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            De 
            quoi sont nées les éditions Amok ? 
            Amok est né d’un fanzine, L’œil, qui est devenu 
            une revue d’articles et d’entretiens, L’œil carnivore, qui 
            s’est arrêté pour devenir Le cheval sans tête 
            en 1994. Cette revue nous a inscrit dans le champ de la Bande dessinée. 
            Nous avions envie de jouer un rôle de passeur : faire circuler, 
            transmettre, participer. L’idée était de rendre certains 
            travaux plus accessibles, mais aussi de prendre part à la vie 
            des choses qui nous plaisaient.  
          Vous avez toujours 
            travaillé à deux ? 
            Non. Je suis arrivé sur la fin du premier numéro 
            de L’œil carnivore qu’Olivier Marboeuf avait créé 
            avec d’autres personnes. Nous étions à la fac et, comme 
            d’habitude, les bonnes volontés se sont écrémées 
            dès qu’il a fallu travailler un peu plus…Nous avons fait quasiment 
            seuls le deuxième numéro, ensuite les participations 
            extérieures ont varié selon les numéros. 
          Comment s’est 
            passé le passage entre la publication d’une revue et un travail 
            d’édition proprement dit. 
            A l’époque, nous avions un album en cours aux éditions 
            Vents d’Ouest (1). Réalisant qu’on 
            ne pourrait pas faire ce qu’on voulait et ayant rencontré d’autres 
            gens dans le même cas, on a senti qu’il y avait un manque, qu’il 
            y avait de la place pour autre chose. 
          En tant qu’auteurs, 
            comment avez-vous vécu cet album ? 
            On a découvert qu’il ne suffit pas de signer dans une grosse 
            boîte pour que ton travail y soit réellement accepté 
            et défendu. C’est-à-dire que ça peut plaire à 
            quelqu’un qui t’impose un peu, mais si son envie n’est pas partagée, 
            les personnes qui sont payées pour vendre ton livre vont plutôt 
            ne pas le vendre, au profit d’autre chose. Ils préféreront 
            défendre un bouquin qui tire à 80.000 exemplaires pour 
            qu’il atteigne les 100.000, plutôt que d’essayer de faire doubler 
            ton petit tirage de 2000 exemplaires. Dans le meilleur des cas, nous 
            étions la danseuse, la lubie artistique de certains. Dans le 
            pire, le mouton noir qui fait perdre de l’argent. L’une ou l’autre 
            de ces situations n’était pas très intéressante… 
             
          De là le 
            désir de monter une structure d’édition ? 
            Nous avions envie de créer une maison d’édition 
            afin de travailler avec d’autres gens - nous ne nous sommes jamais 
            défini en tant qu’auto-éditeur. Il ne s’agissait pas 
            uniquement de montrer nos propres travaux. L’orientation s’est faite 
            assez naturellement vers la bande dessinée, parce qu’il y avait 
            beaucoup à faire dans ce domaine.  
          Pourquoi avoir 
            arrêté L’œil carnivore ? 
            Quand nous avons lancé Le cheval sans tête, 
            l’idée était de mener les deux revues parallèlement. 
            Ce qui représentait deux trimestriels : articles, interviews, 
            illustration, maquette, diffusion, distribution… C’était trop 
            de boulot pour deux personnes. L’œil carnivore s’est donc arrêté 
            de lui-même. Le cheval sans tête étant plus 
            facile à réaliser, du fait des contributions extérieures. 
          Vous avez joué 
            un rôle de détonateur, en organisant le festival Autarcic 
            comix (2). 
            Il y avait beaucoup à faire, on en avait envie et les possibilités 
            étaient là. Il ne restait plus qu’à inventer 
            d’autres manières, d’autres circuits, d’autres façons 
            de diffuser. Plein de choses se passaient à droite, à 
            gauche, et nous avions envie de les relier. Dès le départ, 
            nous avons publié des gens qui n’avaient jamais été 
            édités, nous les avons mêlés à d’autres 
            qui étaient publiés par des éditeurs confirmés 
            ou à d’autres encore, venus de domaines artistiques différents. 
            La vision qu’on pouvait avoir n’était proposée nulle 
            part. Le fait qu’on avait aussi les pieds dans autre chose que la 
            Bande dessinée, nous mettait à l’écart et nous 
            montrait plus de possibilités.  
          Vous avez été 
            distributeur. 
            Lorsque nous participions à des festivals, avec nos bouquins 
            mais aussi ceux de Fréon, de Bill ou de l'Association, cela 
            permettaient à ces derniers d’être présents sur 
            ces manifestations tout en nous rapportant un pourcentage qui nous 
            aidait à être là. C’était bien pour tout 
            le monde. Mais à terme, on voyait mal comment mener cette activité 
            à fond, parce que ce n’était pas vraiment notre rôle. 
            C’est pourquoi on a dû arrêter Autarcic Comix et la diffusion… 
            Le comptoir des indépendants (3) 
            qu’a créé Latino Imperato est un bel instrument. Il 
            fallait que quelqu’un le fasse. 
          Qu’est-ce qui 
            vous intéresse dans le champ de la bande dessinée ? 
            Plus qu’ailleurs il reste beaucoup de choses à réaliser 
            dans le domaine de la bande dessinée. J’aime les possibilités 
            qu’on y voit, cela m’intéresse en tant que langage. Jusqu’ici, 
            la bande dessinée a beaucoup fonctionné en circuit fermé, 
            comme si elle voulait définir un territoire très restreint, 
            pour se donner une sorte d’identité, en refusant de trop s’aventurer 
            au dehors. A la fin, cela lui donne une identité assez fragile, 
            qui voudrait dire où est son dedans et son dehors. Il ne s’agit 
            pas de dire si le dehors est plus intéressant que le dedans, 
            c’est la limite entre les deux qui crée des choses qui contiennent 
            un travail sur le langage et une volonté réelle de faire 
            des œuvres, de faire sens. C’est un phénomène que l’on 
            ne retrouve pas souvent dans des cadres économiques plus aisés. 
          Malgré 
            le refus de cette étiquette, vous vous situez dans le champ 
            de la bande dessinée… 
            Nous inscrire uniquement dans le champ de la bande dessinée 
            ne nous intéresse pas. Si on a un peu participé à 
            un mouvement indépendant, c’était vraiment temporaire… 
            Tout le monde dit ça dans vos entretiens (rire) ! 
            Disons que nous sommes partisans du travail, de l’exigence et de certaines 
            choses qui ne sont pas forcément compatibles avec des idées, 
            des mouvements où l’on s’autocongratule. Je ne vois pas l’intérêt 
            de me situer par rapport à la "grosse Bd", je n’ai pas spécialement 
            d’animosité envers qui que ce soit… On fait ce qu’on a à 
            faire. 
             
            Rétrospectivement, quel regard portes-tu 
            sur ces 10 dernières années, quand vous commenciez à 
            défricher, ce que vous appeliez "l’autre bande dessinée" ? 
             Ah, 
            on en a inventé des formules ! … Si la bande dessinée 
            a beaucoup avancé ? Oui et non. Actuellement, je pense 
            qu’on a un nouveau cap à franchir, pour changer un peu d’éclairage. 
            Par moment, on a presque l’impression d’une espèce de point 
            de vue moyen et général qui est entré dans les 
            mœurs et qui se sédimente un peu. J’ai le sentiment qu’il existe 
            un contexte Bd indépendante qui fait que, paradoxalement, certains 
            travaux paraissent presque plus difficiles à éditer 
            aujourd’hui - je pense à un bouquin comme Alice d’Atak. 
            Ou, du moins, c’est toujours aussi difficile malgré le chemin 
            parcouru. Certes il y a un public plus ouvert, mais dont on sent vite 
            les limites.  
          Cela est problématique, 
            pour vous ? 
            Ce qui a un sens très fort pour toi ne rencontre pas forcément 
            l’écho du public et si tu n’en tiens pas compte tu ne t’en 
            sors plus. Par exemple, à un moment donné, nous nous 
            sommes retrouvés avec des problèmes de grosse boite, 
            dont nous ne voulions pas. Il a fallut réadapter notre manière 
            de faire à la nature de nos projets. C’est pour ça que 
            nous avons commencé à faire des livres en sérigraphie 
            à 100 ou 300 exemplaires. S’il est intéressant d’avoir 
            un bouquin qui vend 4000 exemplaires, on ne décidera pas pour 
            autant de ne faire que ça. D’une part parce qu’on aurait toutes 
            les chances de ne pas y arriver, d’autre part parce que cela serait 
            contraire à une certaine idée de la maison d’édition, 
            qui est de trouver les solutions, de continuer à faire ce que 
            dont nous avons envie et non de trouver des moyens pour maintenir 
            la structure en vie.  
          Comment fonctionnez-vous, 
            économiquement ? 
            Sur la vente des livres. On est salarié depuis novembre 
            1999. C’est relativement récent. 
          Vous faites beaucoup 
            appel à des subventions ? 
            Récemment, nous avons refait des demandes de prêts 
            au Centre National du Livre. On avait arrêté d’en demander 
            à partir du moment où il avait fallut rembourser les 
            premières mensualités (rire). Ça nous a permis 
            de comprendre la nuance entre subventions et prêts… Avec le 
            recul, nous avons fait quand même pas mal d’erreurs sur ce plan. 
            Aujourd’hui on gère mieux nos affaires, alors on tente à 
            nouveau. 
          Les débuts 
            on été difficiles ? 
            Oui. C’était un petit peu la fleur au fusil. De notre fanzine 
            photocopié vendu à 50 exemplaires, on est passé 
            du jour au lendemain à quelque chose d’imprimé à 
            1000 exemplaires, qu’on a décidé de vendre peu cher. 
            Il aurait fallu quasiment tout écouler pour se rembourser. 
            Ce qui n’a pas été le cas (rire). 
          Vos premiers bouquins 
            utilisaient des moyens modestes. 
            Faire quelque chose de beau avec peu de moyens demandait beaucoup 
            de travail : on tirait les couvertures en sérigraphie, on assemblait 
            les bouquins nous-mêmes… 
          Depuis deux ans 
            vous êtes revenus à ces formes plus artisanales… 
            On ne pouvait pas le faire sur des tirages un peu importants, 
            mais on s’est rendu compte qu’on souhaitait continuer à travailler 
            ces formes-là sur des petits tirages. On a même failli 
            revenir complètement à cela. A l’avenir, on a envie 
            de produire davantage de petites choses, plus légères, 
            plus délires, plus spontanées… afin de sortir des projets 
            lourds de bouquins et de collections, avec leurs contraintes. C’est 
            toujours un peu la recherche d’un équilibre : se structurer 
            sans se scléroser. 
           Peux-tu 
            nous parler de votre revue Le cheval sans tête… 
            Au début Le cheval sans tête était 
            notre unique support, il nous permettait de faire découvrir 
            des gens. Ensuite, nous avons commencé à publier des 
            chapitres de récits plus importants, qui ont amené des 
            projets d’albums. Lorsque nous avons commencé à publier 
            des albums, la question a été de savoir si l’on continuait 
            à publier des petits bouts d’histoires, à s’obliger 
            de soutenir un rythme trimestriel avec tout ce que cela comportait 
            comme question d’organisation et de trésorerie. Nous avons 
            choisi de devenir semestriel et de trouver un sens pour réunir 
            les gens autour d’une vraie revue, plus conséquente et qui 
            ne soit pas qu’une simple compilation de travaux. L’idée de 
            thématique a ouvert une porte à des gens qui ne sont 
            pas forcément lecteurs de bandes dessinées. Par exemple, 
            le numéro sur Marseille a bien marché. La diversité 
            du contenu a installé un rapport plus contemporain au langage, 
            texte et image, qui permettait à la revue d’être présente 
            dans les librairies du Centre Pompidou, du Musée d’Art moderne, 
            de la Galerie du Jeu de paume… C’était assez intéressant. 
            Malgré ces réussites, nous ne vendions pas assez et, 
            même semestrielle, la quantité de travail nous empêchait 
            de faire autre chose. Pendant longtemps nous n’avons pas sorti d’album 
            à cause de ça. La revue nous alourdissait et nous faisait 
            perdre ce qu’on gagnait avec les albums. Le plus dur avec les projets 
            à entrées multiples, c’est que tu touches plusieurs 
            domaines qui pourraient intéresser tout le monde, sauf qu’à 
            la fin, cela peut tout aussi bien n’intéresser personne.  
          "Nous ne sommes 
            d’aucun milieu." 
          La notion de racines 
            semble essentielle dans votre ligne éditoriale. A quel besoin 
            correspond elle ? 
            C’est quelque chose d’assez évident, il n’y a presque pas 
            de question à se poser là-dessus… C’est vrai que la 
            question d’appartenance, d’identité, nous intéresse. 
            C’est un peu le centre de ce qu’on fait : travailler sur l’idée 
            de construction, de constitution. Nous avons tendance, non pas à 
            fuir mais, naturellement, à construire une communauté, 
            un espace, plutôt que d’aller s’inscrire dans une appartenance. 
            C’est aussi pour cette raison que nous n’avons pas la volonté 
            d’être un éditeur de bande dessinée. Nous ne sommes 
            d’aucun milieu. 
          La volonté 
            de témoigner, comme à travers votre collection "La vérité", 
            touche-t-elle à vos propres racines ? 
            Oui, mais pas seulement. Cela a aussi trait à nos branches 
            (rire), à ce que nous faisons, aux gens que nous avons envie 
            de rencontrer, avec l’idée de faire circuler des choses atypiques. 
            Nous ne pouvons pas nous penser dans le cadre de la bande dessinée 
            indépendante, parce que cet aspect essentiel de notre projet 
            n'en fait pas partie. On ne peut pas nier qu’il y ait des contacts 
            mais dans le fond, c’est radicalement différent. Les racines, 
            c’est quelque chose qui nous intéresse du point de vue du fond 
            -des sujets que cela aborde- ainsi que pour les questions de langage 
            que cela touche. Cette collection, "La vérité", 
            ça pourrait être le nom d’une autre collection, de fiction 
            par exemple. Nous investissons une certaine croyance là-dedans, 
            il ne s’agit pas d’épater la galerie. 
           Ton 
            premier album, Nègre jaune, participait déjà 
            de cette volonté de témoignage. 
            Oui mais, il n’y a pas que ça. Je n’ai pas envie de réduire 
            ce que nous faisons à des questions socioculturelles. Récemment, 
            quelqu’un nous disait à ce sujet : Ah, c’est bien ce 
            que vous faites… Non ! Cela n’a pas à être bien. 
            Ce côté " socialiste " m’énerve (rire). 
          Il s’agit tout 
            de même d’un engagement. 
            Nous faisons passer l’idée de faire des choses et non pas 
            de se positionner par rapport à ceci ou cela. Ce qui est fait 
            est fait, et on sait pourquoi on l’a fait. Je suis content que quelqu’un 
            soit touché par ça, mais je n’ai pas spécialement 
            envie d’être congratulé… En plus, être physiquement 
            exposé n’est pas toujours quelque chose qu’on recherche. Nous 
            faisons nos bouquins, point. Le travail n’a pas forcément à 
            aller plus loin que ça. C’est la voie que tu as choisi pour 
            agir. Il en existe d’autres. Peut-être qu’à un moment 
            on délaissera celle-là pour une autre… 
          Peux-tu nous parler 
            du départ d’Olivier Marboeuf, qui vient de quitter Amok ? 
            Olivier a quitté la structure et donc ne travaille plus 
            pour Amok. Il est parti monter autre chose, ailleurs. C’est un choix 
            personnel, c’est tout. Lui s’en va et moi je continue. Cela modifie 
            certaines choses, mais pas le projet en soi. C’est une évolution, 
            et non une transformation. A aucun moment cela n’a pris le caractère 
            dramatique de quelque chose qui s’arrête. Il n’y a pas eu de 
            pause. C’est un début, un nouveau souffle, avec d’autres personnes 
            et d’autres actions, soit commencées avant son départ, 
            soit en cours.  
           Pour 
            beaucoup de gens, Amok c’était vous deux. 
            Depuis le début nous savions que nous ne ferions pas cela 
            toute notre vie, tout en nourrissant la volonté que cela perdure 
            bien après nous. Il y a toujours eut un aspect personnel et 
            subjectif dans la direction, les choix, l’identité de la structure. 
            Il n’y a jamais eu d’attribution très nette du travail, nous 
            faisions un peu tout à deux.. Nous nous donnions parfois des 
            obligations que nous n'avions pas à nous donner, comme si quelque 
            chose d’extérieur nous y contraignait. A un moment donné, 
            nous nous sommes rendu compte qu’il y avait une entité supérieure, 
            une sorte d’instance qui nous obligeait à faire des trucs que 
            nous n'avions pas envie de faire. Par la suite, on a pris conscience 
            qu’Amok devait exister en tant que tel et ne pas dépendre strictement 
            d’Olivier et de moi. Nous n’avons pas un rapport de possession à 
            cet égard. Nous ne nous sommes jamais dit "Amok c’est 
            moi et personne d’autre ne le fera". Nous avons pu avoir 
            envie d’arrêter, mais jamais que la structure s’arrête. 
            Amok doit exister en soi. 
          Tu envisagerais 
            de laisser Amok à d’autres personnes, un jour ? 
            Oui. J’ai même envie que cela se passe comme ça. 
            Pour l’instant je le fais parce que j’estime qu’il faut que quelqu’un 
            le fasse. J’y trouve une forme de gratification et de plaisir, c’est 
            sûr, mais en même temps il y a un aspect un peu utilitaire : 
            faire ça pour que ça existe. J’aimerais autant que quelque 
            chose de similaire se crée. Cela me permettrait de m’investir 
            ailleurs.  
          Pourquoi " ça 
            doit exister " ? 
            Malgré l’apparition de différentes maisons d’éditions 
            et l’addition d’opportunités pour les auteurs, je pense que 
            personne ne ferait les même bouquins que nous. Voilà 
            une raison. Un certain nombre de livres avaient besoin d’un éditeur 
            comme nous. Cette vision éditoriale, qu’on retrouve ailleurs, 
            chez d’autres artistes, on a envie de la partager, de partager ce 
            en quoi on croit, ce qui nous interroge, de bâtir quelque chose, 
            une communauté… 
          Si tu t’en vas, 
            qu’aimerais-tu laisser ? 
            Je conçois Amok comme une construction, un espace à 
            l’intérieur duquel des tas de choses sont possibles. Une construction 
            c’est quelque chose que l’on rend objectif à un moment donné 
            et au sein de laquelle des sensibilités peuvent évoluer. 
            Je pense que nous avons élargi le spectre de ce qu’on voulait 
            faire, cela a modifié l’architecture globale, mais cette construction 
            reste une et indivisible. Cet aspect de construction relativement 
            ouvert, de réflexion, de changement aussi, qui débouche 
            parfois sur un travail un peu lourd, est ce qui m’intéresse 
            le plus en ce moment. Ce n’est pas forcément toujours réjouissant, 
            mais cela en vaut le coup. 
          En plus, vous 
            venez d’ouvrir une librairie galerie (4) ? 
            Par moment je me dis bien qu’il faudrait peut-être s’arrêter. 
            Mais en même temps, j’essaie d’en faire toujours plus.  
            La Casa Amok correspond à l’envie de créer quelque 
            chose qui n’existait pas. J’en sentais la nécessité 
            parce que nous travaillons à définir quelque chose qui, 
            finalement, n’est pas relayé correctement en terme de présentation 
            et de vente. Nos livres sont vendus uniquement dans des endroits qui 
            nous présentent toujours comme "la marge". Ça veut dire 
            quoi ça, la marge ? L’idée était de créer 
            un lieu qui ait une politique éditoriale. 
          Afin d’être 
            respecté en tant que tel ? 
            Non. La question n’est pas de savoir si on est respecté 
            ou pas dans telle ou telle bande dessinée, il s’agit simplement 
            de développer notre démarche, qui ne se définit 
            pas par rapport à celle du voisin, mais dans un rapport d’égalité. 
            Il s’agit juste de proposer une autre organisation, de penser les 
            choses un peu différemment… Créer des cases ou coller 
            des étiquettes, tout le monde le fait. C’est ça, penser. 
            Mais de temps en temps on change la forme des tiroirs, on les agence 
            différemment. J’ai envie de dire : "D’accord, 
            la Bande dessinée c’est ceci, mais c’est aussi cela et puis 
            ça..." Le but est aussi de mener à termes certains 
            projets qui aujourd’hui ne s’inscrivent pas dans un cadre de librairie. 
            Par exemple, Du coq à l’âme n’est pas un livre 
            de sciences humaines, ni d’art contemporain, ni de photo, ni de bande 
            dessinée, ni un roman, ni un essai et en même temps, 
            c’est tout cela. Qu’est-ce que nous en faisons ? Que certains 
            libraires le mettent au rayon graphisme, pourquoi pas, si ça 
            permet à des gens de le découvrir. Mais selon moi, ce 
            n’est pas là qu’il devrait être. Alors, si ce genre d’endroit 
            n’existe pas, créons-le ! Définissons un nouveau 
            territoire où les choses s’agencent différemment ! 
            La politique éditoriale du lieu correspond à sa programmation, 
            au choix des livres qui y seront présentés. Le premier 
            choix est de présenter tous les livres d’Amok, par nécessité 
            économique, mais aussi ceux de Fréon, de Filigranes. 
            L’idée n’est pas de fonctionner sur la quantité, mais 
            de proposer des choix, des livres qu’on ne trouve pas ailleurs ou 
            d’autre qui se trouvent facilement, mais qui seront proposés 
            différemment. Et puis il y aura une sélection d’objets 
            qui iront de la bande dessinée à la photo en passant 
            par le graphisme ou par des choses qui n’ont pas vraiment de nom… 
             
          "Ce n’est pas 
            l’œuvre qui est compliquée." 
          On vous reproche 
            parfois un certain élitisme… 
            C’est un sujet sur lequel il y aurait beaucoup à dire. 
            L’élitisme est un terme utilisé par des gens pour te 
            mettre sur le dos leur propre vision des choses. Pour certains, c’est 
            une façon de rejeter ce qu’ils ne comprennent pas. Qu’ils ne 
            comprennent pas, pas parce qu’ils sont bêtes, mais parce qu’ils 
            se trompent sur ce que c’est et sur la manière dont il faut 
            le prendre. Souvent, les gens confondent la chose avec son analyse 
            ou avec le discours parfois complexe qui peut exister à posteriori. 
            Mais la plupart des œuvres sont très simples. Tu te mets devant 
            et tu reçois. Ce n’est pas compliqué. Il n’y a pas à 
            chercher. Le truc est là, point. Dans le champ artistique, 
            il y a quand même l’idée qu’il s’agit d’une forme simple. 
            Il peut y avoir une part de complexité, ou plutôt d’interrogation, 
            mais ce n’est pas l’œuvre qui est compliquée. Pour moi, le 
            discours sur l’élitisme est créé par des gens 
            qui mettent le public dans une situation où il est supposé 
            être imbécile. Une situation où tout le monde 
            est supposé manger la même chose, et où l’on essaie 
            de nous faire croire que ceux qui ne mangent pas la même chose 
            se croient supérieur à vous. Alors que ce truc différent 
            qu’on mange, tout le monde peut en avoir, allez-y, c’est ouvert !… 
            Le seul élitisme que je combats, c’est l’élitisme économique. 
            L’élite c’est l’argent. C’est ceux qui sont prêt à 
            mettre 100 millions pour tourner Astérix, en disant qu’il faut 
            faire au moins 14 millions de spectateurs pour que ça marche. 
            J’aimerai qu’on m’explique enfin, qui est le peuple, de qui on veut 
            parler. On peut nous dire ce qu’on veut sur notre élitisme, 
            le fait qu’on soit peu nombreux… Toutes les structures qui se sont 
            créées ces dernières années, l’ont été 
            par des gens qui n’avaient rien, qui se sont pris en main et qui ont 
            fait quelque chose. Avec des photocopies, avec 3 fois rien, ils ont 
            fait des choses et d’autres gens s’y sont intéressés. 
            Personnellement, je ne vois rien de populaire dans les albums cartonnés, 
            j’aimerai qu’on m’explique en quoi je ne viens pas du peuple, si cette 
            notion existe. Et en quoi quelqu’un qui n’a aucun moyen spécifique 
            au départ mais qui prend une initiative et réalise quelque 
            chose, serait quelqu’un de moins populaire que les autres ? 
           Cela 
            relève d’un acte politique ? 
            Faire ce que nous faisons est éminemment politique. Et 
            ça va le devenir de plus en plus. 
          Votre esthétique 
            est assez froide, ce qui contraste avec vos idées d’ouverture, 
            de carrefour… 
            Je ne sais pas ce qu’est une esthétique froide. J’ai pas 
            en tête d’exemple d’esthétique chaude (rire). L’esthétique 
            est un terme un peu galvaudé, utilisé pour dire que 
            tu n’as rien à dire, que c’est juste joli. Alors que c’est 
            aussi un mot qui peut être fort. Amok travaille sur l’esthétique 
            de la même manière que nous travaillons sur le sens, 
            c’est indissociable. Il n’y a pas la volonté de faire une esthétique 
            froide. Peut être que l’esthétique est quelque chose 
            de froid en général… 
          Peut-être 
            plus particulièrement chez vous. 
            C’est une question de tension. Si on faisait nos trucs avec un 
            côté bon enfant, avec 3 bouts de ficelles pour 
            faire convivial, ça nous semblerait moins intéressant. 
            Comme ça, je crois que ça tire une certaine force. Peut-être 
            que ça impressionne un peu plus, mais en tout cas c’est différent, 
            cela instaure une forme de distance. Un projet comme "La vérité" 
            sans une certaine distance serait complètement racoleur. Et 
            puis pour nous, il est nécessaire que ça reste assez 
            dur ! 
          Il y a de la colère 
            à la base de votre travail ? 
            Évidement (rire). Une grande colère (silence)… 
            pour rester sobre… Oui, Amok c’est une forme de colère. Une 
            colère qui ne part pas forcément dans tous les sens, 
            qui est plus contenue. 
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