LES 7 FAMILLES DE LA BANDE DESSINÉE #1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 | 7

Les militants
Chez les indépendants, les requins marteaux défendent le créneau de la Bande dessinée d’humour

Les requins marteaux


Jade : Pouvez-vous définir les Requins Marteaux ?
Marc Pichelin : (Rires) Ouais, on peut. On peut essayer. Pour moi c’est un collectif d’auteurs de bandes dessinées. Dans le sens ou on est plus attaché à travailler ensemble, à réunir des gens pour travailler, que d’avoir un projet de structure éditoriale ou je ne sais quoi. C’est des gens qui se retrouvent. C’est à structure variable, en fait, c’est pas défini de savoir qui y est, qui y est pas, c’est des gens qui viennent pour travailler sans faire forcément partie des Requins Marteaux. Et après, en fonction des gens des projets sont mis en place. Ça peut être des projets de livre, donc d’édition, des projets de journal, de création d’expo, création d’un festival de bande dessinée, on a mis en place quelques projets pédagogiques quelquefois. Donc si tu veux, on n’a pas de ligne en soi, ni graphique, ni narrative, ni commerciale, on a juste la nécessité de mettre en place un outil de production qui est les Requins Marteaux. C’est un outil qui nous permet de travailler, d’avoir un compte en banque, un atelier, un festival. On met en place des petites choses comme ça, qui permettent à chacun d’avoir des possibilités de travail. Un mec arrive, il dit : voilà, j’aimerai faire un comics, on regarde ce qu’il fait, on travaille ensemble et puis si on arrive à tirer 5000 balles, on le fait et puis voilà.

Quels étaient les buts que vous vous étiez fixés quand vous avez commencé ?
M.P. :
Faire de la bande dessinée. On n’avait pas plus de but que ça. A un moment donné on a eu envie de faire des livres. On venait du Fanzine, en fait. On avait fait du fanzine pendant quelques années et puis bon, comme toute expérience de fanzine, ça s’est arrêté au bout de deux ans. On a cherché ce qu’on avait envie de faire les uns et les autres, les projets ont un peu avortés et jour on a eu l’occasion de monter les Requins Marteaux avec d’autres personnes, qui faisaient de l’expression vivante, de la danse, des choses comme ça, nous on faisait de la bd et ils nous ont appelés à ce titre là. On a commencé à faire des petits livres avec Guillaume et petit à petit on a publié de la bande dessinée et d’autres gens, comme Pierre, sont venus nous rejoindre. On ne s’est pas dit : tiens, on va monter un label indépendant de bande dessinée et puis on va faire ça comme bande dessinée, etc, etc. Ça s’est fait comme ça, sans préméditation, on n’avait pas de but à priori.

Ce n’est pas un hasard non plus si vous vous êtes mis à avoir une activité éditoriale.
M.P. : Ben non, parce que, traditionnellement, quand tu fais de la bande dessinée, tu fais du livre. Donc on avait envie de faire ça, en plus on avait fait beaucoup de fanzines, tout ça. A un moment donné chacun avait des projets individuels, on n’avait plus envie de faire de projets collectifs, dans une revue. Chacun avait envie de poser un petit truc qui lui appartienne. Donc on a fait des petits bouquins. Oui, on avait envie de faire des livres. Et après on a eu de nouveau envie de faire une revue. Et puis de faire des expos. Quand on fait des expos, pour nous c’est aussi un acte de création, c’est pas faire des expos pour montrer juste notre œuvre qui a été publié, ce qui nous intéresse c’est de mettre en place des nouveaux moyens de faire de la bande dessinée. Donc le livre fait partie de ces moyens là, mais il n’est pas exclusif. C’est pour ça qu’en soi on ne se définit pas comme un éditeur. On est éditeur de fait, à partir du moment où on fait des livres. Le livre est un moyen de faire de la bande dessinée.

Comment s’est passée la confrontation au monde de l’édition ?
M.P. : Il n’y en a pas eu.

Au sens large : l’imprimerie, la distribution, la rencontre avec d’autres éditeurs sur les salons…

M.P. : Ce qui est passionnant, ce qui nous a tout de suite vraiment motivés, c’est qu’on était parti prenant sur tout. C’est à dire que tout nous appartenait. A partir du moment où on imagine faire une bd jusqu’au moment où elle va arriver chez le lecteur, chez quelqu’un qui va l’acheter, on maîtrise tous les processus. Au début on a imprimé nous même des livres et donc ça c’est formidable, tu vois, de te dire on imagine le livre, de faire le scénario, de dessiner, etc, imaginer le format, le papier, se confronter à un imprimeur, à un diffuseur aussi à un moment donné, pour nous c’était vachement intéressant de le faire. D’être responsables de tout, de ne pas laisser à un moment donné de gens décider à notre place de ce qu’on devait faire. Alors on a beaucoup souffert, parce qu’on a fait des choses très "amateur ", sans que les trucs (vérifier) soit bien finis.

Vous n’aviez aucune connaissance en ce qui concerne la fabrication d’un livre.

M.P. :
Non, on a tout fait au fur et à mesure. Donc on a fait des grosses conneries, y’a des trucs sur lesquels on s’en est bien sorti. Comme on n’avait pas de projet éditorial, tout ce qu’on faisait, ça continue en partie aujourd’hui, ce sont des trucs qu’on fait parce qu’on a envie de le faire, donc c’est invendable. Ne serait ce que par rapport à des problèmes de fabrication, des problèmes de format, à un moment donné tu as envie de faire du comics et puis tous les libraires nous disent le comics ça ne nous intéresse pas. Donc on s’est confronté à tout ça, on a appris des choses, on a mis un peu d’eau dans notre vin parce que maintenant on s’est mis à faire des livres album Bd , alors qu’au début c’est vraiment quelque chose qui ne nous intéressait pas du tout. Ça évolue, à partir du moment où on n’a pas de but précis de ce qu’on doit faire, on se laisse plein de possibilités et même plein de possibilités d’erreurs, quoi, on apprend beaucoup de choses au fur et à mesure.

Vous sortez combien de titres en moyenne, par an ?

M.P. :
C’est très aléatoire. Ça dépend de l’argent qu’on a, des projets. On ne peut pas faire des livres si quelqu’un n’a pas de livre. Pendant un an on n’a pas fait grand chose parce que ni gros projet, ni argent. Sur 7 ans d’activité éditoriale on a publié une trentaine de livres. Mais tu vois, là on commence à se dire qu’on fait des livres pour les vendre, un petit peu, pour essayer de rentrer en librairie. Mais c’est vrai qu’on commence juste, depuis qu’on a signé un contrat avec Vertige Graphic, on se dit que vraiment on est…


Pierre Druilhe :
C’est déjà notre troisième diffuseur.
M.P. :
C’est quand même notre troisième diffuseur. Avant on avait une diffusion autonome .
P.Dr. : C’est vrai qu’on s’aperçoit que ça ne va pas non plus tout seul. Les mecs, soit ils ne bossent pas, soit ils s’en foutent, quand on te prend 30 %, tu commence à…
M.P. : Donc avec Vertige on essaye d’être un peu plus professionnels par rapport à ça. Si on travaille avec un diffuseur il faut aussi accepter qu’il ne puisse pas vendre tout et n’importe quoi. A un moment donné on essaie de lui proposer des objets qu’il va pouvoir vendre.
P.Dr. :
C’est pareil pour Ferraille, si on va faire une nouvelle formule, c’est parce qu’il faut recentrer les choses et essayer, mine de rien, de vendre un peu plus. Ce n’est pas simplement commercial, c’est une question de survie.
M.P : Et en même temps on se laisse la liberté de faire des comics, qu’on tire à 500 exemplaires, qui sont pensés invendables. Mais c’est important de les faire aussi, ce n’est pas grave. Mais quand on fait un album qui coûte 30 ou 40 000 balles, il faut qu’on l’écoule, sinon on se casse la gueule. Et Ferraille c’est pareil, si on ne trouve pas un moyen que ça se rentabilise un minimum, ça va s’arrêter. Donc il faut voir comment entre ce que l’on a envie de faire et comment le marché –le marché entre guillemets parce qu’on ne sait pas trop ce que ça veut dire- comment on peut équilibrer ça. A côté de ça on a des projets qui sont complètement à perte et puis c’est tant mieux.

D’où viennent les auteurs que vous publiez ?

M.P. : Géographiquement ? Ils viennent de partout. Il n’y a pas de règles, mais en général c’est des gens qui viennent du fanzine. Et puis, étant un collectif, l’essentiel c’est de pouvoir faire ce qu’on a envie de faire, de faire notre boulot, on n’est pas éditeur, dans le sens où il n’y a aucun de nous qui est responsable de l’édition. On est tous en train de faire des livres, il n’y a pas un éditeur qui dit : il faut plutôt faire ça, ça et ça. On discute de ce qu’on a envie de faire et de ce qu’on peut faire. Après les gens qui s’intéressent à Ferraille, parce que c’est notre principal moyen d’avoir des contacts avec des auteurs et du lectorat, ce sont des gens qui viennent de la culture underground, des gens qui lisent des fanzines, qui en font, plus que le public de la bande dessinée, qui à priori ne s’intéresse pas à ça.

N’est–ce pas un statut complexe, d’être à la fois auteur et éditeur ?

M.P. :
C’est être responsable. C’est un point de vue de personne, d’engagement, militant, on pourrait dire. Pour nous un auteur n’est pas uniquement quelqu’un qui reçoit un coup de fil d’un éditeur, qui signe un contrat, qui envoie ses planches et qui touche ses droits d’auteur un an après. On n’a jamais fait la démarche d’aller essayer de publier quoi que ce soit je ne sais pas ou. Pour nous c’est quelque chose de naturel. Et je crois que ça l’est de plus en plus. Nous, quand on a commencé à faire ça il y a une dizaine d’années, c’était un peu "marginal ", des structures comme l’Association se montaient et disaient "nous on ne va pas voir les éditeurs, on décide de faire notre truc. " Aujourd’hui, on rencontre de plus en plus de jeunes auteurs, qui ont 22-23 ans, qui pensent comme ça. C’est à dire qui ne pense pas de suite : je vais aller appeler Fluide Glacial ou Dargaud pour publier mon bouquin, ils s’en foutent. Dans leur logique il y a une culture qui fait que pour eux la Bande dessinée c’est ça. On monte un fanzine, on contacte les labels indépendants, on leur demande comment ça fonctionne, on sait qu’on n’est pas forcément payé, que ça demande de travailler d’être dans ce mouvement là et d’avoir une liberté de création. Je ne pense pas que ce soit plus complexe ou plus ambigu de fonctionner comme on fonctionne parce qu’à un moment donné c’est notre fonctionnement. On n’a pas le fonctionnement d’auteurs qui se disent : bon, on va publier un bouquin chez Dargaud ou chez Casterman. C’est une question qui ne se pose pas. C’est comme ça et c’est passionnant de faire ça. C’est aussi passionnant d’écrire un livre que de trouver comment on va le fabriquer.
P.Dr. : L’énergie qu’on met dans le boulot, on ne la met pas dans comment vendre et puis comment mieux vendre, mettre en place des stratégies…

Est-ce qu’on peut faire un bouquin juste pour se faire plaisir ?
P.Dr. : On commence effectivement à se poser ce problème là. C’est à dire : comment on va pouvoir continuer à survivre .
M.P. : On essaye d’en être conscient. Si on propose à un auteur, un mec de 20 ans qui a fait quelques planches dans des fanzines et qui est prêt à faire un petit truc, on ne va pas lui proposer de faire un bouquin qui coûte 30 000 balles, qu’il va falloir vendre à 2000 exemplaires. On lui dit : tiens, fais-nous une planche dans Ferraille, essaie de voir, avance un peu. De publier dans un fanzine qui tire à 200 exemplaires en photocopie, puis d’être dans Ferraille, bon il a fait un pas, il s’est adapté, il a avancé un petit peu. Plus tard on lui dira : tiens, toi, tu dois peut-être pouvoir commencer à faire un comics. Ce qui est intéressant avec les labels indépendants, c’est qu’on peut vraiment s’adapter à ce que sont les projets. Un éditeur, s’il ne vend pas au moins 3 ou 4000, pour lui ce n’est même pas pensable de le faire. Ils ne savent pas quoi en faire. Alors que nous, les structures indépendantes, on sait comment faire un bouquin qui va se vendre peut-être qu’à 300 ou 400 ex et qui peut exister à 400 ex. C’est vachement important d’avoir cette souplesse là aujourd’hui.

Cela induit une précarité ?

M.P. : Non, au contraire.

P.Dr. :
Ben, si, du fait que l’année dernière on n’a pas sorti de bouquins parce qu’on n’avait pas de pognon.
M.P. :
Mais je ne pense pas qu’on soit plus précaire que Dargaud, c’est une autre échelle. Etre souples, pour nous c’est moins précaire, parce que si on essayait de mettre en place des projets dits commerciaux, qui doivent se vendre, là on serait dans une précarité énorme. Il faudrait arriver à gérer des trucs qui nous dépassent complètement. En fonctionnant comme ça on se préserve.
P.Dr. : On continue à avancer, peut-être pas rapidement, mais on continue à produire.
M.P. :
Ce qui nous importe, c’est de faire de la bande dessinée et de trouver des supports pour montrer ce travail là en avançant tranquillement.
P.Dr. :
Puis continuer à réfléchir sur le médium.
M.P. :
Quand on regarde le projet Ferraille, avec les faiblesses et les difficultés qu’il a, je trouve que c’est moins précaire qu’une revue comme Bo Doï, qui a besoin de vendre du papier. On en vend peut-être que 2000 exemplaires, mais en le faisant tous les trois mois, tranquillement, trois ans après il est toujours là. On n’est pas en train de se dire tous les mois il faut boucler, il faut trouver un auteur qui va vendre, une couverture qui va se vendre, ça je trouve que c’est une précarité énorme.

Comment voyez-vous le travail des gros éditeurs ?

M.P. : Comme des gens qui vendent du papier. C’est un autre métier, je crois. Nous, on ne fait pas ce métier là, dans le sens ou on n’a pas de projets commerciaux. Je crois que ce qui différencie aujourd’hui ce qu’on appelle un " gros " éditeur –un éditeur, tout simplement- des structures comme nous, c’est que les éditeurs sont des professionnels de l’édition, alors que nous on n’est pas des professionnels de l’édition, on est des gens qui ont envie de faire des livres à un moment donné, qui essayons de nous adapter à ce qu’on appelle le marché et puis si ça marche pas, c’est pas grave, on ne risque pas très gros. On n’essaie pas d’être dans toutes les Fnacs. On n’essaie pas de gagner de l’argent avec ça. On n’est pas commerçant.

Vous considérez plus comme des artisans ?
M.P. : Comme des artistes. Tu sais, à un moment donné un peintre il est dans son atelier, il fait une peinture et il ne se pose pas la question du marché ni de quoi que ce soit. Il fait une peinture. Après s’il veut effectivement le montrer, soit il va voir des galeries, soit il organise sont expo et puis voilà. Je crois qu’on est comme ça.

P.Dr. :
On évolue aussi.

Artisan dans le sens où on fait des objets pour qu’ils circulent…
M.P. : Non, mais c’est pas péjoratif artisan, mais artisan c’est quand même quelqu’un qui est dans un métier, qui est de fabriquer des choses et de les vendre. Pour nous… Mais en même temps c’est ce qui a fait chier jusqu’à maintenant. On ne s’est pas du tout préoccupé du problème commercial.

P.Dr. :
Et là on commence à se les poser. Mais on trouvera des solutions.
M.P. : Petit à petit. C’est vrai que ces questions, heureusement qu’on ne se les ai pas posées plus tôt parce qu’on n’aurait jamais fait ça.
P.Dr. :
Quand on a lancé Ferraille, ce n’était pas dans l’idée, tiens, tu vois, on va se faire des couilles en or. C’était simplement : on va faire un truc, bon, on va forcément arriver à trouver à rentabiliser le truc. On s’est aperçu que le kiosque est vraiment un endroit particulier. Est qu’on est à notre place là bas, on ne sait pas. Mais en tout cas, c’est vraiment en dessous de ce qu’on espérait. Mais si on avait calculé toutes ces choses là avant de démarrer… Le mec aux MNPP nous disaient : mais arrêtez, vous êtes fous, c’est même pas la peine de lancer le truc, parce que lui il connaît vraiment tous les problèmes. Bon, ça ne nous a pas empêché de faire Ferraille et puis de travailler sur la Bd.

Parmi les éditeurs indépendants, vous êtes les rares qui vous êtes lancé dans l’aventure de publier une revue en kiosque. Pourquoi ?

M.P. :
Ce n’était pas une volonté d’être en kiosque, on avait un projet qui avait sa place en kiosque, tout simplement. Je pense qu’une revue comme Lapin, tel que c’est fait, c’est une revue, alors que nous on était plutôt d’en l’idée du journal magazine. Lapin a vraiment sa place dans les libraires. Ferraille c’est invendable en librairie. Nous on travaillait plutôt sur cet univers de Monsieur Pabo, genre le Journal de Mickey, c’était inspiré des hebdos BD "populaires " des années 50-60. On avait envie de travailler sur cette culture là, de la détourner, et que ça se diffuse vraiment. Et puis un moment donné, nous on était un petit réseau de 500 ou 1000 bouquins, on avait envie d’un projet collectif qui nous rassemble et qui se diffuse un peu mieux. On s’est dit on va faire Ferraille et on pense que c’est en kiosque qu’il faut le mettre. C’est tout. En plus quand on a lancé le truc, Jade en même temps se disait : nous on pense que Jade ça pourrait aussi être en kiosque. Et après il y a eu les gens d’Organic qui ont dit : nous on pense qu’aussi. Et puis il y a eu Ogoun. C’est un moment où des gens ont lancé des projets, intéressants ou pas intéressants on n’en sait rien. Je pense que ça dépend réellement de ce que sont les projets. On a absolument pas réfléchit est ce qu’il faut que ce soit en kiosque. Et comme Lapin n’a pas réfléchi est ce qu’il faut que ce soit en kiosque ou pas. C’est clair que cette revue là ne devait pas aller en kiosque. C’est encore une fois la chance qui fait les bonnes occasions. Parce que si on s’était dit il faut qu’on face une revue en kiosque on aurait fait Fluide Glacial bis, ou je ne sais pas quoi, mais on n’aurait pas fait Ferraille.

Vos références à la Bd populaire sont très marquées. Vous avez une approche nostalgique ?

M.P. : Non, ça fait partie d’une culture proche.
P.Dr. : C’est notre univers en fait. Quand tu demande à chacun ce qu’il a lu –je sais que Marc et Guillaume lisaient plutôt Spirou, moi je lisais plutôt des conneries comme Pif Gadget et les pockets Arédit, des copains me passaient des trucs, ça me faisait triper à fond. Zembla, des conneries comme ça, mais c’est vrai qu’on a tous ce fond commun, qui ressort de cette façon. Parce que pour nous, l’idée c’était de faire un truc marrant avec notre culture.M.P. : C’est juste une façon de ne pas nier non plus des choses qui nous ont marquées.
P.Dr. :
Quand tu regarde Ferraille, est ce que pour toi tu n’as pas l’impression que c’est parodique ? Comment tu ressens Ferraille au niveau de l’univers, des dédales intérieurs, même s’il y a toujours des références.

On y sent plus une ligne éditoriale marquée que dans vos bouquins, qui marchent plus par coup de cœur.

M.P. : Ferraille, on a mis trois ans à monter le projet. C’est un truc qui a été très long, parce qu’on n’avait pas envie de faire un magazine de bande dessinée. C’est vrai que quand on se retrouvait pour parler de Bd, l’autre il arrive avec ses 3 Stranges, tiens et machin il a fait ceci, il se souvient de Pif, C’était ça qui nous réunissait. Bernard Katou développait des trucs genre série américaine des années50-60. Chaque fois on a trouvé notre place par rapport à ça. Donc on a dit : le projet, on va prendre Monsieur Pabo , comment on peut se foutre ensemble sur ces personnages là et se les approprier, se les échanger. C’est ça qui nous a en fait réunis dans le journal. On n’avait pas envie de faire un journal où chacun arrive avec ses planches et puis on met tout ça dans un journal, on appelle ça je ne sais comment et puis on essaie de le vendre. Maintenant, après trois ans d’existence du journal, on a envie de l’ouvrir. On a tellement travaillé sur ça qu’un moment donné on a l’impression que ça peut tourner en rond. On s’est beaucoup amusé au début à le faire, maintenant il faut qu’on fasse rentrer plus de nouvelles personnes, des graphismes complètement différents, des histoires qui racontent autre chose, des essais narratifs autres et qu’on le brasse plus. On est trop dans l’univers Monsieur Pabo et au retour ça peut devenir vachement schizophrénique : nous même sur notre univers et des gens qui ne sont pas forcément dans cet univers là pourraient y rentrer mais on ne leur donne pas forcément la porte d’entrée

P.Dr. : Je suis d’accord, le point de départ c’était ça, on apporte un univers que chacun peut interpréter si tu lui file un personnage, je trouve que c’était relativement intéressant.
M.P. : C’était intéressant et il faut le continuer. Ça a bien évolué. Mais je sens la nécessité de faire un peu d’autres trucs.

Est-ce que publier aujourd’hui un journal avec des feuilletons à suivre ce n’est pas une utopie ?
M.P. : Je pense que c’est même un peu stupide de faire ça. Mais en même temps on parle encore une fois de culture populaire, de cette basse culture. Quand on a construit Ferraille, il y avait vraiment des choses qui étaient en récit court, Monsieur Pabo personnage central et il y avait vraiment des choses comme le travail de G. Marty, plutôt roman photo, Katou, qui étaient des projets à suivre. Et en même temps on a essayé de voir comment ça pouvait être à suivre et ne pas l’être. Comment on faisait du faux truc à suivre. Il faut raconter quelque chose en 2 pages. Il y a des choses qui se sont passées avant et qui vont se passer après mais en deux pages il faut que quelque chose soit raconté. Et je pense qu’il y a des choses qu’on peut lire sans connaître les épisodes précédents. Mais il y a des choses sur lesquelles on s’est fait un peu piéger ou plaisir, plutôt. Là c’est vraiment des choses à suivre. Carite par exemple, lui il en avait vraiment envie, il n’avait jamais fait ça.

P.Dr. :
Parce que ce fond commun, même si on ne comprenait pas trop quand on était enfants comment ça fonctionnait, quand tu le fais, tu te rends compte que c’était du à des contraintes commerciales, parce que c’était hebdomadaire et ce donnait une forme qui était des trucs à suivre. Quand tu te confronte à ça tu le comprends, alors qu’effectivement on aurait pu prendre des cours à la Fac, " comment il fait la Bd ", on aurait expliqué tout ça.
M.P. : L’économie de la Bande dessinée dans les années 40. ( rires)
P.Dr. : Pourquoi on faisait ça, pourquoi ça prenait telle forme, quand tu le fais, tu comprends.

Votre identité est fortement liée à Ferraille.
M.P. : Ceci dit, c’est pas nos références principales. A côté on fait d’autres choses. Ce sont des références qu’on a et on a décidé de travailler là dessus à un moment donné. Et après on peut faire d’autres livres, d’autres choses. Chez d’autres éditeurs ou d’autres labels et puis voilà. Mais bon, on trouvait intéressante et fort d’avoir une ligne éditoriale, nous qui n’en avons jamais eu. On s’est dit : si on fait une revue, c’est vraiment pour avoir une ligne éditoriale. Pas pour faire un fanzine amélioré ou chacun fait un peu ce qu’il veut. Ferraille c’est un projet sur lequel on s’est vraiment trituré la tête en se demandant comment on fait un journal. Et ça on y tient. Je crois que si aujourd’hui il n’y a plus de Bande dessinée en kiosque c’est parce qu’il n’y a pas de projets éditoriaux. Le seul qu’il y ait aujourd’hui et qui fonctionne, c’est Fluide Glacial. Gotlib a eu une idée dans sa vie, il a fait ce journal au bon moment.

P.Dr. :
Et ce qu’il y a de dramatique, c’est qu’un journal comme ça n’ait pas les couilles, de sortir à côté deux à trois autres revues qui puisse expérimenter des choses.
M.P. :
Que Fluide Glacial existe, c’est bien. Mais c’est dommage qu’il n’y ait pas des gens qui osent d’autres choses, parce que je pense qu’en 1999 il y a d’autres projets éditoriaux qui peuvent naître. Des gens comme L’association, qui ont plus des références littéraires et je pense que c’est possible qu’il y ait une revue qui sorte en kiosque qui travaille là dessus, par exemple. Il suffit d’avoir un projet éditorial pour être présent en kiosque. Nous on se bat un petit peu là dessus, notamment avec le CNL qui nous dit Ferraille, ça n’a rien à faire en kiosque. Si ça a quelque chose à faire en kiosque, l’ennui c’est qu’on est un peu tout seuls. S’il y avait d’autres initiatives comme ça, les gens reprendraient l’habitude de venir en kiosque. Pourquoi les gens ne vont plus lire de la Bd de kiosque ? Parce qu’il n’y a plus rien de vraiment intéressant. Ce que tu voyais en kiosque c’était des choses que tu pouvais acheter dans les librairies. A un moment donné, ça ne sert à rien. Tu vas en kiosque parce que tu peux trouver quelque chose que tu ne trouves pas ailleurs. Un moment donné il y avait des éditions A Suivre, c’était des bouquins découpés dans une revue. Ça, en soit, ça n’a aucun intérêt. Une revue comme Lapin c’est intéressant parce que c’est une revue qui est un projet autre que les livres qu’ils font. Tu as 150 pages de Bande dessinée dans cette revue, et pas ailleurs. C’est un projet éditorial.

On pourrait penser qu’un projet éditorial comme Ferrailles trouve assez facilement son public en kiosque. Qu’est ce qu’il en est ?

M.P. :
Il en est que ça ne marche pas du tout. Et pour plusieurs raisons. Encore une fois, nous on a travaillé sur cette culture de la bande dessinée de gare mais on a travaillé sur le fond et sur la forme. Et apparemment, ni l’un ni l’autre, aujourd’hui n’intéressent les gens. Déjà sur le fond, le public Bd ne s’intéresse pas beaucoup à ça. Et sur la forme, en kiosque, les gens ont l’habitude d’acheter des revues bien faites, plutôt de luxe. Arriver avec du papier journal, un format un peu plus petit que les standards, avec de la Bd en couverture, on a tout faux, sur la forme. C’était peut-être super bien il y a 30 ou 40 ans mais aujourd’hui ça ne correspond plus à rien, donc on n’a absolument pas trouvé le public de Ferraille. On en vend en moyenne entre 2 et 3000 exemplaires par trimestre, ce qui est vraiment très peu. En tout cas qui ne suffit pas à ce que la revue existe vraiment, au moins qu’elle se rentabilise. Donc il faut qu’on continue à travailler. C’est pour ça qu’on va lancer une nouvelle formule. Qu’on continue à réfléchir là dessus. Pour avoir ce même esprit, de changer un petit peu la forme et le fond, d’essayer d’avancer, avoir des choses différentes, des choses beaucoup plus surprenantes, que les numéros se renouvellent plus souvent, et puis sur le type de papier, sur les couvertures, avancer là dessus.
P.Dr. : Le kiosque c’est vraiment un lieu particulier, qui a ses règles et puis qui fonctionne comme ça, on ne peut pas aller contre, de toute façon. On s’aperçoit que tu as beau proposer n’importe quoi, si tu ne rentre pas dans le truc, ça ne marche pas, de toute façon. Après, pourquoi, c’est plutôt de la sociologie…

A côté de Ferraille, vous avez une politique de collection qui est assez déconcertante… (Rires) Les collections se multiplient très vites, elles se remplacent, elles disparaissent. Vous avez autant de collections que l’Association, par exemple.

M.P. :
Ouais, l’Association ils ont la nécessité de faire des livres importants, qui vont rester dans l’histoire de la bande dessinée (rires) nous on s’en fout. Un livre c’est là, c’est nul, c’est raté. Ce qui est important c’est qu’à un moment on a besoin de le faire.

P.Dr. :
Il faut le sortir et on pense déjà au prochain.
M.P. :
Nous on ne fait pas des collections pour faire des collections. A un moment donné, un mec arrive avec un projet, on va se dire ouais, c’est super ton projet, on va faire une collection de Bd. Et puis il y a des collections qui sont intéressantes, qui motivent d’autres personnes. Par exemple la collection Carrément, la première collection qu’on a faite, ça aurait pu s’arrêter au bout de 2 titres, mais il se trouve que c’est une collection qu’on a faite à peu près bien et ça a motivé des auteurs, donc on a continué. Mais nous comme on n’a pas de projets éditoriaux en tant qu’éditeurs, s’il n’y a pas de projets dans une collection on ne va pas la continuer. On s’en fout. Et un jour Katou a eu envie de faire du comix, Moulinex aussi, Pierre avait des trucs aussi, voilà.

Le prix de vos ouvrages est modique. Vous êtes les moins chers chez les indépendants. C’est un choix ?

M.P. : Ouais. Encore une fois on n’a pas la volonté de faire des livres qui vont rester dans les bibliothèques pendant des siècles, donc on s’est dit : moins c’est cher, plus ça peut tourner vite, les gens se débarrassent des livres ou les font circuler. Il y a aussi le fait qu’on n’a jamais travaillé vraiment avec des auteurs à part aujourd’hui sur le livre de Willem. Tous les gens avec qui on a travaillé sont complètement inconnus, c’est difficile de vendre cher un livre de quelqu’un qui est peu connu. Et on s’est dit : plus on fait des livres qui ne sont pas chers, plus ils sont accessibles et plus les gens peuvent prendre le risque de découvrir des auteurs.

P.Dr. :
Ouais, mais on s’aperçoit aussi de la limite du truc, c’est que les gens qui s’intéressent à la Bd dépensent quand même de l’argent, si ça leur plaît. J’ai même entendu des gens qui me disaient, alors qu’on était à 14,50F. : "c’est trop cher ". Je préfère qu’ils me disent : ça ne m’intéresse pas.
M.P. : Mais c’est vrai qu’on s’est trompé aussi par rapport à ça. Je pense qu’effectivement, les gens qui s’intéressent à ça, qu’ils mettent 30 balles ou 14 dans Ferraille, pour eux ça ne change pas grand chose, ça les intéresse de toute façon. On aurait pu faire les livres plus cher.
P.Dr. :
Parce que de toute façon on n’est plus dans la culture du kiosque, de la Bd bon marché.

Est-ce que cette démarche est-elle viable ? Par exemple votre collection Carrément, 100 pages avec dos carré à 25 F, est ce que ce n’est pas suicidaire ? A l’époque c’était amorti par des gros tirages.
M.P. : Dans notre fonctionnement, on a des livres qui en librairie et d’autres qui ne le sont pas réellement. Il y a des gens qui nous achètent des bouquins par correspondance, en les commandant à partir de Ferraille. Les gens qui achètent par correspondance, ils achètent les petits livres, les comics. Les livres qu’on cible plutôt librairie, la collection Ferraille, le Willem, ce sont des livres qui ne vont pas se vendre par correspondance. En librairie il y a la marge diffuseur, forcément ce sont des livres plus chers, qui ont une économie plus lourde.
P.Dr. : Mais c’est vrai que le problème est aussi là : tu fais des livres pas cher, en petit tirage en plus, le libraire, quelle va être sa marge sur un truc à 25 balles. Le diffuseur te prend 60 %, il garde un truc pour lui, il reverse 30 % au libraire, 30 % sur 25 balles, le mec…
M.P. :
Il y a des livres qui rentrent dans une économie de la librairie classique et puis d’autres non, qui sont plus pour la V.P.C. Tu vois pour nous de vendre un livre 40 balles en librairie ça revient au même que de vendre un livre 25 balles directement. C’est un peu comme ça qu’on voit le truc. De toute façon ces livres là, les Carrés, les comics ne trouvent pas leur public en librairie. Simplement les gens qui s’intéressent à la Bd n’achètent pas ça.

Le problème qui se pose c’est comment toucher un public populaire ? C’est la même difficulté qu’a eu Pouy avec Le Poulpe, il n’a pas réussi à toucher les banlieues…
P.Dr. : Qu’est ce qu’ils font dans les banlieues ? Les mecs ils sont leur Playstation, ils regardent des vidéos, ils regardent la télé. Ils s’en foutent de lire de la Bd…

M.P. :
Je crois qu’aujourd’hui la culture populaire ne passe plus par le papier. Dans notre démarche on n’a pas la volonté d’être populaire dans le sens que tout le monde nous lise. Quand on fait un livre à 1000 exemplaires on sait bien que ça ne va pas toucher 60 millions de personnes, mais c’est vrai qu’on avait envie, que le public qui lit des Bd, je ne sais pas qui c’est, mais les gens qui s’intéresseraient déjà à la Bande dessinée, s’intéresserait à des choses curieuses, dont le graphisme leur paraît un peu plus difficile, dont ils ne connaissent pas les auteurs. Donc, on s’est dit : moins c’est cher et plus ils peuvent prendre le risque d’acheter un bouquin. Par exemple, tu découvre Vanoli ou Bouzard ou Druihle et tu te dis : bon, je peux bien mettre 20 balles là dedans, mais peut être que je ne vais pas mettre 80 francs. C’était cette idée là. Mais, bon, ça ne marche pas non plus de toute façon. Mais on aime bien cette idée. Pour nous un comics, c’est bon marché. Je trouve bien que ce soit à 24 francs.

Economiquement, comment fonctionnez-vous ?
M.P. : Tout ce qui est de l’activité éditoriale est à perte. On n’a jamais gagné d’argent sur les livres ni sur Ferraille. On n’a même jamais réussi à équilibrer le tirage, on n’a jamais pu payer les imprimeurs avec les ventes. Bon, ce qu’on fait c’est qu’on développe des choses à côté qui ramènent de l’argent et qui permettent de payer les tirages. On fait beaucoup de travaux de publicité, de graphisme, des affiches pour des centres culturels, des choses comme ça. Et puis on a développé un travail sur les expos de bande dessinée. Là on a réussi à faire des créations d’expos qui ont rapporté un peu d’argent, on essaye de demander quelques subventions. C’est difficile et plus aléatoire, mais il y a des choses qui comment à fonctionner, notamment en ce qui concerne l’ancrage local qu’on peut avoir sur Albi et sur le département du Tarn. On a mené des actions de programmation d’auteurs, il y a le travail sur le festival, où on a pu avoir l’argent pour fonctionner. En tout cas ça ne nous coûte pas d’argent, ça paye le local, les frais de téléphone et tout ça. On arrive à payer ça avec les subventions. Sinon, tous les livres sont déficitaires, tous les gens ne sont pas payés. Pour Ferraille tous les trois mois il faut qu’on trouve au minimum 15000 F. de déficit de notre poche. Voilà.

Comment avez-vous vécu le refus de la commission paritaire pour Ferraille ?
M.P. : On l’a vécu mal, tout d’abord. Ce qui est difficile, c’est que pour nous, c’est très abstrait ça cette histoire de commission paritaire.

P.DR. :
On s’est surtout aperçu que c’est une histoire de corporation de journalistes qui bloque tout.
M.P. :
On n’a pas pu se battre contre quelque chose ou quelqu’un. Quand on a eu ce problème là, on a essayé d’avertir la presse. Tout le monde s’en foutait royalement. On s’est retrouvé tout seuls.
P.Dr. :
Le truc drôle, un mec nous a dit ça : lui, il était journaliste, il nous a dit : "bon, j’explique comment ça se passe, mais je ne peux rien faire parce que si je fais un article, je me fous contre la profession. " Donc effectivement, tu as deux ou trois trucs qui sont passés, mais le problème de fond de la commission paritaire, c’est…
M.P. :
Se battre contre rien, c’est vachement difficile.
P.DR. : C’est une loi qui est passé après guerre pour empêcher des dérives néo nazies, et en fin de compte ça abouti à une corporation qui est là et qui oblige un journal de Bd à avoir…
M.P. : Il ne faut pas dire néonazi ? C’est pour la liberté de la presse, à la fin de la guerre, qu’ils ont mis en place le truc, pour qu’il y ait des tarifs postaux, une T.V.A. moins chère.
P.Dr. :
Oui, mais tu avais aussi un cabinet de censure.
M.P. :
Ah, non, la commission paritaire c’est pas du tout une commission de censure, c’est justement un comité qui a été mis en place pour que les journaux aient moins de frais postaux. Mais ils ont mis une commission en place pour décider de qui était un journal et qui n’était pas un journal. Pour que justement, les gratuits, ou les journaux qui n’étaient pas des projets d’expression ne rentrent pas là dedans. Il y a eu des problèmes de censure mais pas avec la commission paritaire, avec d’autres organismes. La commission paritaire c’est juste pour définir qu’est ce qui est un journal, qu’est ce qui ne l’est pas. Pour savoir si justement tu peux bénéficier du régime spécifique lié aux périodiques. Bon, certainement aujourd’hui c’est devenu une forme de censure, soft, mais c’est parce que c’est une censure économique en fait. Dire Lapin c’est pas une revue, ça paraît tellement stupide, justement, c’est archaïque aujourd’hui ce système là, la définition de ce qui est une revue et de ce qui ne l’est pas.
P.Dr. : Je veux dire qu’après la guerre, tous les journaux qui sont tombés parce qu’ils avaient collaborés, il a fallu qu’ils changent de noms.
M.P. :
Oui, mais ce n’est pas la commission paritaire qui a défini ça.
P.DR. :
Je sais que La dépêche du midi est un des rares en Midi Pyrénées à pouvoir garder son nom, parce qu’ils n’avaient pas collaborés.
M.P. :
Bien sûr qu’elle a collaborée, la Dépêche. Ils ont été empêchés après la guerre. Le problème qui s’est passé avec la diffusion pendant la guerre c’est que c’était Hachette qui contrôlait la diffusion, qui avait collaboré. Donc après la guerre ils ont dit : on t retire la distribution à Hachette, on crée les MNPP , mais sauf que c’est eux qui avaient le réseau, donc c’est Hachette qui s’était remis à contrôler les MNPP parce que c’est eux qui avaient le réseau, ils étaient incapables de faire de la diffusion . Mais bon, la commission paritaire, nous, le souci qu’on a avec ça, c’est qu’on ne sait pas ce que c’est réellement. On reçoit des courriers administratifs, on ne peut pas dire on va devant la commission défendre le projet, leur expliquer ce que c’est. Et le fait que les médias ne nous aient pas du tout défendus, c’était bien : "ah, le truc d’Albi, le journal qui se vend à 3000 exemplaires... " De notre côté ; on continue à essayer d’obtenir cette commission tant bien que mal, parce que ça nous aiderait.

Est-ce que ce problème n’est pas général aujourd’hui ? Dans le sens où, quant on essaie de monter un projet personnel, qui doit circuler, on ne sait pas comment se confronter ou comment l’adapter au monde environnant.
M.P. : Je crois que les forces de censure aujourd’hui sont indirectes. C’est à dire qu’il n’y a plus une commission –il y en a encore- qui déciderait de ce qui est publiable et de ce qui ne l’est pas. On peut publier, nous on n’a jamais eu des problèmes de censure ou d’interdiction, tu vois, mais par contre on a des difficultés à exister. Le fonctionnement des MNPP est déjà une censure économique, tu vois. C’est clair que si tu n’arrives pas avec quelques millions de francs pour défendre ton projet, tu es écrasé. L’histoire de la commission paritaire, c’est pareil. Ça ne nous interdit pas d’exister de ne pas avoir la commission paritaire, mais ça amène des difficultés économiques tellement importantes que du coup tu es asphyxié.

P.Dr. :
Ensuite parfois tu apprends que ce serait peut-être la Poste qui ferait pression pour qu’il y ait de moins en moins de titres qui soient à ce régime là, pour faire des économies. On ne le sait même pas si on gêne. On est tellement quantité négligeable…
M.P. :
Par exemple on a fait les démarches aux MNPP pour savoir si on pouvait être diffusé en Belgique, en Suisse, au Canada. Ils ont montré le titre mais apparemment ils n’ont pas de diffuseurs qui veulent diffuser ça.
P.Dr. :
Alors on ne sait pas. Il y a qui vont nous dire que c’est du au contenu parce que c’est pas correct, après il y en a d’autres qui vont de dire que c’est peut-être lié au fait que tu ne tire pas assez, le mec est pas sûr de pouvoir le vendre, donc il ne prend pas de risques.
M.P. : On ne sait pas comment bosser on demande : qu’est ce qui vous faudrait, quels tirages seraient adaptés ? Bon, on ne sait pas mais ce n’est pas la peine, c’est pas intéressant.

   
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