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RICHARD CORBEN
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. ALIENS / ALCHEMY . HELLBLAZER .
. BANNER . THE HOUSE ON THE BORDERLAND .

Ok. J'ai une bonne et une mauvaise nouvelle. Par laquelle je commence ? La bonne ? D'accord. Richard Corben est de retour. Pas moins de quatre nouveaux titres sont disponibles en ce début 2002 chez les libraires dignes de ce nom. Deux traductions françaises (Hellblazer / Hard Time et Aliens / Alchemy chez Toth) et deux imports (The House on the Borderland chez Vertigo et Banner chez Marvel). Au total, pas loin de 350 pages de bande dessinée réalisées entre 1997 et 2001. Pas mal pour un type qu'on prétendait à l'agonie, conspué depuis plus de vingt ans dans les salons du bon goût et descendu à coups de pieds au cul du trône qu'il occupait dans les années 70 par ceux-là même qui épinglaient quelques années plus tôt des posters de Den dans leurs chambres d'adolescents visqueux. On le disait fini, incapable de dessiner, nul, vulgaire, ringardisé. Et de stigmatiser les attributs sexuels hypertrophiés qui faisaient sa marque. Et de ricaner au seul mot d' "aérographe". Deux décennies de pose et de culpabilité faussement généreuse sont passées par là-dessus et il est temps, aujourd'hui que la dévotion et l'infamie ont fait leur temps, de reconnaître en cet artiste l'un des auteurs majeurs de la bande dessinée américaine.

Bon, très bien, d'accord, mais la mauvaise nouvelle, me direz-vous ? Quel embarras. J'hésite à vous la communiquer, sachant qu'elle risque d'en dissuader plus d'un de mettre la main au porte-monnaie. Mais allons-y, il faut regarder les choses en face : ce retour en grâce inespéré a été confié à une bande d'abominables gougnafiers : scénaristes médiocres, coloristes barbouilleurs et photoshopisés, responsables éditoriaux frileux, bref, une catastrophe ! Hard Time, dû à la plume bien grasse et prétentieuse de Brian Azzarello, n'est qu'un épisode de la série britannique Hellblazer, déjà passablement fatigante et qui atteint ici les sommets du grotesque et de la boursouflure. Parsemée de voix off lourdingues et pétrie dans les clichés, cette "histoire de prison" est affligeante de bout en bout et recycle tous les maniérismes à la mode dans le nouveau cinéma trash américain. Ça se veut neuf, mais c'est déjà démodé. Autant relire Howard Bunker ou John Cheever (le fabuleux Falconer en 10/18) ou se faire enregistrer Oz par un copain qui a le câble.

Le même Azzarello, décidément fumiste et faiseur en vogue, nous a aussi pondu Banner, réécriture de Hulk vue par les yeux du docteur Banner. L'idée de décrire les mutations successives du savant comme une tragédie personnelle et une forme de maladie n'est pas loin de fonctionner. Mais là encore, le style démonstratif et roublard d'Azzarello plombe la narration et achève de désintéresser le lecteur le plus indulgent de ce gros géant vert, qui ferait mieux de retourner à ses plantations plutôt que d'emmerder le monde avec ses cacas nerveux.

Datant de 1997 et marquant le retour en grâce de Corben auprès des éditeurs mainstream, Alchemy doit être le trois centième "sequel" de Aliens et Arcudi a beau décaler son histoire dans un monde futuriste et multiplier les clins d'oeil aux illustres scénaristes qui l'avaient précédés auprès de Corben, le coeur n'y est pas et ça baille à toutes les pages. Même Corben semble s'ennuyer et remplir son contrat sans états d'âme, donnant des gages de professionnalisme à ses commanditaires en attendant la suite.

The House on the Borderland © DC comics
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Seul rescapé de ce gâchis, The House on the Borderland, puissante adaptation par Simon Revelstroke d'un roman fantastique de William Hope Hogson. Ce conte horrifique datant de 1908, chaînon manquant entre Poe et Lovecraft, offre à Corben tous les éléments nécessaires au déploiement de ses multiples talents de mise en scène et de dessin. Épaulé par une mise en couleur inspirée de Lee Loughridge, qui multiplie les dissonances de gammes et ne noie pas le trait sous une débauche d'effets numériques, Corben trouve dans ce très beau livre l'occasion de rappeler le maître de la synthèse et des ambiances qu'il est depuis toujours. L'édition de l'ouvrage étant de plus particulièrement soignée, seul le prix de l'objet pourra retenir les plus hésitants (mais est-ce encore une bonne idée que d'être pauvre de nos jours quand on aime le Beau ?. Qu'à cela ne tienne, on annonce une traduction française de cette merveille très prochainement. Et c'est là que ça se gâte. Car pour lire du Corben en français aujourd'hui, il faut acheter du Toth... Or, il semblerait que cette maison d'édition récemment apparue se soit spécialisée dans le travail de cochon. Des objets quelconques, des couvertures hideuses, et surtout, des partis pris de maquette qui viennent du néant pour aboutir au sabotage. Un seul exemple : Corben conçoit la plupart de ses planches pour être "à la coupe". C'est-à-dire que le dessin est prévu pour occuper la totalité la page, sans marge, jusqu'au bord du papier. Pour une raison que j'ignore, notre éditeur franchouillard n'a rien trouvé de mieux que de publier ces mêmes pages dans un format plus grand que l'original, entourées de quatre centimètres de marge blanche. Aberration ! Les vis-à-vis et la construction d'ensemble sont littéralement effacés par cette option stupide, qui va jusqu'à détruire le sentiment claustrophobe recherché par l'auteur ! En bref, un boulot de rustre inculte qui confine à la goujaterie et des façons de faire qui appellent le glaviot dans la gueule. En bonne place pour concourir au prix du plus mauvais éditeur de l'année 2002.

Mais alors, que puis-je vous dire pour vous convaincre de vous ruer sur ces ouvrages indignes du talent de Corben ? Et bien tout simplement que ce talent est intact. Exception faite de Alchemy qui reste dispensable et indépendamment de tous les défauts qui entachent ce "come-back", il y a là un véritable événement. Renouant avec la technique d'encrage de ses débuts et abandonnant l'aérographe, Corben se montre plus stylisé, plus souple, mais aussi plus noir que dans ses derniers travaux connus, qui souffraient d'une exagération stylistique virant à la caricature. Mais il n'a rien perdu de ce baroque cheap et de cette vulgarité assumée des corps et des expressions qui tire le moindre de ses dessins vers le bizarre. Tout est là de ce style incroyable qui, comme celui de Crumb et de bien d'autres, puise aux racines de la culture populaire américaine, mélange de naturalisme brutal et de rondeurs publicitaires : sa façon unique de malaxer l'hyperréalisme et le grotesque, ce goût revendiqué pour l'erreur de dessin qui lui tient lieu de raccourci, sa façon de piétiner les codes de la perspective et de l'anatomie pour provoquer malaise et dérapages, cet extraordinaire sens de la torsion et de l'élasticité (que l'on retrouve chez Hugues Micol ou chez Killoffer)... Tout ce qui faisait l'importance de ce grand inventeur de formes est resté inaltéré par les années, malgré les hasards et les malentendus qui lui auront valu d'avoir été encensé, répudié et finalement condamné au silence. Un grand moment, une grande joie, de grosses dépenses en perspective.
GUMBY

 
 
 
 

ALIENS / ALCHEMY | Scénario Arcudi | Dessin Richard Corben
15 EU | éditions Toth | ISBN 2-913999-02-6
HELLBLAZER | Scénario Brian Azzarello | Dessin Richard Corben |
23 EU | éditions Toth | ISBN 2-913999-03-4
BANNER. Scénario Brian Azzarello | Dessin Richard Corben | Import Marvel
THE HOUSE ON THE BORDERLAND. Adapté de W.H. Hodgson par Simon Revelstroke | Dessin Richard Corben | import VERTIGO/DC COMICS

 
 
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