Chroniques 2002
Chroniques 2001

 
JadeWeb . Chroniques de la bande dessinée actuelle #14
 
Entretiens  
 

ENTRETIEN
Roberta Gregory

A LA LOUPE
Les bandes dessinées
de 2002 selon
Monsieur Vandermeulen

CHRONIQUES #13
QUARTIER LOINTAIN > Jirô Taniguchi . 676 APPARITIONS DE KILLOFFER > Killoffer . MISH MASH > Blutch . GARDUNO, EN TEMPS DE PAIX > Philippe Squarzoni . SOCK MONKEY > Tony Millionaire . LE PIQUE-NIQUE > Mazen Kerbaj . SENTIERS BATTUS > Vincent Vanoli

 

 

     
 

PALOOKA VILLE
Après La vie est belle malgré tout, qui inaugura la collection Tohu-Bohu des Humanoïdes Associés, on retrouve enfin Seth et son génial Palooka ville, cette fois-ci édité par le Seuil. Une chronologie un peu bouleversée par rapport au comics éponyme, les deux histoires de ce Palooka là étant antérieures au récit publié chez les Humanos. Du passage au Seuil, le lecteur y gagnera une maquette plus adéquate et personnalisée, plus en accord avec l'extrême élégance du dessin de Seth, tout en courbes tendues et aériennes et rehaussé d'une bichromie en aplats sobres et judicieux. Deux histoires composent le volume, dans la première Seth se fait casser la gueule dans le métro par excès de dandysme et il rapporte dans la seconde un amour estival entre lui et la femme de son patron dans un restaurant de poissons où il exerce un job d'été. On pourrait s'attendre à du trivial ou du récit autobio un peu choc, c'est sans compter le raffinement graphique de cet auteur que l'on peut sentir parfois pointilleux à l'excès, à la manière d'un Clowes ou d'un Ware (quoique Chris Ware semble imbattable à ce petit jeu...). On reste soufflé par les ambiances nocturnes dont la limpidité graphique et le traitement des masses noires reste un moment de mystère. Les lignes douces et rondes du trait se heurtent à une narration mettant en avant des rapports de pouvoir entre des personnages à l'émotion masquée. Tout contribue ainsi à transformer l'anecdote en un silence d'instants surannés et magiques.
JP.

 
PALOOKA VILLE | Seth
80 pages | 15 Eu | éditions Seuil
ISBN 2-02057067-X
 
 
 

LES FEUILLES MORTES
Des étudiants aux beaux-arts, une famille mono-parentale, de la marmaille prompte à de nouvelles bêtises, un vieux chauffeur de taxi blessé par la vie (et peut-être son nom, "César Pendélio", vous dira quelque chose : il fut l'objet d'un ouvrage collectif au éditions de L'institut Pacôme il y a quelques années), une usine mystérieuse, une boulangerie agaçante… Le point commun ? C'est un récit promis en quatre saisons par Fredi Astèr, dont Les feuilles mortes compose la première envolée. Et ça part carrément très bien. Personnages attachants, un graphisme semi-réaliste plein de charme, une lecture originale se déroulant sur la longueur de chaque double-page et des lieux récurrents où se croisent les protagonistes remettant sans cesse en cause la linéarité temporelle. On pense lire les évènements à la suite quand soudain un coin de rue familier nous indiquent leur simultanéité, le regard du lecteur vole de l'un à l'autre des personnages, eux-mêmes se croisent sans nécessairement se connaître. Les feuilles mortes est une surprise magnifique, sans fausse note, pleine de tendresse et de nonchalance. Une jolie couverture sérigraphiée vient emballer ce beau petit ouvrage broché dont les bienheureux curieux doivent déjà attendre la suite (Tombe la neige) avec impatience.
JP.

 
LES FEUILLES MORTES | Frédi Astèr
60 pages | 6 Eu + 1 Eu de port | auto-édition
Disponible à L'institut Pacôme [mèl] [site]
7, rue de L'aimant - 67000 Strasbourg
 
 
 

ARS SIMIA NATURAE
Décidément, ce Frédéric Coché est brillant. Il s’était déjà fait remarquer dans la dixième revue Frigobox, puis, peu de temps après, on avait été ébloui par son Récit de Ville, par sa manière toute personnelle, presque hardie, de s’approprier le sujet imposé, raconter Bruxelles, comme peu de français ont su la saisir. Pour son dernier ouvrage, notre graveur réussit encore l’exercice de style, puisque son livre s’inscrit dans une collection de bande dessinée érotique. Et ici encore, Frédéric Coché - F.C. en l’occurrence, le jeune homme n’est pas dénué d’un certain humour - parvient à détourner la figure imposée en nous livrant son talent le plus éclatant à ce jour. Le récit est muet mais n’en impose pas moins. Les images, des épreuves passées, à la facture gâtée, évoquent au lecteur certaines réminiscences d’eaux fortes ressurgies de temps oubliés. On pense à Van Eyck, à Dürer, aux estampes de Rembrandt. Les références graphiques ne manquent pas et c’est pourquoi les images de Coché racontent bien mieux que les mots. N’hésitez pas à vous procurer cet Ars Simia Naturæ, c’est un livre rare, qui envoûte, de ces œuvres qui réussissent à enrayer le cours du temps, à ordonner un rythme inédit et qui parviennent à placer le lecteur dans une nouvelle dimension mentale, insoupçonnée.
Coché, avec ce récit onirique, que l’on imagine avoir été conçu une nuit de solstice, est probablement l’auteur de bande dessinée actuel qui interroge le plus l’image.
M. VANDERMEULEN

 
ARS SIMIA NATURAE | F.C.
48 pages | 23,50 € | L’œil du fancullo
ISBN 2-84881-001-7
 
 
 

CALVIN & HOBBES #22, Le monde est magique !
Tous les qualificatifs ont déjà été épuisés pour dire à quel point Calvin & Hobbes est une série épatante. Un humour intact au bout de vingt volumes, un passage au crible imparable de la vie quotidienne vue par les yeux d'un gamin plein de défauts mais toujours aussi attachant. L’œuvre de Bill Watterson rejoint Peanuts, Pogo ou Little Nemo au panthéon des intouchables icônes du strip. Mais voilà comme ses devancières tout à une fin et il va falloir se faire à l'idée que bientôt, il n'y aura plus de Calvin et Hobbes à découvrir en librairies. Encore deux volumes, programmés en 2004 et 2005 et puis fini. Et ça c'est dur à encaisser. D'un autre côté on ne peut que saluer l'attitude de l'auteur de ne pas s'être laissé bercer par les sirènes du succès -et succès il y a-, d'avoir su dire "assez" à un moment et de s'y tenir. Tout comme son refus de décliner en produits dérivés le succès de ces deux personnages iconoclastes -justement- qui le fait rentrer là dans un club extrêmement fermé, celui des auteurs acceptant l'idée que la profonde richesse de leurs oeuvres ne se transmet pas forcément avec un mug ou un t-shirt. Il reste ainsi en accord avec son propos et refuse toute tentative d'idolâtrie mercantile. Chapeau. D'autant que Le monde est magique !, 22e opus de la série est à la mesure des tomes précédents, immensément drôle, impertinent et attendrissant.
JP.

 
CALVIN & HOBBES #22, Le monde est magique ! | Bill Watterson
64 pages | 10 Eu | éditions Hors Collection
ISBN 2-258-05831-7
[un site à voir sur Calvin & Hobbes]
   
 
   

CAHIER PERPLEXE, CUADERNO PERPLEJO, PERPLEXED NOTEBOOK
L’imposante monographie de Raúl que le Frémok vient de publier est éclairante a plus d’un titre. Avant tout, il y a une évidence : le recueil impressionne. Il rassemble, sur près de cinq-cents pages noir et blanc, mais aussi sur quelques cahiers couleurs, une sélection, de 1986 à nos jours, des meilleures illustrations du maître parues dans les rubriques opinion du quotidien madrilène El Pais. Une part importante de cet admirable Cahier Perplexe - pas moins de la moitié de l’ouvrage - présente des travaux antérieurs à 1993. Est-ce à dire qu’à cette époque, de 1986 à 1993, les jeunes auteurs-éditeurs que sont les désormais Frémok, tâtaient toujours de la photocopie et enfilaient encore des t-shirts de groupes rock, si ce n’est pire. Ainsi Raúl apparaît pour cette génération, une référence graphique majeure, au même titre que Breccia. L’imposant travail éditorial rend ici hommage à l’homme, de façon juste ; la jeunesse n’est pas inévitablement ingrate.

Cahier Perplexe, Cuaderno Perplejo, Perplexed Notebook (nous sommes ici sur les traces plurilingues de Taschen, stratégie éditoriale qui a fait ses preuves) est donc bien un recueil d’illustrations, mais de ces beaux livres qui ne se lisent pas moins comme des récits, dans une chronologie. La chose est par ailleurs parfaitement didactique, et le lecteur pourra, pour chacune des images, chercher la corrélation enfuie faisant écho aux titres. On s’amusera également des grands noms qui parcourent l’ouvrage, de Touraine, à Derrida, en passant par Arrabal ou Burgess, renvois totalement dispensables et n’influant aucunement sur la lecture, mais sachant donner un chic tout particulier à l’ensemble ; la jeunesse sait aussi comment on se forge une image qui rend du caractère.

Mais l’intérêt ne réside pas là, bien entendu. Car le travail de Raúl est tout bonnement époustouflant d’inventivité, de libertés graphiques et de maîtrise ; la flamme créatrice d’un Picasso n’est pas loin ; Raúl sait lui aussi, comme les grandes figures de l’art espagnol, s’emparer à bon escient du politique. Raúl s’empare des techniques, colle, découpe, détourne, sculpte, peint, dessine, grave, assemble, etc. Le livre se termine d’ailleurs par cet aveu laconique : " Illustrer est un mot comme un autre, répété plusieurs fois et dans la même forme, il perd tout son sens ". On imagine qu’enfant, le petit Raúl discernait déjà dans les nuages, ses plus belles créations. Un livre impressionnant, politique et poétique.

Attention toutefois, ce Cahier Perplexe est une édition augmentée de l’édition espagnole sortie sous une autre couverture, il y a quelques années.
M. Vandermeulen

 
[site]
CAHIER PERPLEXE, CUADERNO PERPLEJO, PERPLEXED NOTEBOOK | Raúl
500 pages | 45 € | éditions Fremok
ISBN 2-911842-82-0
 
 
 

AMORCE
Amorce
, de Sarah Masson et Michel Squarci, est la dernière publication de la Cinquième Couche et c’est bien une authentique merveille de sensibilité et d’intelligence que l’on nous invite à lire, il s’agit assurément de l’une des bandes dessinées les plus réussie de ces derniers mois.
La paire Sarah Masson/Michel Squarci travaille dans l’ombre de la Cinquième Couche depuis la création de cette maison bruxelloise discrète et forme en cela un couple rare, que trop d’exposition fait généralement fuir. Ce sont deux auteurs exigeants, qui ont peu d’égards pour ce que pourrait amener sur les étals des librairies une présence bibliographique suivie et régulière. Amorce nous arrive donc comme presque tombé de nulle part oserait-on dire, sans notable actualité. Outre leurs contributions successives aux revues collectives Cinquième Couche, Michel Squarci est l’auteur, avec Damien Rocour, d’un baroque F., et l’on créditera à Sarah Masson la réalisation de quelques très beaux opuscules culinaires sérigraphiés ; une production plutôt modeste, qui ne développera certainement pas de si tôt des excès de collectionnite, – ultime élégance !
Auteurs humbles, livres humbles ; Amorce n’échappe pas à la règle.
Bande dessinée brochée à l’italienne et écrite "à quatre mains", Amorce propose deux regards, deux récits dessinés tour à tour par Michel Squarci et Sarah Masson, (M.S./S.M.) deux histoires séparées par une page blanche et neutre, feuille miroir apportant à l’ensemble sa forme originale. Mais ici le miroir ne réfléchit pas : le récit semble plutôt y pénétrer, et la bichromie sèche de Squarci se décomposer en une palette progressivement lumineuse et versicolore, magnifiquement maîtrisée par Sarah Masson.
Les deux fables d’Amorce sont deux ébauches qui tentent de saisir l’immatérialité de l’instant passionnel, de ces moments où l’on ne sait plus très exactement si c’est l’art qui s’immisce dans la vie, ou la vie qui chavire dans la poésie. Car Amorce n’est rien de plus qu’une engageante réflexion sur l’art, l’amour et la puissance des images (le livre s’ouvre sur un œil en filigrane ; un œil qui pourrait tout aussi bien évoquer un sexe féminin).
Ici, les images parlent, elles sont agissantes, elles représentent la vie, envahissent les espaces (les appartements, les salles de cinéma, mais aussi les corps et les âmes), elles tendent à résoudre les tourments de l’existence, mais au plus juste que puissent être ces évocations (le nu d’un Matisse imaginaire, le sourire maternel d’une actrice des années 20 cristallisé sur un écran), elles ne peuvent procurer aux protagonistes des récits qu’une satisfaction provisoire, incomplète ; un fragment de ce qu’est l’amour. L’énorme toile qu’acquiert le personnage principal du premier récit tend à représenter l’idéal féminin, une femme nue telle qu’elle est dans sa réalité, mais telle aussi que chacun ne peut la saisir immédiatement à travers le voile des phénomènes objectifs et subjectifs ; c’est ce voile même que l’art déchire, comme le fera le personnage mis en scène par Michel Squarci, qui bientôt traversera littéralement sa toile, pour passer ainsi de l’autre côté du miroir, celui de l’amour véritable.

M. Vandermeulen

 
AMORCE | Michel Squarci & Sarah Masson
68 pages bichro/quadri | 18 € | éditions La Cinquième Couche
ISBN 2-93035-600-6
 
 
 

BREAKFAST AFTER NOON
Sobre et engagé, avec des airs de Ken Loach, Breakfast after noon surprend déjà parce que l'on est pas très habitué aux bandes dessinées qui se situent outre-Manche et relèguent au vestiaire la panoplie du super-héros. Drame social tournant autour de la mise au chômage impromptue d'un jeune couple, habillé par une néo ligne claire ni extravagante, ni virtuose, juste limpide et discrète, au service de l'histoire. L'ouvrage d'Andy Watson ne se veut pas spécialement attirant. Exit les personnages distanciés ou niaiseux parfois liés à ce style graphique, on se laisse très vite emporter par le réalisme de la situation, d'une ambiance teintée à la jeune bourgeoisie urbaine, tantôt mesquine, tantôt désarmante de candeur, emporter par la spirale d'un quotidien qui se dérobe. Déstabilisation et désespérance du jeune couple, chacun réagissant à sa manière faisant éclater ainsi leur fusion amoureuse. On pourra pleurer sur la conventionnelle fin, semi happy-end maculé de non-dit tout en admirant la profondeur à laquelle nous emmène parfois Andy Watson dans une Angleterre qui n'a plus que des places à l'ombre pour les pauvres qu'elle produit.
JP.

 
BREAKFAST AFTER NOON | Andy Watson
Coll. Ecritures | 200 pages | 12,50 Eu | éditions Casterman
ISBN 2-203-37235-4
   
 
   

GERMAIN ET NOUS... #1
À la fin des années 70, la bof génération débarque dans le journal de Spirou sous les traits d'un blondinet chevelu et de sa bande de copains dont les passions de feignasses jouent à contre-courant d'un Spirou bon ton et toujours désespérément optimiste (malgré Fournier). Il y avait le précédent de Franquin avec Gaston Lagaffe, exception à la règle, dont Germain semble le fils spirituel. Si le dessin rond reste dans la tradition "gros-nez" de l'école belge, l'encrage, tout en traits hirsutes et jetés sur le papier, les décors, minimaux au possible et la galerie de figures joyeusement croqués, tous plus proches de la réalité que les autres personnages du journal, entraînent Germain et nous... vers ce que l'on pourrait reconnaître comme la première série réaliste de l'institution de Marcinelle. Réaliste dans l'incarnation des personnages et des sujets traités -ces jeunes là, qui font peur aux vieilles, aiment surtout le rock & roll, draguer et s'avachir sur des poufs tout au long des dimanches après-midi. Frédéric Jannin tapera ainsi dans le mille pendant quelques années avec les pérégrinations travaillées en planches de gags de cette bande de potes que l'on peut redécouvrir avec joie dans le premier volume de cette intégrale inespérée. Nostalgie quand tu nous tiens...
JP.

 
[site]
GERMAIN ET NOUS... #1 | Frédéric Jannin
192 pages | 15 EU | éditions Le Lombard
ISBN 2-80361-8532
   
 
       
   
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