Hicksville

Dylan Horrocks

Black eye books, 1998
ISBN 0-9698874-6-9


Leonard Batts, passionné de comics interviewe son auteur favori, l'auteur favori du monde entier semble-t-il, Dick Burger.
Comme de coutume, le biographe cherche à connaître les racines de l'artiste. Il vient de Hicksville, un petit bourg néo-zélandais, un rien du tout sur la carte d'un pays lointain. Curieusement, Burger n'a rien à dire sur sa ville natale, il prétend que non, décidément, ni son talent ni sa vocation, ni peut-être rien de ce qu'il est ne vient de Hicksville.
Curieux, Batts décide de franchir les mers pour en avoir le coeur net.
Il finira par découvrir bien plus que ce qu'il cherchait. Hicksville n'est pas une ville ordinaire. Pour commencer, tout le monde y déteste les comics de Dick Burger, mais ce n'est pas tout, le village est en quelque sorte une république bédéphile où toute personne, à tout âge, est passionné de bande dessinée. Le facteur lit des mini-comics finlandais, on trouve les premiers "Action comics" dans la librairie et les habitants organisent régulièrement des bals masqués à thème.
Le héros, à sa grande surprise, n'y est même pas un inconnu, chacun a lu sa biographie de Jack Kirby et tous ont même un avis sur les défauts et les qualités du livre.
Peu à peu, on comprend qu'un secret entoure Hicksville...

Avec Hicksville, Dylan Horrocks prend un peu le contre-pied de Scott McCloud. Ce dernier nous présentait un inventaire quasi-exhaustif des ressorts mécaniques de la bande dessinée en prenant soin de mettre de côté le passif du médium (L'art invisible, ed.Vertige graphic),  Hicksville ne nous parle que du reste : le talent, la création, l'amour de l'art, de la lecture et de la bande dessinée.
On se surprend à souhaiter qu'un tel lieu puisse vraiment exister. Un lieu où la bande dessinée serait un sujet sérieux, une préoccupation adulte, où la création serait considérée à sa juste valeur. Un lieu aussi où la lecture ne serait pas une occupation solitaire, mais au contraire un sujet de discussion courant.

Fruit d'une longue maturation, ce livre est sans doute un des plus beaux hommages que la bande dessinée se soit rendus à elle-même.





L'association, 2001
ISBN 2-84414-049-1

La traduction était depuis longtemps attendue, une nouvelle fois, c’est L’association qui s’y colle : le Hicksville de Dylan Horroks est maintenant disponible en français. Gros pavé ayant pour thème central le monde des comics, l’ouvrage se révèle à la fois complexe dans sa structure, limpide dans son propos et réconfortant pour les âmes sensibles des amateurs de bande dessinée, perplexes devant le succès de tant d’ouvrages minables. Plusieurs récits s’entrelacent, reconstruisant un puzzle à la fois nostalgique et acerbe. Hicksville est un bled perdu au fin fond de la Nouvelle Zélande dont est issu Dick Burger, récent magnat du comics américain de super-héros. Un journaliste de la revue Comics-world (alias Le Comics journal) du nom de Leonard Batts y part en repérages, tout juste auréolé du succès de son dernier livre sur Jack Kirby. Son nouveau projet porte sur le nouvel homme fort du comics. Persuadé d’être accueilli royalement par les péquenots du coin, il déchantera vite en constatant que Dick Burger est considéré dans ce petit microcosme comme un traître ayant commis un acte impardonnable dont personne ne veut lui révéler la teneur. Autre fait curieux, tout les habitants de ce " trou du cul du monde " semblent être hyper-pointus en matière de bande dessinée et collectionnent des comics et fanzines obscurs des quatre coins du monde. La bibliothécaire locale possède même en plusieurs exemplaires d’anciens comics devenus mythiques dont lui, le journaliste professionnel, a tout juste entendu parler. En parallèle, Sam Zabel, auteur de comics local et ami d’enfance de Dick Burger fait son retour au village après s’être fait virer d'un magazine humoristique de la région.

Quel secret sur Dick Burger cachent les habitants d’Hicksville ? D’ou tiennent-ils leur savoir et leurs collections sur le monde du comics ? Pourquoi Dick Burger, qui va recevoir une prestigieuse distinction dans sa profession, fait-il un pont d’or à Sam Zabel ? Et ce ne sont là que les premières questions.

Critique impitoyable et définitive de l’industrie du comics aux États-Unis, Hicksville regorge d’allusions à la réalité, dont la principale se focalise sur la rapide montée en puissance du groupe Image aux USA (Spawn, Wild-cats, ...), par le biais du personnage de Dick Burger. Ironie du sort et tel un running-gag, un certain Todd (Mc Farlane, l’un des fondateurs d’Image avec Liefield, Valentino, Lee, Portacio et Silverstri) n’arrête pas d’appeler Dick sur son portable pour se plaindre de son sort d’employé mal-aimé et rumine sa gloire passée. Il finira par se faire virer. L’univers du comics mainstream y est décrit avec un réalisme confondant de milieu de chacals courant après les dollars et manipulant à tour de bras les nombreux prétendants à l’accession à un monde de la BD totalement fantasmé. À l’opposé, Dylan Horrocks tisse des trames nostalgiques sur ses lectures d’enfances, opposant les constructions narratives des pockets d’antan et l’agilité graphique de leurs auteurs aux statismes pompeux des comics actuels, stériles de nouveaux mondes. Sam Zabel, alter-ego de Dylan Horrocks croise les auteurs de son enfance, relégués au rang de potiches antiques dans la grand messe médiatique des nouveaux maîtres ; flirte avec des actrices improbables reprenant les rôles des personnages des comics, accréditant par là l’imbrication des médias couvrant la chaîne de production du divertissement à laquelle la bande dessinée n’échappe plus. Il cherche ainsi son chemin en tant qu’auteur (ayant réellement quelque chose à dire ?) et homme (la bande dessinée peut-elle dépasser son image d'art de l’enfance ?). Le rapport entre ces lectures nostalgiques, naïves, viennent se heurter à la production à la chaine du comics, froide, fondatrice d’illusions et dresse un mur d’incompréhension qui nous re-projette dans la réalité.
L’ouvrage est riche, très riche, le graphisme simple et limpide et les récits s’entrecroisent, construisant une œuvre imparable, démystifiante, bien plus riche que les traités sur-évalués de Scott Mc Cloud. Dylan Horrocks ne propose pas d’issue, au mieux l’abordage d’une nouvelle terra incognita.

JP.

 
La libraire de Hicksville, dont la boutique regorge de trésors, et le facteur, amateur de mini-comics.
 
Bal masqué...



Dick Burger, le plus célèbre auteur de l'industrie des comics aurait-il vendu son âme ?


A part Grace, tout le monde avait lu la biographie de Jack Kirby...