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KEVIN DRUMM | FENNESZ | O’ROURKE | REHBERG | NORIKO TUJIKO | PITA
 
 
 
 

Pour piquer le mot à Pierre Desproges, si les Autrichiens n’ont qu’un rêve, se faire envahir par l’Allemagne, et les Autrichiennes par Paul Newman, certains ont des perspectives plus enthousiasmantes et offrent aux regards étrangers une lecture que les politologues aiment à désigner du terme d’exception culturelle.
Vienne, qui depuis les derniers soubresauts des avant-gardes viennoises n’avait pour ainsi dire plus fait vibrer la jeunesse en mal de sensations, est en passe, au travers d’un label marginal (mais en pleine expansion), MEGO, de recentrer la carte géostratégique des musiques en devenir. Faisant feu de tout bois sur l’image figée d’un pays conservateur, orthodoxe, pour tout dire extrémiste, vision toujours latente si l’on en croit les dernières tendances électorales, MEGO participe à part égale avec d’autres petites structures locales (CHEAP, RHIZ) de l’émergence probante d’une scène alternative dans le domaine de l’électronique, ouverte et libérée des contingences.
Ainsi de la même façon que l’abstraction en peinture permet à chacun d’exprimer une part de son univers, la musique électronique a sans aucun doute offert ce sursaut salvateur à une frange de la jeunesse viennoise (européenne ?!)

On ne saurait réellement discerner l’impact que peut avoir un label tel que Mego dans les méandres des musiques électroniques actuelles. L’estime qui entoure cette jeune structure (4/5 ans) est en passe de déborder les frontières étroites du cercle d’initiés constituant jusqu’à présent le noyau des fidèles.
Le fil d’Ariane qui guide le choix des productions, des événements et des rencontres est pour le moins cohérent. Il n’a de cesse de s’étoffer artistiquement et géographiquement.

Par le biais d’une stratégie simple, mais porteuse, les membres du label autrichien ont su entériner un certain savoir-faire, une patine singulière à leur son. Basés entre Berlin et Vienne, sièges des deux homes studios, les 3 grâces comme on les appelle dans les milieux autorisés, à savoir Andreas Pieper, Ramon Bauer et Peter Rehberg, ont su, par leur sensibilité artistique, insuffler cette extrême fraîcheur à leur label. L’attention toute particulière portée aux pochettes des disques exécutées par Tina Franck, responsable attitrée des éléments graphiques et du design de Mego finissent d’asseoir l’univers de cette maison d’édition sonore.

Au-delà des artistes qui ont déjà croisé le fer sur la structure, Farmers Manuals, Evol, Christian Fennesz, Fuckhead, General Magic, Goem, Russel Haswell, Hecker, Nachtstrom, Potuznic, Pure, Sluta Leta, UFO Beobachtungen, Pita, Jim O’ Rourke… Il nous faut, à présent, nous intéresser aux nouveautés du label.

MERZBOW A taste of…
(Mego/Wave/Metamkine/Chronowax)

Si les voies du seigneur sont impénétrables, les sources en provenance du disque dur de Masami Akita sont quant à elles insondables. La charge héroïque à laquelle se livre ici le Japonais pour ses débuts en long format sur Mego, enflamme à nouveau les préceptes et la doctrine qui ont jusqu’ici motivé ses actes musicaux : distorsions, filtres, saturations, extrémismes auditifs, bruits blancs…
Afin d’épingler les clichés qui sclérosent la vision de son pays natal, Merzbow prend comme pied d’appel le plus raffiné des arts couru au Japon : la pratique culinaire. Insolite ? Pas si sûr que cela si l’on considère les contradictions entourant les mets japonais : à la fois violents et agressifs dans leurs saveurs tout autant que fins et sophistiqués dans leur préparation.
À la différence près que le processus s’inverse : l’apparence de violence entourant les travaux de Merzbow dévoile en seconde lecture de belles nuances de styles, sonores et mélodiques.
Conseillé aux fins gourmets au palais (peu) délicat… Après lui, le déluge ?!?

KEVIN DRUMM Sheer Hellish Miasma
(Mego/Metamkine)
On aurait tendance à penser, par simplicité ou alanguissement intellectuel, que les années passant, l’énergie déployée, la détermination et l’audace, tout au mieux se diluent, au pire se dissipent. Ce serait sans compter avec le collectif international Mego, qui ferre désormais au-delà des seules rivières autrichiennes, au-delà même du genre électronique bruit blanc.
Bâti autour de composants électro-acoustiques (guitares) et d’effets attenants (pédales, feedback, drone) ce Sheer Hellish Miasma de Kevin Drumm risque de causer maints dégâts unilatéraux dans nos pavillons internes. Après le raisonné lp de Jim O’Rourke, KD vient mettre à mort la mélodie sur le terrain de Mezbow, Gate, Whitehouse avec une approche sérielle à la Conrad. L’extrême violence des climats s’épanche sur la quasi totalité des quarante-cinq minutes du disque dans une tourbillonnante symphonie de nihilisme et de bestialité contenue ; accalmie au creux de la tempête, Cloudy, basé autour des drones éthérés apaise un temps nos oreilles… Pour exigeant et dur que soit le disque, Kevin Drumm fustige pour l’occasion les pochettes heavy rock lignée Judast Priest-Spinal Tap. Preuve s’il en est qu’on n’a pas besoin d’avoir les cheveux permanentés et une guitare à deux manches pour faire du bruit.www.mego.at

FENNESZ / O’ROURKE / REHBERG
The return of Fenn O’Berg

(Mego/Metamkine)

Le trio séditieux du laptop, plus loquace et volubile qu’une réunion Tupperware de Madrilènes réinvestit le temps d’un nouvel album le label autrichien Mego.
Les vertigineuses digressions analogiques dont ils s’étaient faits les aèdes n’ont pas perdu de leur mordant ; elles cisaillent avec la même détermination chirurgicale la mélodie agonisante. Dans un sens, ils semblent inventer de nouvelles formes de torture à celle-ci : de l’étouffement progressif à l'anhélation partielle, de la lente strangulation à l’écartèlement, tout est ici prétexte au supplice.
Ce qui étonne le plus dans cet univers, c’est le plaisir indécent que prennent les participants à ce calvaire computeurisé. L’album nous prend littéralement en otage, faisant monter de plusieurs degrés notre tension, maltraitant notre esprit, rudoyant notre conscience du beau, brouillant nos repères esthétiques… et pourtant, difficile de s’empêcher d’éprouver un attachement profond pour ce disque… la forme musicale du syndrome de Stockholm ?!?

NORIKO TUJIKO I forgot the title
(Mego/Metamkine/Ici d’Ailleurs)

La spontanéité, la grâce et la petite frimousse de Noriko Tujiko auront eu raison des dernières forces de Mego qui produit, après son deuxième album Shojo Toshi, à nouveau la petite Japonaise.
Ces quatre titres proviennent en réalité de ses toutes premières réalisations. Mélange de musique intimiste pop, de sonorités aux accents nippons et de comptines enfantines, ce I forgot the title est une amnésie douce au cerveau.
La furibarde petite Japonaise avait alors mis plus d’eau dans son saké. Les mélodies, toujours aussi malines, et la voix cristalline et haut perchée de Noriko (forme d’égérie de Yoko Ono et de Bjork) crée un univers d’une délicatesse ultime.
Une fleur lo-fi fragile au milieu d’un désert aride de bruit blanc.

PITA Get down
(Mego/Metamkine/Chronowax/Ici d’ailleurs)

L’écoute d’un disque de Pita se révèle souvent un acte risqué, comme d’embrasser le derrière d’un pachyderme, ou de faire les vitres du Word Trade Center en période de rentrée scolaire.
Déflagration rythmique, magma sonore, déviance sonique, furie technologique sont des termes ordinairement employés pour détailler le travail de l’auteur. Ce Get down, loin de l’univers strassé de Kool & the Gang, cultive davantage des points d’attache, des éléments de jonction avec DJ Speed Ranch ou Janskynoise, parmi d’autres.
Si la critique est facile, l’art est difficile. Ainsi, les contorsions du rythme présentes sur ce maxi ne s’appuient pas dans le vide, puisant dans un univers où réflexion et intuition se tirent les coudées franches, où abrasion analogique et techno symphonique se transcendent… L’œuvre est agressive mais empreinte néanmoins d’une certaine beauté. Les machines s’alanguissent, à mesure qu’on pénètre dans l’univers de Rehberg, laissant deviner derrière le parasitage évident et autres sources radioactives une finesse sous-jacente.
JJ.

 
 
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