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Entretiens

  JadeWeb chroniques #11
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LES ENTRETIENS
. Clinic .

. Piano magic .

. Bip-Hop .
. Travaux Publics .
. Mathieu Malon .
. Arbouse Rec .

À LA LOUPE
Le label Z & Zoé
5

HAND OF DOOM Black Sabbath tribute
(Idaho music/Poplane)

Le heavy metal a longtemps été sujet à un tabou puissant au sein des sphères musicales. Loi du silence, mensonge par omission, longs blancs accusateurs ; chacun semble avoir évacué de son discours, de sa jeunesse, l’imagerie et la musicalité de ce courant singulier né aux États-Unis dans le milieu des années 70’. Pourtant les millions de disques vendus, les posters jaunis, les paraphes aux marqueurs sur les sacs US en attestent ; ce courant a bel et bien existé, il a eu son heure de gloire, ses leaders et ses héros : Black Sabbath.
La série télé des Osbourne voudrait tristement nous faire oublier la sauvagerie, le modernisme et l’énergie de son mentor et donner l’image d’un type prématurément sénile, grabataire et amolli (ce qu’il est incontestablement). Pourtant, Hand Of Doom, (empruntant le titre fédérateur de Black Sabbath), vient remettre en perspective l’entreprise de ces musiciens qui ont marqué des générations d’acteurs de l’underground.

Viscéralement masculine, la musique de Black Sabbath trouve l’originalité d’être ici revisité par la féminité à fleur de peau de Melissa Audf der Maur dont la voix rêche (façon Janis Joplin) ne peut pourtant faire oublier le charme. Un tour de revue absolu de ce groupe unique dont monsieur Mike Patton et Faith No More avaient déjà fait l’éloge dans un vieil album (le sublime War pigs), qui nous fait déjà regretter de ne pas arracher du corbeau à mains nues, tout en secouant notre mise en plis sur des riffs assassins. Le devoir de mémoire est en marche !!!! Absolument nécessaire.
JJ.

 
   
 
   

SPREAD LOVE Feel good grooves & inspirational soul
(Harmless/La Baleine)

L’anthologie de la musique noire a trouvé son apôtre, son étendard le plus sincère, son porte-voix le plus glorieux en la personne du label Harmless. Aux côtés de quelques labels (Irma, Victor) il a su transcrire par le biais de compilations thématiques toute la richesse stylistique, toute la prolixité des approches de la musique afro-américaine ; souvent copiées, jamais égalées. Ce nouveau chapitre, le quarante-huitième, dresse à nouveau cet état de fait même si des écueils ne sont jamais loin.
Si risque il y a, c’est sans doute celui d’opérer une segmentation systématique des artistes sous forme de compilation, enlevant d’une part leur originalité (l’intégrité identitaire de leur album) tout en leur imposant de figurer au sein de thématiques, de courants dans lesquels ils ne se reconnaissent pas forcément.
Cependant la qualité ne se dément pas : la moiteur charnelle, l’hédonisme tropical, les rites initiatiques, funky et poétiques, et plus généralement la sensualité et la sexualité (funky attitude !) qui se dégagent de ces morceaux nous feraient presque oublier les siècles d’éducation qui ont fait de nous des " gens éduqués " (Sic !). Chaudement conseillé !!!
Avec Raw Soul Express, Gil Scott Heron & Brian Jackson, Caesar Frazier, Side Effect, Al green, Mighty Ryeders, etc.

JJ.

 
   
 
   

BURT BACHARAH Twenty classic records
(Brumswuck/Tripsichord)

Sans conteste, Burt Bacharah a marqué son époque d’une empreinte profonde. L’évidente qualité symphonique de ses mélodies, son charme discret ainsi que son song-writing sans pareil auront fait de lui un compositeur universellement reconnu.
Ainsi, jamais homme n’aura su traduire avec autant de justesse la sensibilité humaine dans ce qu’elle a de plus faillible, de plus intime. One less belle to answer, immortalisé par Dione Warwick est un merveilleux exemple.
Ancrés comme lui-même en dehors de toutes contingences de modes et de courants, ses mélodies ont la puissance atemporelle des classiques. Celui qu’on aime à surnommer " l’homme aux mille tubes et aux mille femmes " a du caractère, il aura suivi le sage adage de son maître et professeur, Darius Milhaud, en privilégiant son instinct pour les mélodies populaires sans jamais les renier.
Croisement consacré entre la profondeur du jazz, l’engourdissement de la bossa, la chaleur de la soul, le sens inné de la mélodie pop, la musique de Burt Bacharah consacre l’universalité musicale et le cosmopolitisme (sans oublier le lounge) d’un même trait d’esprit.
Cette incontournable compilation, si elle n’est qu’un argument élogieux de plus en direction du compositeur consacre quelques uns de ses plus beaux succès chantés ou joués par une poignée des plus grands interprètes de la seconde partie du 20e siècle : Dusty Springfield, Branda Lee, James Last, Astrud Gilberto, Stan Getz, Connie Francis, Scott Walkern Dione Warwick… Un classique.

JJ.

 
   
 
   

CALLA Televise (Talitres/Quatermass)
Je ne connaissais de ce groupe qu’un des ses albums antérieurs Scavengers sorti sur Quatermass, album OVNI dans la production plus électronique du label, album qui pourtant m’avait laissé une forte impression. Les ponts ont vu l’eau s’écouler sous leur jambes arquées ; pour autant la voix élimée de Aurelio Valle, les spirales d’arpèges sombres de Wayne Magruder les lents échos d’orgues et la pondération de la basse de Sean Donovan, ont gardé cette même intensité, ce même rapport direct aux choses, essentiel.
La belle confiance offerte à Talitres présage de bonne chose, le label n’a jamais été démenti dans la qualité de ses choix artistiques (depuis Elk City jusqu’au récents albums de Dakota Suite).
Televise diffuse une douce torpeur, où la rythmique, presque jazzy conjugue ses chaloupements dans un intime rapport au timbre chaud du chanteur. La ligne de guitare pointe les mélodies célestes et les transperce, nous laisse gisant sur le sol, comme mort.
On retrouve le riche appétit pour les arrangements de Novak, des accointances également avec Tram, ou 33.3 plays music (à ceci près que la basse a remplacé les violons ) mais surtout l’esprit de délition et d’obscurité présent chez Mogwai.
L’apaisement a besoin de l’opacité nocturne pour étendre son règne, prendre possession de son territoire. Calla est son ambassadeur et nous sommes ses serviles auditeurs… Superbe.

JJ.

 
   
 
   

PURÉE NOIRE graphzine & support Audio [mèl]
Purée noire est une parution artisanale et à ce titre est diffusée à un nombre restreint d’exemplaires et si possible sous le manteau ou dans des endroits dont l’insalubrité et l’indécence n’en permettent la fréquentation que par des gens bien, comme vous et moi.
Leur propos n’est pas tant d’éblouir le regard de graphismes chiadés, soignés ou transversaux (le tirage off-set est d’une implacable qualité) que d’élargir l’esprit et de l’ouvrir à d’autres formes d’expressions poétiques. Qui savait avant de lire Purée Noire qu’un singe pèlerin se nourrit de constructions paranormales, d’amour éperdu, de serpents télépathes ou de sales gamins qui ont l’eau pour jeu.
Les exemples sont légion le long de ces… (faudrait-voir à numéroter les pages, les gars !) où se libèrent Damien Girot, Charlie, Fly & K9, Quentin, Vincent Trefex et Yannick Le cœur sans oublier Anne Bacheley.
Le C.D. attenant livre avec une sublime cohésion les travaux de Président Chirac (déjà repéré sur les excellentEs compilations Travaux Publics), Ybrid, Gherrak, Liléa narrative ou Shima, chacun des divers projets évoluant autour de la musique électronique (électronica-ambient arctique-électro saccadé) résumé de ce qui se fait de mieux sur le marché (flirtant vers des labels comme Barooni, Ochre, V/Vm, Plug Research, Warp, CCO, Hausmusik).
Et comme ils le disent : " notre technique musicale, toujours la même, est très simple, nous tripotons des machines électroniques afin de les forcer à exprimer des concepts humains puissamment évocateurs tels que la générosité, l’altruisme, l’honneur, la patrie, le courage, l’abnégation. ". Jean marie Domenach me souffle la conclusion de circonstance : " Une culture qui ne serait pas une insurrection permanente de l’esprit ne serait qu’une industrie de plus. "
Et seulement pour 10 euros ! Magnifique, splendide ! BRAVO !

JJ.

 
   
 
   

ELEKTRONISCHE MUSIK InterKontinental 2
(Traum Schallplatten/La Baleine)
TAPE 10 V/a M. Güntner, Laub, B. Brunn, Losoul, Midinovela
(Ware/La baleine)

L’occasion nous est donnée, alors que la législation autorise à présent les approches comparatives de décrypter la philosophie de deux labels (Traum & Ware) dont la démarche, loin d’être antagoniste révèle des consonances proches tout en cultivant leurs différences.
Graphiquement parlant, Traum (Interkontinental 2) a penché pour une vidéo d’Yvette Klein composée d’assemblages, de collages carto et photographique en mouvement présent sur une des pistes finales du disque ; une sorte de valeur ajoutée aux travaux sonores sans lien direct avec eux.

Ware (Tape 10), plus original, tisse une relation privilégiée, une harmonie contractuelle, intimant à des musiciens de concevoir de toutes pièces un travail sonore à partir du point de vue photographique sélectionné ; l’œil des photographes (dix au total) est alors mis en musique. La musique venant enrichir le grain, nuancer les teintes et les atmosphères, en somme, apporter mouvement au statisme.
L’ambiant atmosphérique ici développée, les petites intrusions de house deep-tempo chargent les lieux d’atmosphères fluides, accentuant dans la majorité des cas le point de vue du photographe ou à de rares exceptions, jouant le jeu du détournement en inversant la convention. (La vision d’un aquarium [Thomas Balzer] renvoie à un feu de bois crépitant [Decomposed subsonic]. On passe au-delà du cadre de la photo.)
Au-delà de cette originalité, la musique cultive un classicisme de ton, ébauchant par instant quelques recherches sur la texture.
À ce jeu, le label Traum marque un point de vue plus affirmé pour la perturbation hertzienne et le crachotement… De là à affirmer qu’il est ici question d’expérimental, le fossé est encore bien large à franchir.

JJ.

 
   
 
   

OBOKEN (except you) (Le village vert/Wagram)
Philippe Saucourt et Bruno Fleutelot oeuvrent depuis quatre ans à étayer le gîte de fortune qu’est Oboken. Non qu’ils aient ressenti le besoin d’ériger des murs épais ou d’apposer de lourdes charnières pour s’abriter. Ils ont préféré à cela le dénuement, la modeste vie d’ermite où le toit léger les abrite de la pluie et les murs frêles des vents sans les priver pour autant du spectacle de la nature.
Ce qu’il convient aussi de dire, c’est qu’Oboken livre une guerre d’usure avec la réalité, confrontant leur imaginaire à la matérialité des choses. Pour emprunter à Kierkegaard, " c’est comme si un pressentiment et un souvenir tissaient une image qui, pourtant ne peut pas prendre forme (…) comme le dessin dans un tissu fin, dessin plus clair que le fond qu’on ne peut voir parce qu’il est trop pâle ".
Filtres du réel, les compositions d’Oboken ne démentent pas leurs prestigieuses filiations (Mark Hollis pour la retenue, The Sea & the cake pour la douceur, Sparklehorse pour la trame mélodique). Et elles sarclent et engrangent avec toujours plus de passion et de détermination les moissons de l’introspection féconde et d’un certain esprit de sérénité.

JJ.

 
   
 
   

RUBIN STEINER Guitarlandia remixed
(platinum/BMG)

Si le titre Guitarlandia promet déjà bien des voyages, des appels à l’excursion (de pays imaginaires ou non et ce n’est pas Alberto Manguel qui me démentira) ce maxi nous engage vers une autre expédition. Cette traversée ensoleillée est l’occasion d’une sextuple interprétation :
- Le brouillard londonien par Fog
- Les steppes désertées de l’Oural par DJ Vadim
- Les forêts de béton de TTC
- la chaleur des ferias sévillanes par Up, bustle & out (le plus dans le ton)
- Les plages hawaïennes par Mr Neveux
- La face cachée de Titan (satellite de Jupiter) par Bosco.
Le maxi de remixes se transforme alors en carte gigantesque, où de longs doigts curvilignes, fuseaux improvisés, épousent chacun des points cardinaux, des sommets rythmiques aux plaines mélodiques. Un maxi généreux avec un bon esprit et de grandes qualités mélodiques, qui n’usurpera pas le talent qu’on reconnaît à Rubin Steiner, ni à ses convives d’ailleurs.

JJ.

 
   
 
   

BLACK DICE Beaches & Canyons
(Fat Cat/PIAS)

Fervent défenseur d’une cause qu’on croyait à jamais condamnée, Black Dice revient hanter nos enceintes à la faveur de sa noise psychédélique rampante et hallucinée, à mi-chemin des expériences para-réelles de Pink Floyd, la quête d’obscurité de Throbbing Gristle (dans la veine de leur B.O. pour Derek Jarman) ou My Bloody Valentine et Xinly Supreme pour l’imbroglio sonique gouvernant une majeur partie de l’album ; se dessinent aussi des références plus actuelles, comme Supersilent, Scanner, Faust, Thomas Koner pour la création de climats ambiants sombres et isolationnistes. En fait Black Dice est un appendice de tous ces courants, une synthèse, un déluge antédiluvien de larsens métalliques et de boucles triturées. Génération post-sonique qui paye son tribut à Sonic Youth, à Neu ! et à Can.
Black Dice multiplie les occurrences électriques, ménageant à échéances irrégulières des clairières symphoniques, des enclaves de silence.
Pour quelqu’un qui a toujours privilégié une approche sensible des choses, quelque chose comme une diplomatie des sentiments, de la mesure et de l’ordonnancement clair des choses, Black Dice risque de lui réserver bien des supplices et de la circonspection au kilomètre. Les dissonances et l’aspect free du groupe, diligenté par Eric Copeland (Bjorn Copeland, Aaron Warren, Hisham Bharoocha) provoqueront à coup sûr affects et stimulis nerveux. À chacun d’analyser ensuite la teneur de ceux-ci…

JJ.

 
   
 
   

BIP-HOP VOLUME 6 V/a
(Biphop/La baleine)

Ce sixième épisode est sans nul doute le plus réussi de la série, du fait de l’excitante diversité exposée ainsi que de la haute qualité des travaux présentés... La diversité en action qui à l’occasion franchit les frontières de l’électronique pour saluer les espaces concrets ou électroacoustiques.
Alejandra & Aeron, malgré leur jeune âge, semblent totalement aguerris à l’exercice de composition. Ils délaissent un temps leur splendide label Lucky Kitchen (la ligne graphique et musicale est admirable) pour offrir à Bip-hop une pièce ciselée, fine, quasi-translucide où l’évocation des lieux intimes du quotidien (un thème récurrent chez eux) nous est dépeint dans un clignement de paupière d’à peine dix minutes.
Scanner, pour sa part revient à ses préoccupations premières, délaissant un temps les approches environnementalistes (les lieux urbains avec Tonne) ou plus électroniques (variables multiples). Il habille ici son Thulium hym d’une parure newage et d’un isolement merveilleux à la manière d’un Philippe Scheffner (si mes souvenirs sont bons). Parmi ses meilleurs travaux à ce jour.
Bittonic, cultive l’art du sonar, détectant les aspérités des profondeurs, amplifications douces de l’espace. Roulement sourd des profondeurs de l’univers ; l’idée de la matière en expansion ; hoquets, poussières de glitchs en échos. Un dub intersidéral, aux marges des musiques du réel (concrète) comme sur Koputos et son jeu de chaises musicales ou Vaare et son élastique qui se distend à l’infini.
Battery Operated plaque le rationalisme militaire à la musique électronique minimale : distorsion du réel, rythmique butoir, tension implacable, filtres torturés composent son univers qu’on retrouve avec un réel plaisir après son album sur CocosolidCiti.
Une compilation lucide et clairvoyante.

JJ.

 
   
 
   

EVA CASSIDY Song bird (Hot records/wagram)
Le temps est un acteur tragique qui se joue de nos vies et de nos existences.
Le temps, voici sans doute le suprême luxe qui aura manqué à Eva Cassidy, à présent décédée, pour imposer le fil de sa voix et la gamme de son talent.
Fi des considérations et des ventes astronomiques, fi aussi des majors qui n’auront su entendre en elle l’amère beauté et la solitude que recèlent ses morceaux ; ceux-là mêmes qui à présent ne tarissent plus d’éloge à son propos, ceux qui remplissent leur compte en banque de son âme (qu’on leur bourre la bouche de sable et de boue !).
Comme une répétition tragique du destin de Dusty Springfield, ce n’est pourtant pas le suicide mais la maladie qui aura arraché la chanteuse à la vie. Une carrière comme un éclair, comme un clignement de paupière qui aura laissé à la postérité deux albums célestes, l’un composé d’originaux, l’autre de reprises ; albums où le folk, le blues et le jazz auront trouvé l’espace de courtes prises, une fabuleuse promiscuité et un magistral porte-voix.
Une expression libre, une orchestration où l’humilité se décline sur tous les registres pour un esprit musical évoquant tour à tour Dusty Sprinfield, ou Norah Jones.
Indispensable et insensé comme la vie.

JJ.

 
   
 
   

CYANN & BEN Spring (Goom/Chronowax)
Goom s’est toujours abstenu de défendre un postulat où l’électronica avait seule voie au chapitre. Le passé du label corrobore d’ailleurs ces propos en faisant la part belle à des pistes divergentes où rock in progress, folk implosive et pop analogique cheminent en compagnie du camarade électronique, frères d’armes dans la lente ascension du label.
Cyann & Ben est une superbe démonstration de sensibilité qui prend appui sur la limpidité mélodique d’un quatuor qui voulut être duo, quelque part entre une nitescence sourde d’arpèges et un embrasement diffus et pondéré de mesures.
Le chant est d’une beauté honteuse, de celles qu’on garde pour soi de peur qu’on ne vous la vole… Elle effeuille dans une grammaire éplorée l’anxiété et les tourments de l’existence… et parvient à étreindre, au travers de ces petites historiettes intimes, une sorte d’universalité dans laquelle on se reconnaît. La confusion des sentiments ?!
Dans la hiérarchie des émotions quelque part entre Air et Sébastien Tellier, l’élevage de poussière en plus. Une réussite !!!

JJ.

 
   
 
   

LEE HAZLEEWOOD Twenty classisc records
(Brumswuck/Tripsichord)

On dit de certaines personnes qu’elles se trouvaient au bon endroit, au bon moment. Lee Hazleewood est de celles-là. Mieux, il a su faire serment d’humilité en gardant toujours la froide circonspection et le retrait légendaire des paroliers et producteurs (même lorsqu’il fut interprète).
L’homme a dressé un parterre fleuri de mélodies et de tubes, le destin se chargeant de les mettre sur les voies (voix) de Franck Sinatra, Nancy Sinatra, Dean Martin, Dusty Springfield ou Elvis Presley pour ne citer que les plus prestigieux.
Une carrière unique pour un mélodiste à part, dont le son "unique" s’est développé à la faveur de trouvailles techniques de studio, d’astuces et de simplicité sincère et enfantine. Une plongée en eaux claires dans ses gammes, qui s’ils ont subi la patine du temps, n’en demeurent pas moins d’incontournables chefs-d’œuvre. Un album d’autant plus nécessaire que la jeune génération lui consacre un hommage tardif et inutile.
Une belle introspection dans une Amérique qui faisait alors encore rêver, celle de Coltrane et Sinatra.
Qui a entendu (et vu) la bande original du film Tony Rome, détective (rôle principal tenu par Franck Sinatra) ne peut que dresser un autel à la gloire de Lee Hazleewood !
À découvrir d’urgence si ce n’est déjà fait !

JJ.

 
   
 
   

EPSILON SIGMA CLUB S/t (Epsilon Sigma club rec) [mèl]
RODAN S/t (Epsilon Sigma club rec)
EUELL s/t (Epsilon Sigma club rec)

L’Epsilon Sigma Club n’est pas tant une secte provinciale qu’une auberge espagnole de talents en devenir.
La lisibilité de la démarche risque de mettre à contribution myopes et astigmates tant les niveaux de lecture et d’interprétations se superposent. Ainsi, les échelles se multiplient, se chevauchent offrant dans un jeu constant de changements de rôles, un emboîtement de genres sauvages, réfléchis ou décomplexés, c’est au choix. L’esprit communautaire flotte sur la bannière de l’Epsilon, mais l’esprit de corporatisme en est absent. Petits détours par trois formations qui la composent.


Epsilon Sigma Club
Des tirages (inter)nationaux (le Reeders Diggest, L’Almanach Vermot, Rustica) en ont déjà fait l’éloge, prêtant au passage des aventures intestines à certains de ses membres. De mœurs et de coutumes inconciliables, chacun des acteurs parfait à sa manière le patchwork créatif de cette société dans la société pour lui donner vie. La magie fait pourtant tourner à plein régime cette machine espiègle et rationnelle (quand il est question de musique). Un fourre-tout heureux, qui des divagations rythmiques d’Isotope 217- June Of 44 aux embruns de Fugazi et d’énergie pure punk rock, des soubresauts du post-rock (Do may say think) aux filiations heureuses d’une folk pastorale (David Grubbs-Jim O’rourke) en passant par une électronica sonique (Trans Am), du free jazz ouaté et d’extraits cinématographiques désuets et branques, nous livre une bien belle démonstration de savoir faire. Très bon.

Rodan
L’anagramme du nom du groupe (Rodan) avec son seul et unique intervenant (Odran) n’aura échappé à personne. L’esprit de Michel Constantin n’est jamais loin de l’approche personnelle de son auteur.
Rompu au clin d’œil cinéphile, Rodan (co-listier de Godzilla également) multiplie les accointances avec le septième art, depuis le Brundle, Mouche de Cronenberg, le Matchbox, allusion volontaire ou non au mouvement Fluxus (qui réalisa aussi des courts-métrages) ; ou bien encore Time gap dont le titre sent le chef d’œuvre Vandamnien, Rodan sait aussi, quand il le faut nous parler musicalité : la démarche le rapproche d’ailleurs d’un hybride de Moonshake (jusque dans la voix du sieur Callahan) ou Long Fin Killie, engoncé entre une noisy punk acide et une folk pop évanescente ou pastorale façon Arto Lindsey- Velvet underground-Silver Mt Zion.
Sans tomber dans l’extravagance, Rodan aime à cultiver un certain retrait à la chose musicale, sans se faire austère défenseur du temple de l’amplifié. Sympathique et frais.

Euell composé d’une structure familière guitare-basse-batterie aligne quelques standards de musique savante et populaire. Si la sueur est le meilleur ami du rock, la patience et l’ajustement rythmique semble être l’atout du post-rock.
Amateur éclairé de champs de batailles désœuvrés (Do may say think, A minor Forest), de méandres asphaltés (Ui ; Shellac) et de clairière de illfolk (Labradford -God Speed), Euell compose ici une photographie remarquable d’un espace immense où neige et pierres dénudées coexistent sous la chaleur du soleil. Excellent !!!
On n’oubliera pas de mentionner le très éclectique Odanium et ses cadavres exquis de films de cul, de spoken word, d’électro et d’énergie pure, ainsi que M. Quienne (extraverti et drôle) et Trümmelschläger, projet électro (avec assez peu d’électro, avouons-le) du maître de cérémonie (Johann) quelque part (de loin) entre Renaud Garcia Fons, Muslimgauze et Fever, la déconne en plus.
Un sacré bon bordel !


JJ.

 
   
 
   

ANALOGUE S/t (Illicit/La baleine)
Voilà une excellente surprise en provenance du label Illicit. Si vous ne jurez que par la folle chaleur des compositions afro-américaines des labels Harmless, Irma, l’ensemble des groovy et funky sound de la génération précédente, vous serez aux anges. Imaginez ces sons rehaussés du clinquant de l’entreprise électro-hip hop. Une entreprise dévouée à la danse à l’hédonisme sautillant, proche de certains sons de Blackalicious ou de Bomb The Bass, du très bon, donc !
L’activisme neo-funk s’empare des mécaniques huilées de l’artillerie analogique, les scratchs montent à l’assaut des barrières du groove, rallient à leur cause le souffle de la soul mis en voix par un timbre féminin envoûtant (dans la lignée directe de Vera Hamilton, Laura Lee, ou Lyn Collins).
La vie c’est le désordre, voilà pourquoi rien ne saurait être ordonné dans cet album racé et brillant.

JJ.

 
   
 
   

MANTA RAY Estratexa (Acuarela/Pop lane)
Manta Ray
, malgré le court sillage de sa jeune carrière, a pourtant multiplié les fausses pistes et les leurres, les apparents contre-sens et les paradoxes.
Affilié à Diabologum par le sang versé d’un premier album (la ultima histori de seduccion), on a pu depuis se délecter du jeu de son guitariste Nacho Vegas au sein de Migala (par ailleurs frères d’armes de label) puis convoler en juste noce à la faveur d’une tournée estivale au côté de Thalia Zedek et Chris Brokaw de Come (ce dernier ayant depuis intégré la line-up de Manta Ray).
Remixé par un collectif techno courant 99, ils ont livré un single issu d’un live à la VPRO d’Amsterdam (apprécié des amateurs de Staalplaat) j’en passe et j’en oublie.
Manta Ray exprime dans les non-dits de leur biographie sommaire le choix d’une pensée libre, sans ambages, dédouanée de toutes considérations pour la chose musicale (ses à-côtés, en fait), laissant davantage leur humeur dicter l’action du moment qu’un vil calcul intéressé ou mercantile.
On prend alors d’autant plus un immense plaisir à renouer contact avec leurs constructions alambiquées, baignées au punk, au rock, à l’esquisse électronique et à quelques égarements poétiques qui ne trouvent leurs pendants extra-nationaux que dans un mélange d’influences qui vont de Tran Am à Tortoise Elf Power (pour la voix sur certains titres), Shellac, Salaryman, Uzeda, voire un Programme Français (ou Telefax sur Dora Dorovitch).
Estratexa ou la fleur sombre du rock contemporain ibérique.

JJ.

 
   
 
   

KAITO Special love (Kompakt/La baleine)
Le terreau revendicatif (social, politique, culturel) sur lequel s’est construit le phénomène techno a aujourd’hui la contenance d’un vague songe, d’un mythe lointain, sans résonance aucune avec la réalité. Elle n’a plus comme seule prétention, unique ambition de récréer et de distraire (sans avertir, ni démentir).
Il en résulte une perte de consistance de la réalité qui déteint nécessairement sur la musique.
Kaito a beau composer des aubades analogiques transparentes, des opus à la gloire de la " numérie ", il reste au final, un sensation de fadeur appuyée, d’ennui comme devant la contemplation d’une aquarelle pastelliste de Marie Laurencin…). Une musique sans identité ni énergie.

JJ.

 
   
 
   

A1 PEOPLE The reasons ep
(Hydrogen Dukeboxe/La Baleine)

A1 People
est une excroissance épanouie du label Hydrogen Dukebox. Un maxi, (casiorock), un album (The visit) et un remix (Harry K) plus tard, il manquait l’expression imposée d’un ep pour clore cette révolution musicale.
À ceux qui ne connaissent que peu ou prou le groupe, on peut avancer les noms de Luke Slater, DMX crew, Console, sans qu’il soit fait œuvre de plagiat ou de contretype. Les sonorités fusent comme des lasers bien réglés, les nappes de synthétiseurs, délicieusement 90’ viennent colmater de leur étanchéité l’armature 80’ des mélodies.
Ça rappelle les émancipations techno du début. L’emploi du mot binaire s’il décrit bien le fond fausse le sentiment de douceur et d’affabilité qu’on prend à l’écoute de ces cinq hymnes de poche. Sympathique.

JJ.

 
   
 
   

STARGAZER Cosmic fusion & interstellar jazz
(Harmless/La baleine)

Rendu évident par la multiplicité des approches et des perceptions artistiques, Harmless a circonscrit au domaine de la culture et de la musicalité funk bien des domaines : voix féminines, funk urbain, racine afro, proto hip-hop, chaque espace ouvrant voie à autant de collections. Pourtant, dans ce paysage luxuriant, il manquait à cette étourdissante collection de raretés (près de cinquante aujourd’hui) l’évanescence du courant spatial du jazz funk.
Les précurseurs du style, loin d’être des novices du genre auront su faire acte d’émulation, ouvrant à une scène toujours plus grande leur vision élargie du jazz, du be-bop de la funk et des champs d’exploration de la musique ambiant, new age ou atmosphérique.
L’avant-garde d’un Hancock, le mysticisme stratosphérique d’un Sun Ra, l’exemplarité d’un Donald Byrd, s’ils sont ici à l’honneur ne cachent pas non plus les autres créations et surprises qui s’y dissimulent : depuis le somptueux Konda de Miles Davis, troublant et méditatif aux stridentes expérimentations de cuivres et de cordes de David Axelrod sur A divine image , digne d’un Planète Interdite ; les soul & funky Theme from the planets de Dexter Wansel et Apresa d’Azymuth (très Capitaine Flam !) chaque élément du disque renvoie à une approche, un point de vue, réaliste ou fantasmé, angoissant ou non de nos interprétations divergentes de l’espace interstellaire.
La question étant comment enfiler
un casque de cosmonaute avec une coiffure afro ?!
Un excellent bol d’oxygène.

JJ.

 
   
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