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Pierre Maurel
vu par l’ontologie de Gilles Deleuze

Initiation à l’ontologie de Jean-Claude Van Damme #1

Initiation à l’ontologie de Jean-Claude Van Damme #2

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Extrait #1
Madame Bovary


Journal
janvier 2003 (extraits)
(nous y sommes)

 

 
 
 

 
 

 
     
 

Nous sommes très fiers de publier ici, en primeur, quelques passages extraits du Journal de M. Vandermeulen. Nous avons spécialement choisi les pages se référant à son récent déplacement au Festival International de Bande Dessinée de la Ville d’Angoulême, en janvier de cette année. Les centaines de feuillets que M. Vandermeulen consacre à ses mémoires depuis de nombreuses années, forment depuis quelques semaines un désir affirmé de voir cette œuvre de près de 3500 pages faire l’objet d’un numéro spécial de la Nouvelle Revue Française (NRF), aux éditions Gallimard. Publication envisagée deuxième trimestre 2004.

 

Journal

janvier 2003 [extraits]


Mercredi 22 janvier 2003

Chaque fin de mois de janvier, période pourtant connue pour être l’une des plus épouvantables du calendrier, je m’étonne toujours, quand survient le temps d’embarquer dans le train Bruxelles - Angoulême, du nombre impressionnant de personnes qui émigrent en même temps que moi pour cette Angoulême lointaine, travestie en la circonstance en un hippopotamesque festival international de la bande dessinée. Faut-il voir, en cette irrépressible transhumance, une maladie insolite et inconnue, trouble des foules que seul éprouverait le bédéphile de base ? Il existe, certes, une bédéphilie occasionnelle dont je reconnais être effleuré, mais il ne faudrait pas en négliger une autre, bien plus constante celle-là. Et ici, sur ce quai, la bédéphilie occasionnelle des individus semble, par je ne sais quelle impulsion inexpliquée, se muer en une bédéphilie constitutionnelle de la communauté. Propagation irrésistible des faiblesses mentales ? Déjà vaincu par le trouble, je décide de ne pas me battre.

Le train semble m’emporter sans que je ne paraisse réellement maître de mes agissements, je ne suis plus qu’une trajectoire, à l’instar de la direction des rails et de la volonté du commandant de bord.

Ne jamais mésestimer les aptitudes de l’homme que l’on dit de passion. Il sera toujours capable, de manière insondable et sans limites fixes, des plus extravagantes admirations ou des plus inconcevables mépris à l’égard d’un même objet. Les modes et les goûts se relaient ou coexistent dans un tel désordre que je ne saurais envisager mes contemporains autrement que comme les éléments d’une humanité semblables à un agrégat gélatineux, toujours disposé à prendre la forme que les circonstances lui suggèrent. Mal installé dans mon siège Thalys, voici que m’absorbe un spleen musilien. (…)

Me voici à Angoulême, au bar de l’hôtel où Joe Pinelli a pris ses habitudes depuis dix-sept ans. La matinée parut formidablement courte en sa compagnie. En cela, Pinelli est un appréciable compagnon de voyage ; le découvrir au wagon-restaurant, sans un cigare aux lèvres, m’offrit une vision de lui quasi exotique. Durant le trajet, nous avons tout naturellement parlé bande dessinée. Nous étions, il est vrai, soutenus par un élan des plus favorables. Nous évoquâmes ainsi quelques figures notables de la B.D. - uniquement les défuntes de ces dernières semaines -, et nous arrivâmes, non peu fiers, à maintenir le sujet sur près de 250 km. Et pas moins du double en énumérant toutes celles en passe de le devenir. Pinelli est un auteur de très bonne compagnie.

Il me revient que j’avais averti Fabrice Neaud de ma venue en cette fin de matinée. Le temps de poser quelques affaires à la chambre 205, et me voici parti dans les dédales de la ville haute. Les tractations d’usages, pour retrouver cette satanée rue de l’Éclipse, me sont, cette année encore, tout aussi insupportables ; j’accumule finalement un retard de près de deux heures, moi si régulier d’ordinaire. Sans grande surprise, la maison reste muette à mes triolets. Je reste malgré tout à l’affût d’un éventuel crissement de volet, mon regard balayant le dernier étage de la façade. Une bruine commence à me picoter le visage, contrarié, je décide, sans objectif précis, de redescendre les piétonniers. Là, je me laisse entraîner par le doux courant d’une foule indolente et repense à nouveau aux rails du Train à Grande Vitesse.

Arrivé au Champs de Mars, je retombe par hasard sur Pinelli, le cigare cette fois bien arrimé aux lèvres.

- Monsieur Vandermeulen ! quelle surprise ! m’interpelle-t-il sur le mode tonitruant, nous accompagneriez-vous ? Nous avons choisi de dîner, mon camarade et moi-même, dans cette brasserie alsacienne.

- Une telle invitation ne se refuse pas, mon cher Joe !

Quand il s’agit de rencontrer une relation de mon camarade Pinelli, j’accepte toujours la chose avec un enthousiasme sans frein (il faut dire que Pinelli a la maestria pour rendre sympathique n’importe qui). Et de fait, l’inconnu me parut instantanément aimable. C’était un homme encore jeune, perdu dans une pelisse trop grande pour lui, à la mise plutôt bonhomme, une tignasse ébouriffée couronnait son visage rond ; ses joues étaient, chose surprenante, particulièrement rouges. J’appris lors de notre repas que monsieur était critique - de B.D., s’entend - et se rendait chaque année au festival en bicyclette à sacoches.

D’où la chevelure, la pelisse, et le teint cramoisi.

Peu de temps après cette rencontre, un second critique, collègue du premier - on l’aura deviné - vint nous rejoindre à table. C’était un quinquagénaire bavard et sûr de lui. Il s’empara bien vite de la conversation en nous édifiant un rapport sur l’état actuel du monde de la bande dessinée, milieu qu’il connaît bien puisqu’il y est critique, mais aussi historien, et ce depuis 1981 !

- Saviez-vous qu’il se publie par mois plus de soixante-dix titres ? Et que sur ces soixante-dix bandes dessinées, l’on m’en envoie pas moins de soixante à soixante-cinq ! Bien entendu, je les lis toutes (et parfois même, pour certaines, je les relis !), mais il m’est impossible de les chroniquer in extenso, vous comprenez ? Ceci me prendrait trop de temps !

Ne sachant trop comment me tenir devant tant de détermination, je tente de présenter à cet inattendu voisin ma mine la plus attentive, que je n’oublie pas de renforcer parfois, par une brève et zélée question.

- Oui, effectivement, je suis ce que l’on peut appeler un critique généraliste. D’ailleurs, je vais vous avouer une chose, beaucoup de mes collègues me jalousent. Notre métier a lui aussi ses chapelles. Et bien des critiques (de soi-disant critiques, car se dit critique qui veut, finalement, il n’y pas d’études spécifiques pour cela) ne m’aiment pas, et peu d’entre eux ont su accepter que je sois devenu, en la matière, une sommité ! Je viens d’écrire un livre de 320 pages ! Il sort pour le festival.

- 320 pages, c’est une somme, lui confiai-je.

- Oui, pas moins de quinze ans de travail, monsieur. Et vous, au fait, qui êtes-vous ? Nous nous connaissons ?

Embarrassé, je lui souffle le titre de mon dernier ouvrage.

- Oh mais oui ! C’est toi monsieur Vandermeulen ! Je vois très bien ce que tu fais ! Eh bien, laisse-moi te dire mon opinion sur ton Littérature : je pense (enfin, cela n’engage que moi et je peux me tromper, bien évidemment) mais je pense que ton livre est extrêmement réussi ! Mais je pense aussi (et malheureusement) qu’il ne trouvera jamais véritablement son public…

Comme il prit un temps, presque fier de son effet, j’intervins : " Ah bon ? et qu’est-ce qui vous fait dire cela ? "

Il fouilla dans la poche intérieure de sa veste, et me tendit sa carte, puis poursuivit : " Trop de références littéraires, mon gars. Tiens, ma carte, n’hésite pas à m’avertir quand tu sortiras quelque chose de nouveau (1) ". (…)

Jeudi 23 janvier 2003

L’Espace Franquin, sait-on pourquoi il fût baptisé ainsi, est le lieu où tous les acteurs du festival - journalistes, exposants, dessinateurs, libraires, mais aussi bien d’autres ! -, se rendent pour chercher leur passe. Me voici donc en ce lieu obligé, venu réclamer mon indispensable sésame, une petite carte plastifiée en fait, chaque année plus épouvantablement composée. Pour cette édition, les lettres A.U.T.E.U.R. se détachent fort distinctement du carton, effet d’autant plus garanti qu’il est souligné, cette fois, d’un ravissant code-barre. Le festival n’oublie jamais - quoique de manière toujours un peu maladroite - de flatter ses dessinateurs en les élevant au rang d’auteur, cajolerie d’ailleurs très appréciée des intéressés.

L’Espace Franquin est aussi le lieu où le fraîchement reçu pourra rencontrer quelques connaissances autour d’un infect café. Au sous-sol, dans une ambiance à la lumière quasi sous-marine, se découvre une salle et quelques tables éparses, disposées avec beaucoup de manières. Des efforts rares semblent avoir été consentis pour que l’ensemble offre au lieu un cachet des plus solennel. Tout ici paraît avoir été pensé pour que de grandes décisions voient le jour, pour que de probables contrats puissent se rêver de la meilleure façon, tout, jusqu’à l’ergonomie avant-gardiste du mobilier Starck.

Cette année, je retrouve les membres de la Cinquième Couche, messieurs Poot, Löwenthal, Squarci et De Heyn - pas moins de quatre d’un coup, en un matin !

Nous sommes amusés de nous retrouver en cet endroit étrange, loin de notre Bruxelles coutumière. Nous devisons aimablement autour de nos petits gobelets en plastique, nous consommons néanmoins, accoudés au bar.

Je décide d’accompagner mes camarades au Théâtre de la Ville, curieux de découvrir avec eux le lieu dans lequel ils devront rester quatre jours durant. Cette année, exceptionnellement, nous ne présenterons pas nos livres au même endroit. Nous étions pourtant, depuis quatre années, toujours regroupés dans l’aile droite du chapiteau nord, sur le Champs de Mars. L’arrivée inopportune d’une importante maison d’édition - d’aucuns, pour l’occasion, la jugeront imposante -, a mis fin à cette agréable tradition. À Angoulême, ce sont l’argent, le temps, mais aussi l’espace qui sont désormais comptés.

Sur les marches du théâtre, une foule agglutinée et désordonnée renseigne les derniers Angoumoisins étourdis que le festival a bel et bien débuté - était-il possible qu’il en restât, des étourdis, dans ce charivari ? Nous tentons d’atteindre la salle d’accueil, mais la chose n’est pas commode : il s’agit d’ouvrir un passage dans la masse épaisse et serrée de jeunes écoliers hilares ; c’est que ce jeudi, en France, c’est sortie pédagogique, et l’épicentre de cette belle initiative culturelle semble se situer ici-même, devant nous, sur cet escalier menant au Théâtre de la Ville. Grâce au bon sens de M. Squarci, (qui eut la présence d’esprit de brandir son passe par-dessus les têtes), nous nous risquons, MM. Poot, De Heyn et moi-même, dans la trouée provisoire frayée par notre ami. La méthode n’est pas malheureuse et nous atteignons le hall d’accueil sans autres façons. Là, un succinct état des lieux nous avise que l’épicentre, que nous situions dix mètres en amont, n’était qu’un leurre ; le théâtre regorge de partout ; c’était lui le centre.

Nous nous regroupons tant bien que mal près de l’ascenseur. Nous aurions dû nous encorder, mais nous n’avions point de corde. Nos regards anxieux se cherchent mutuellement. Un moment d’inattention, et la foule-Léviathan nous avale sans nous recracher, jamais. Enfin, arrivés à proximité de l’inespéré passage mécanique, un vigile nous toise et profite de ce moment de grâce pour nous déployer tout son ascendant d’homme indispensable, celui d’acteur capital de la sécurité du festival. Il s’interpose et nous signale de façon pondérée (mais extrêmement ferme néanmoins) que l’usage de l’ascenseur nous sera interdit. Il nous invite à opter pour la voie officielle, c’est à dire un parcours fléché qui sillonne le théâtre dans ses recoins les plus insolites. Cette voie, que nous nous résolvons à emprunter (sur ce point, l’autorité de l’agent de sécurité nous avait vaincu, il faut convenir que ce dernier l’arborait de façon exemplaire et efficace), a été spécialement conçue pour que le visiteur n’échappe aux installations des scénographes. Ainsi piloté, le visiteur pourra s’attarder dans les dédales du circuit, sûr de ne rien manquer.

La stratégie est particulièrement opérante : toute retraite est impossible. Nous subissons, impuissants, l’autorité souveraine du tracé, tels – décidément ! - des wagons lancés sur leurs rails. Vraisemblablement excités par l’affluence, nous franchissons quatre à quatre les marches d’escaliers métalliques, courrons en formation indienne, bousculons, puis tantôt renversons. Nous ne manquons toutefois pas d’enjamber les enfants quand il le faut, ni de gérer notre souffle de manière adéquate, ce qui, en pareille circonstance, est décisif, car jamais, dans ce genre de course burlesque, l’on ne connaît véritablement la distance qui sépare de l’objectif ; ici, en l’occurrence, le point convoité était ce damné espace Frémok, situé au quatrième et dernier étage du bâtiment.

Enfin arrivés, essoufflés et accablés par l’épreuve, mais non fâchés d’être parvenus au terme de tous nos efforts, la mise en scène du Frémok s’offre toute entière à nos yeux hagards. Voici donc pour quoi nous avions couru si sottement. Une pénombre écrasante, accompagnée d’un " sound-système " assourdissant, nous intègre aussitôt dans un dispositif asphyxiant. L’absurde projet de m’emparer de la main de M. De Heyn me traverse, conséquence de mon pouls trop élevé, très certainement. Ainsi, nous avions échappé au Léviathan tumultueux pour nous engouffrer, têtes baissées, dans le ventre de Frémok. Nous allions nous tourner, implorants, vers la foule de tout à l’heure, afin que ses griffes nous arrachent à celles-ci, quand s’ouvre alors à notre droite la porte de l’ascenseur. En jaillit M. Löwenthal, qui sût donc séduire, par Dieu sait quel maléfice, le zélé cerbère de l’entrée. Après avoir apprécié la salle d’exposition d’un coup d’œil succinct, il nous gratifie, un sourire facétieux dans les yeux, d’un superbe " C’était donc ça ! ".

L’espace alloué à mes amis de la Cinquième Couche s’avérera plus saugrenu que ne l’avaient laissé présager les supputations les plus folles. Une table et deux tréteaux avaient été placés dans le prolongement d’un " espace librairie pirate ", en réalité, le recoin le plus sombre de l’espace sound-système. Même en munissant le visiteur d’une lampe de poche individuelle, il aurait fallu tous les efforts du hasard et de la chance pour que sa main rencontrât un livre de M. Löwenthal. La piraterie a toujours aimé l’ombre. Sur le mur d’en face, une longue table éclairée accueillait les dédicaceurs du Frémok.

Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, et jamais à court d’invention pour se sortir de la disgrâce, les gens de l’Employé du Moi et de la Cinquième Couche entreprirent d’installer une nouvelle table et quelques tréteaux de fortune, de manière presque comique, juste après l’accès de sortie (celui menant aux escaliers de secours, dans un couloir par trop étroit baigné d’une lumière blafarde), coincée entre la porte et une lance d’incendie. Tout ceci offrait, avec le renfort de trois chaises pliables et quelques piles de livres, un mignon petit stand de peu de frais. (…)

Mais cette facétie ne subsistera pas sans faire l’objet de quelques dissensions entre collègues, comme me le confiera plus tard, dans sa verve légendaire, mon ami Löwenthal. (…)

L’événement le plus important de ce festival devait être, on s’en doutait, la visite de leurs altesses royales le prince et la princesse Mathilde. Il y avait aussi un Philippe, pensons-nous, que la foule oublia. Pour la circonstance, les flibustiers du Frémok délaissèrent crochets et jambes de bois pour d’élégants blazers noirs de bonne coupe. Noirs, pas bleus, parce qu’en tout il convient de ne point se montrer trop flagorneurs. Noirs, comme la révolte.

Peu avant la venue du couple princier, le théâtre devait être évacué, à des fins de déminage. Toute personne dûment munie d’un passe était réputée sans malice et avait le droit de rester, ce qui ne manqua pas d’étonner mon ami, qui en avait cinq dans sa poche.

On raconte que le chef des pirates, nommé Corsaire du Roy pour la circonstance, monsieur Van Hasselt lui-même, s’inquiéta des bizarres tréteaux montés près des toilettes : " vous allez laisser ça comme ça ? ", s’enquit-il auprès de M De Heyn, emmitouflé dans son lainage d’alpaga. " Ben oui ", aurait répondu ce dernier, avec la verve étonnée et placide qu’on lui connaît. Tandis que le chef des corsaires s’éloignait, M. Squarci lui lança le slogan bien connu des flibustiers parigo-bruxellois : " le ver est dans le fruit ! ". Plus tard, dans une correspondance lyrique qui s’ensuivit, le chef des corsaires parla de " tréteaux pas trop chics ".

Mon ami Löwenthal fut chargé par le protocole d’expliquer la bande dessinée indépendante de Wallonie-Bruxelles à Philippémathilde. On lui dit bien de parler lentement. Il s’acquitta avec probité de son rôle d’ambassadeur des belles images.

" C’était formidable, me dit-il, toute cette foule en liesse venue nous acclamer ! D’abord, ces gens si sympathiques, avec des habits noirs et des lunettes foncées, et leurs gentils gros chiens mettant leur nez partout. Toutes les dix minutes, quelqu’un disait : " attention, ils arrivent, ils sont là " et on se tenait prêts, mais c’était démenti l’instant suivant. Enfin, on vint nous avertir qu’ils viendraient par l’ascenseur. Donc, ils allaient commencer par nos tréteaux à nous, près des toilettes, avant d’entrer dans l’espace sombre de Frémok !

D’abord, il y a eu un tumulte. Cela venait de l’escalier. Des gens très affairés munis de perches et de micros, de trépieds, de câbles, d’appareils photographiques géants envahirent notre espace, nous bousculant même, nous, les héros de la fête. J’avais à mes côtés Christophe Poot et Renaud De Heyn, toujours ceint de son pull d’alpaga. Je ne peux pas décrire la minute qui suivit. Juste après le ding de l’ascenseur, je fus aveuglé par une multitude de flashes. Enfin, recouvrant mes esprits et ma vue, je pus voir en face de moi, de l’autre côté des tréteaux, du côté des toilettes, Mathilde et Philippe, aussi aveuglés que moi, les yeux tous rouges, me tendre leur main molle. Mathilde souriait et regardait un point situé juste au dessus de ma nuque, ce qui doit demander un gros entraînement.

Je devais leur expliquer, avec mes mots à moi, ce que signifiait " groupe indépendant ". L’expression (on avait cru entendre, sur le stand Wallonie-Bruxelles, " groupe indépendantiste "), l’expression, donc, provoqua un haussement du sourcil gauche du prince, l’espace d’un instant, qui fit une grosse impression sur la presse belge (2).

" J’allais bien sûr rassurer tout le monde, mais je n’ai pas pu finir, parce qu’on m’avait dit de parler lentement et que le chef du protocole me montrait frénétiquement sa montre. Une main ferme s’empara de l’auguste bras de Philippe pour le traîner dans le ventre de Frémok. Là, on recommença, avec force courbettes. Le tout dut durer quatre minutes, les plus belles de nos vies. "

Puis, s’étant excusé de la vanité de son anecdote, mon ami me parla d’une récente question de l’un de ses jeunes élèves (M. Löwenthal, d’où qu’il se trouve, saisit toujours un moment pour consulter ses courriels). La question portait sur les lois stochastiques telles que présentées par Pierre-Simon Laplace et des répercussions sur la pensée déterministe de son époque. (…)

Vendredi 24 janvier 2003

(…) Je l’aperçois marcher tranquillement, de sa démarche un peu roulée, au milieu de la foule, juste à la droite du stand ; c’était bien l’ami Grégorge ! Je suis inévitablement assailli d’une allégresse non retenue quand le hasard me convie à croiser les pas de Grzegorz Rosinski. Le mot hasard provient de l’arabe az-zahr qui désignait les jeux de dés - jeux de hasard, s’il en est - que les Croisés introduisirent en Palestine au XIIe Siècle. (…)

Le tempérament unique de ce Polonais me comble, malgré que je n’ai probablement pas lu son Thorgal avec l’attention qu’il mérite (mais les choses que peint M. Van Hamme, son collaborateur, persistent à demeurer pour moi, malgré qu’elles se présentent nettement sous mes yeux, assez pénibles à entendre). (…)

L’on peut cependant accorder, à la louange de M. Van Hamme, que celui-ci est un auteur renommé. C’est un homme à la bibliographie imposante, dont les livres semblent recherchés, atteignent des tirages impressionnants, sont traduits en plusieurs langues… Si l’on ne fait pas confiance au philosophe (au véritable philosophe, celui qui fuit le maelström médiatique), c’est vraisemblablement parce que la sagesse populaire estime qu’il doit bien y avoir du juste dans ce que compose un scénariste de B.D. devenu célèbre. Ou, pour le formuler autrement, disons que les ouvrages de M. Van Hamme ont du succès, non pas parce qu’ils sont réussis, mais à cause de la réussite éclatante que renvoie au public l’image des personnages qu’il dépeint. À cela s’ajoutent les thèmes cultivés par le grand scénariste, utiles à l’essor du succès ; M. Van Hamme a cet avantage d’être absolument pareil à ses lecteurs, d’en partager les idées, sans aucune poésie. Que mon lecteur ne discerne en ces lignes aucune ironie, ce sont là les qualités nécessaires pour être apprécié des masses. (…)

- Alors, Grégorge, raconte-moi, lui lançai-je, les princes sont-ils venus saluer ta rétrospective ?

- Tout à fait, c’est même moi qui ai servi de guide ! Oh ! que c’était drôle ! Figure-toi que le prince m’a sauté dessus, d’emblée. Littéralement sauté dessus, oui. Et sais-tu ce qu’il m’a dit ? Il m’a demandé de le mener incessamment aux hélicoptères !

- Aux hélicoptères ? fis-je étonné.

- Oui, reprit-il, je ne sais pourquoi, il a demandé qu’on lui présente des hélicoptères. J’étais assez embarrassé, comme tu peux t’en douter. Je ne sais toujours pas comment j’ai réussi à lui assurer sans rire : Ah mais je pense que je vais décevoir son Altesse, elle va être déçue, car il n’y a pas d’image d’hélicoptère à lui proposer ici… Sur ce, Grégorge s’abandonna dans un rire de baryton et une larme lui apparut au bord de l’œil.

- C’est magnifique ! ajoutai-je, car sais-tu que M. Renard (tu connais Claude, n’est-ce pas ?) eh bien Claude expose lui aussi à Angoulême, et il vient de me confirmer la même chose : le prince lui aurait - lui aussi ! - demandé à voir ses hélicoptères !

© M. Vandermeulen & ses éditeurs

JadeWeb et les éditions 6 Pieds Sous Terre souhaitent remercier l’auteur et ses éditeurs pour avoir si obligeamment autorisé la reproduction de ces extraits.

 
   
Mais qui donc est Monsieur Vandermeulen ?

Leçon 1 Pierre Maurel vu par l’ontologie de Gilles Deleuze
Leçon 2 Initiation à l’ontologie de Jean-Claude Van Damme ou Le Concept Aware, la pensée en mouvement

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