Monsieur Ferraille par Winshluss et Cizo

 
 

Alors là, chapeau bas. On savait le duo Winshluss & Cizo proche de quelque chose de nouveau dans le monde de la bande dessinée et la simple compilation des aventures de monsieur Ferraille (parues dans le journal éponyme des éditions Requins Marteaux) en est l’éclatante preuve. Ces deux-là font péter la baraque à leur premier ouvrage commun. Tout se situe bien dans le monde de l’image et de la bande dessinée. Les innombrables clins d’oeil au genre, des Histoires de l’oncle Paul à l’univers de Walt Disney en passant par Superman, Batman, Zoé, tout y passe, se fait dégommer de la manière la plus crue (et donc la plus jouissive), on retourne le maillot afin d’en bien voir l’étiquette, les coutures, les traces de transpiration... Après avoir, déguisé en oncle Paul, traumatisé son neveu Bob avec une histoire bien crade, monsieur Ferraille, en Pinocchio pervers, se tape Betty Boop dans un bar à hôtesses. Il passe ensuite les oripeaux de Superman pour s’envoyer Daphné (la binoclarde de Scooby doo) le tout entrelardé de pubs d’époque et de pages bricolages détournées juste comme il faut. On enchaîne sur la genèse du personnage à travers la chronique de la vie de ses créateurs Waltshluss et Gonzo. C’est là que tout explose. On suivra les créateurs à l’aube de la seconde guerre mondiale, venant juste de se faire refuser le personnage de Pat Boon (voir Chroniques #5) par leur journal. S’ensuit la guerre, Waltshluss et Gonzo se verront tour à tour engagés pour la propagande de l’armée française, l’armée allemande -après un petit tour dans le bunker du führer qui construit en secret un monsieur Ferraille géant pour conquérir la planète- puis l’armée russe ! Les créateurs trouillards s’exécuteront à chaque fois, produisant des bandes dessinées de propagande successivement cocardières, miliciennes puis prolétariennes plus vraies que nature. On refait ainsi toute une certaine histoire de la bande dessinée sur laquelle Cizo et Winshluss tirent à boulets rouges. Et oui, en tant que vecteur de la propagande, la bande dessinée n’a de compte à rendre à personne en terme d’efficacité. Histoire d’enfoncer le clou, les deux auteurs ont pris soin de travailler l’esthétique des pages selon l’optique des histoires qu’ils pastichent. Ambiance post-constructiviste et couleurs pleines pour le Super Kamarade Ferraille, fausse impression bichrome et rendu imitant l’héliogravure des illustrés franco-belges anciens, trame épaisse pour les comics américains, etc. On n’avait plus malmené avec autant d’entrain la bande dessinée depuis les débuts de Yann et Conrad sauf que Spirou n’est pas Ferraille et ici, tout est permis. On finira par une touche de subtilité au festival d’Angoulême, entérinant le 9e Art, à l’instar de ses confrères, comme produit culturel de premier choix, avec tout ce qui s’ensuit comme rapport de forces, fantasme de bédéphile ou chasseur de dédicaces. Le brûlot de l’année, imparable !
JP.

Winshluss & Cizo | Monsieur Ferraille
64 pages | 13,90 Eu | éditions Les Requins Marteaux

 
 
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