade, bas reliefs sculptés, subtilité iconographique avide d’esthétique. On reste envahi de belles pensées contemplatives tout au long de ces neuf titres instrumentaux langoureux et opaques qui rapprochent une fois n’est pas coutume la France des territoires des grands lacs. Un album bien plus lumineux que ce que nous suggère la pochette. Très bon.
JJ.

 
   
 
   

Active Suspension V/a 
(Active Suspension/ Chronowax )

Cette compilation arrive comme l’heureux bilan de plusieurs années d’activisme, postface d’efforts nourris et de non-complaisance affichée.
Active Suspension, avec comme seul capitaine à son bord J.C. Baroche, a réussi à fixer l’attention d’un public tourné vers l’extérieur (All, Angleterre) en faisant prendre conscience à ce public et à pas mal de jeunes artistes que leur mérite et les qualités régissant leur musique était l’égal des travaux européens.
Dans un second temps, il a permis à une scène (la scène parisienne) de se structurer, d’avoir une vision de groupe organisé, d’établir une conscience commune avec toutes les implications que cela comporte (production, organisation de soirée, etc.) en terme d’existence et de survie.
Tertio, le label a su trouver ses marques rapidement (par l’intermédiaire de codes : logo, pochette, esthétisme), en donnant une image intègre, cohérente dans ses productions (l’esprit Active Suspension !)
Quarto, le label a choisi dès les premiers temps de privilégier le vinyle avec les difficultés et bonheurs d’usage que cela implique, quitte à vendre moins et à ne pas trouver de relais tangibles dans la presse spécialisée (quel magazine chronique aujourd’hui un 45 t. ?!)
Quatre raisons élémentaires qui font écho au bon sens (le vôtre).
Un constat heureux que cette compilation, disais-je, qui voit certaines valeurs sûres refaire surface, de Mils à O.Lamm ou Dorine Muraille, quelques groupes transiter : Encre, My jazzy child, Osaka et de nouvelles têtes faire leur apparition (Shinseï, Le joyeux Hypo, Aerosol, etc.)
Des variétés de talents, réunies sous une large bannière pop-électronica (la pop étant le fond et l’électronica la forme), quelquefois classique, quelquefois visionnaire, mais toujours pertinente. Quant au graphisme, il exploite les bugs informatiques, dérapages d’arborescence, ruptures de liens et mises en page tronquées dans un esprit sommaire déjà présent dans les productions de Microwave, label de Roel Melkops… Et de nous interroger, les hackers sont-ils des artistes ???
Un premier pas au pays des cédés, qui sonne comme le référendum rêvé d’un fan du genre. Excellent.
JJ.

 
   
 
   

Sisdel Endresen Undertow
(Jazzland/Pias)

Dans un prolongement heureux des voix du Nord, doux avertissement de l’hiver qui approche, Sisdel Endresen creuse un peu plus le sillon nordique où les voix chaudes et à part, où les arrangements jazzy se télescopent. Jazzland est le fer de lance de cette nouvelle scène, qui, de Marie Boine à Beady Belle, voire Stina Nordemstein convoque à sa table la chaleur opaque des cuivres, le son feutré des basses et la voix crépusculaire de chanteuses rares ; un mariage d’amour dont on ne se lasse pas t’entendre les excroissances, ou la progéniture…
Une voix perdue, subtilement éraillée, parfois proche de Suzanne Vega/ Marie Boine, qui décline sous forme de spoken word, chants justes suggérés et sur fond de jazz malade, de trip-hop/électro reclus et de blues distendu les errements et visions d’une jeune femme. Fouillé et beau (À noter la présence de Nils Peter Molvaer sur deux titres) Jazzland est un tison ardent qui fraye dans la glace, affleure et modifie la couche superficielle de la banquise nordique.
JJ.

 
   
 
   

V/vm test Hate you
(V/vm/ Import/wave)

L’entité V/vm manie l’humour et le politiquement incorrect avec une aisance rare. L’approche de cette anthologie s’appuie sur le constat du manque d’originalité constaté (avéré) de nombres de labels indépendants, au sein desquels s’opère un processus lent, où petit à petit, l’intuition cède le pas sur la cohérence, où le DIY s’efface devant le concept marketing.
Casser les portes, briser les conventions, mettre en péril ce qui est établi, voilà ce à quoi V/vm se livre ; un dogme, où le terme " hate you " prend des allures de je t’aime moi non plus.
Un passage à tabac en règle du convenu, où tout est sujet à détournement, larsens ou saturations. L’écurie V/VM emmerde tout le monde (qui d’autre que les anglais pour avoir ce concept génial ?!) et nous le fait savoir… Ça va du punk rock saturé des Devil Chan à la reprise la plus géniale et hilarante jamais "forfaitée" (Music de Madonna par Skatter) ou le concassage de stars has-been (de Billy Ray Cyrus à Ray Parker jr…) Icon of throat place en orbite un morceau splendide et John Carpenterien (que n’aurait pas renier AKA). On espère qu’ils échapperont aux poursuites envisageables, à la différence de Negativland… En tout cas, si vous avez un quelconque attrait à vous faire vomir dans les oreilles, cette compilation est la vôtre…
JJ.

 
   
 
   

Louise Vertigo S/t 
(musiques hybrides/ Delabel)

Le sentiment de perplexité est à classer dans la gamme des sensations étranges, d’entre deux, où l’assurance se dispute au doute, où l’émerveillement laisse place à l’interrogation, quelquefois à l’ennui. Louise Vertigo a une dose substantielle de talent ; on l’avait repérée en crooneuse Jazzy/trip-hop chez les Mighty bop. Elle a toujours su enlacer, entourer sa personne et sa voix de compositeurs talentueux, morceaux chauds, élégants et rythmés… C’était déjà le cas chez Mighty bop, c’est à nouveau le cas aujourd’hui… En s’entourant des nouveaux talents de la scène française, de Rubin Steiner à Olaf Hund, en passant par Roudoudou, elle a su se construire une cours attentionnée, facétieuse et astucieuse dans le traitement des sons, redonnant un coup de polish aux morceaux initiaux… Des morceaux comme des petits écrins capitonnés, veloutés d’ingéniosité… Le problème est que l’écrin est un peu vide, là où devrait se tenir en lieu et place un diamant… On n’entrevoit qu’une gemme de facture classique. La voix et les textes asphyxient l’air des compositions, brouillent la vision d’ensemble, noient le rythme dans un bain d’eau tiède alors que les compositions étaient supposées palier au manque de rythme général. Si sur certains passages, l’osmose se fait avec intelligence, la voix est le plus souvent trop présente pour concentrer notre attention.
JJ.

 
   
 
   

Cartouche S/t 
(rewind records) Mèl

Cartouche, patronyme voué à la postérité, en partie grâce aux écarts faciaux du sympathique et athlétique Jean-Paul Belmondo, devra à présent compter sur son équivalent musical.
Un groupe qui, de prime abord, frappe notre curiosité à grand coup d’exotisme. Les oiseaux de Paradis qui ornent la jaquette, dessins naïfs et pastellés, nous plongent d’entrée dans une béatitude estivale. Ensuite, le choix du label, Rewind records, établi au Japon, nous fait momentanément oublier l’hexagone pour le Pacifique. Un exil au pays du soleil levant, qui n’en a que l’apparence, la musique sonnant quant à elle bien européenne. D’une architecture classique et courtoise, les morceaux du trio revendiquent leur part d’oisiveté et de candidature à la nonchalance (pop anglaise intimiste/ étrangetés baroques). Une économie d’énergie qui répond à une autre économie, celle des moyens, prosaïques, mais dont on se fout en définitive pas mal… Seule compte la musique, non ?! À rapprocher de Butter 08 en version lo-fi et d’entités pop étranges…
JJ.

 
   
 
   

Fragile / Imagho Ombres/sombres
(FBWL)

L’année 2001 aura été une année de prestige pour les vacations contemplatives déclinées sur le mode de la guitare intimiste… L’album de Vincent Gallo, et d’autres projets plus discrets (Le cube, par exemple) et puis cet album…
Peut-on encore parler de collaboration alors qu’on est en présence d’une osmose parfaite entre machines (discrètes et sensibles) et arpèges de guitare (fluides et volatiles)… L’humilité appliquée des musiciens face à leur musique ne doit pas cacher la flamboyante beauté de leurs compositions… Une chaleur lancinante mais suave, qui décline un peu du travail de chacun, captation de bribes électriques, évocation de solitude atmosphérique, etc.
Avec la délicatesse qu’il faut pour troubler sans faire défaillir, toucher sans brusquer, les arrangements sporadiques, évanescents autant que fébriles guettent l’instant où le jour décline dans l’obscurité, où l’automne tourne le dos à l’hiver. Fragile (Hervé Thomas) nimbe les mains de Jean-Louis Prade d’une présence sourde et apaisante, nappes atmosphériques opaques qui mettent avec humilité en scène les bas reliefs des compositions magnifiques et leur caractère isolé. Inspirées du folklore hispanique, au long de l’album, s’entrecroisent des phases très sèches dans l’exécution et de longues divagations mélodiques et nostalgiques, avec entre elles, des espaces interstitiels où le vide prend de l’amplitude. Les harmonies calmes, les boucles de violons lancinantes, enivrées des spores des cerisiers du Japon (le splendide La pluie) finissent de nous achever. Les comparaisons se doivent d’être délicates et nuancées ainsi, un titre comme Zaej aurait pu voir le jour sur ECM (Anouar Brahem). Ce qui trouble dans ces compositions c’est leur accessibilité élégante et leur côté hors d’atteinte, par la complexité qui se livre à la deuxième lecture (ne serait-ce que la conclusion sur Au revoir…). À trop vouloir fouiller la délicatesse, on en tire des chef-d’œuvres.
JJ.

 
   
 
   

Velo Bulbul 
(Trost/ Amanita)

À quelques exceptions prêt, les compositions de musique concrète ont toujours été réfractaires à la mélodie.
"Velo", en français dans le texte est une entreprise exaltante. Ce mini-album se présente dans un digipack qui imite à la perfection un jeu de câbles de freins, serti d’un emballage carton où les recommandations d’usage et les typo publicitaires se croisent.
En prélevant dans les objets usuels qui nous environnent, des sons, et en faisant de ces objets des instruments, Velo ouvre la voie à une exploration clinique et totale de la maison, où chaque élément du paysage quotidien (tire-bouchon, ouvre boite, casserole) devient un instrument potentiel… le cycle est exploré dans sa totalité, des grincements du frein au crissement du pneu, de la pompe à vélo soufflante à la sonnette en expiation. Ces sons, une fois captés sont cut-upisés, traités en boucle, hiérarchisés pour offrir au final une symphonie du consommable, un concerto pour une société moderne. L’agencement de l’ensemble des sources lorgne étrangement vers une électro minimaliste et racée. En schématisant l’esprit du projet, on peut le rapprocher de l’approche de Matmos sur la scène de l’usine (dans Dancer in the dark) mais surtout à une version actualisée du Tour de France de Kraftwerk. Brillant d’ingéniosité, déroutant de rythme…
JJ.

 
   
 
   

Monogram  s/t
(Monogram) Mél

En adepte du recyclage, Monogram fait son petit commerce des bribes de sons de l’enfance, d’un tout-venant sonore. Sans brusquer les choses, ils installent, avec une rigueur toute métronomique un climat où détente et angoisse s’entrecroisent. Pas de superflu ni rien de trop ostentatoire dans la production… Heureusement, a-t-on envie de dire, tant les frêles fondations sont peu propices à recevoir une telle charge de décorum.
Des compositions sereines, tournées vers la mer, qui ajoutent à l’attrait du grand large et de l’air chargé d’embruns, des courants marins puissants… La richesse lexicale de leur musique résulte de cette interpénétration analogique/numérique, favorable à des constructions étranges et désuètes où alternent des synthés brumeux et des guitares opaques… C’est très beau.
JJ.

 
   
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