chroniques 2001
Entretiens
  JadeWeb chroniques #9
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LES ENTRETIENS
. Bip-Hop .
. Travaux Publics .
. Mathieu Malon .
. Arbouse Rec .
. Active Suspension .

. Osaka .
 

ALIAS The other side of the look
(Anticon/Chronowax)

C’est sans doute les pignolades d’Eminem ou les discours ronflants et calibrés du Docteur Dre qui donnent à un label comme Anticon toute son assise et sa crédibilité. À l’instar de Def-jux, Anticon aura su créer une harmonie de genre, d’approche bigarrée du hip-hop sous sa bannière. Les derniers traits d’humeur de Sage Francis viennent infirmer cette position. Alias, pour sa part, œuvre davantage dans une optique heavy où le chant, la diction et le discours imposent à la mélodie sa mesure. Alias a d’ailleurs créé sa propre étiquette, le goth-hop, mélange de section rock gothique, de dub profond et de hip-hop. Les textes, éminemment fouillés, traversent cet album avec le regard objectif de l’observateur, croisant réflexions et informations, introspection et soucis de l’autre.
C’est sans doute cela qui donne tant d’assurance à ces morceaux, cette foi, cette confiance aveugle de porter la parole gommée par les médias. Il transcende son quotidien, expulse des mélodies le moindre signe de relâchement, d’abandon dans un jeu d’abnégation et de dévotion.
L’énergie pure d’Alias a su se diluer par le passé dans l’exercice de style de DJ Spooky, Blechdom from Blectrum, Dj Krush, the Roots ou Freestyle fellow ship.
Très bon.

JJ.

 
   
 
   

KUMI WAKAO Walk with John Cage
John Cage #4
John Cages : Sonatas & interludes prepared piano Kumi Wakao
Duo Improvisation : Shoji Masaharu/Wakao Yu
(Mesostics/Metamkine)
www.d6.dion.ne.jp
La puissante relation qui associe un maître et son élève tient tout à la fois d’un constat d’amour, d’un respect immodéré et d’une admiration teintée de crainte. Kumi Wakao n’a sans doute pas eu le privilège d’établir cette relation avec John Cage, toujours est-il qu’elle a tissé, par procuration le fil tendu de sa création autour de l’œuvre du précepteur.
À raison d’un ou deux albums par an, elle réinvestit le corps des compositions de Cage, à seule fin de ressentir les même émois, les surprises de l’imprévu et le souffle du génie créateur.
En induisant des éléments de non-musicalité dans le giron de ses compositions, en intégrant le contexte de la création dans celles-ci, comme un ensemble indissociable, le compositeur aura pu développer sur ces bases une théorie générale du son ayant débordé au-delà du champ musical (l’impact de Cage sur Fluxus et sur l’art conceptuel est difficilement quantifiable).
Kumi Wakao, pianiste de formation, a préféré la voie chaotique du piano préparé, comme terrain d’expérimentation pour ses attentes, que les sentiers normés de l’instrumentation classique.
C’est tout naturellement qu’elle s’est liée d’une amitié–collaboration étroite et intime avec Joëlle Léandre, autre grande passionnée du compositeur anglais.
Une nuée d’enregistrements, à raison d’un par an, qui déclinent en autant d’interprétations qu’il existe d’humeurs et de manières d’écrire le travail sur le piano préparé.
D’étonnants et riches moments en perspective, où intermèdes mélodiques, lentes vibrations de la contrebasse, pincements et autres crispations de cordes cohabitent avec une somptueuse humanité.
JJ.

 
   
 
   

PHOEBE Faire
(autoprod)
mèl
Conscients que Robert Wyatt ou Nick Drake ne joueront jamais une partition d’Holosud ou d’Oval avec en arrière-cour un orchestre symphonique… les trois membres de Phoebe ont décidé de poser en acte leur fantasme.
Plutôt que de jouer les fantassins du genre, ils ont progressivement assujetti les machines.
Habiles sans être technicistes, utopistes sans être naïfs, ils ont su accommoder les quelques reliques de leur panthéon personnel à la cause commune qu’est Faire.
On les reliera sans peine à cette scène émergente de labels et d’artistes qui ont mis en demeure l’électronique de servir toujours plus loin et plus haut la mélodie et les sentiments.
Une forme personnelle et impressionniste d’envisager les captations électroniques, sans cynisme, ni pudeur.
JJ.

 
   
 
   

THE BONGOLIANS 100 % Heavy Bongo Vibes
(Blow up/La Baleine)

Déçu par ses contemporains, désillusionné par ses concitoyens, Nasser Bouzida a choisi l’imaginaire comme décharge à ses douces rêveries utopiques. Ses illusions perdues, il en a fait le traité de ce peuple imaginaire, les Bongolians, hommes dévoués aux rythmes primaires des percussions et télescopages de peaux tendues. L’énergie de sa musique n’est pas à démontrer, tant elle participe de l’élan naturel du corps, son prolongement vital.
La complexité des rythmiques, alliée à un assemblage funky égrène sur plus de neuf titres une tradition groove et mélodique, non sans rappeler l’esthétique de Money Mark, les égarements de Malcom Catto, dans une veine plus urgente et lapidaire ou encore les dérives psychés de chez In Flight rec.
La pochette, auréolée d’un design très 60’ en droite lignée des albums jazz-afrocubain de l’époque, nous replonge dans un dépaysement savoureux et salutaire.
Et c’est encore une tuerie de chez Blow Up!!!!!! À découvrir d’urgence.

JJ.

 
   
 
   

THE FAN CLUB ORCHESTRA Sun papa & the fan club orchestra Vol. 1 & Vol. 3
(Sonig/Chronowax)

C’est peu dire qu’on attendait le fruit des tergiversations estivales des frères Baudoux. Ils avaient déjà charmé nos oreilles avec la sémillante tenue de leur dernier album sur Sonig (Scratch pet land : Solo soliiii), les voici de retour, plus entourés et riches d’aventure que jamais.
Des comptines électroniques, dont l’utilisation exclusive de Game Boy, devaient être le préalable terrain de jeu ayant vite trouvé ses limites. D’où nécessité d’évoluer.
Ainsi la définition du Fan Club Orchestra s’est mutée en une divagation oblongue sur l’amitié et la collaboration, l’improvisation et la musique concrète à base d’organes buccaux.
Le collectif composé d’une dizaine de personnes transforme le foutoir de leur fond de studio en un bazar à merveille, jouant d’instruments aussi peu engageants à manipuler qu’à transporter en moto (du trombone aux percussions). À cela viennent s’adjoindre babillement et gazouillis de bouches, sons d’harmonica et cliquetis de Game Boy.
Ça ne se prend pas au sérieux, c’est l’énergie et la convivialité qui priment plutôt que la prise de son anthologique. En bref c’est du Scratch Pet Land faisant du pédalo avec Team Tendo et l’AEOC. Regroupement de deux volumes sortis sur support vinyl entre 2000 et 2001.

JJ.

 
   
 
   

HIGH TONES FOR THE WINTER FASHION V/a
(Alma Fury/Otani Yasuhiro/Otomo Yoshiohide/Xavier Charles)
(Textile rec)
mèl

On avait déjà pu saisir la richesse des explorations, graduellement orchestrées entre Alma Fury et OtomoYoshihide lors de concerts délivrés depuis Bourges jusqu’à Vand’œuvre, etc.
La relation de travail, devenue source de respect et d’amitié, a permis de donner forme à ce disque, petite symphonie du quotidien, hymne aux plaisirs sourds de l’enfance.
Claude et Vonnick ont véritablement renouvelé leur approche, domestiquant avec un réel talent leur source. Le contraste entre la fluidité de leur musique (ils travaillent dans les hautes fréquences) et la densité d’informations qui y séjournent donne le vertige. Quelque part entre la B.O. de Microcosmos et Golden Tone (Fennesz+Zeitblom) ou Signal.
Chacun des musiciens se livre à un devoir d’ingérence sublime dans l’univers de ses collègues. L’expérience de Yoshihide en live avec Alma Fury et Yasuhiro donne une composition mi-électro-acoustique, mi-environnementaliste d’une rare beauté. Xavier Charles, fait essuyer à l’auditeur une pluie d’insectes nocturnes, saturée et grésillante à souhait, autour d’un jeu de variations subtil, puis les basses fréquences et ondulations subterrestres reprennent le dessus sur XOOX avant de sombrer dans un brouillard médiatique. Digne d’un Martin Meilleur sous acide.
Le terrain est âpre, les concessions ne sont livrées qu’à doses homéopathiques, prolongeant au travers de la musique un engagement qu’on devine autrement plus profond.
La culture franco-nippone est ici à son apogée. Une expérience vécue de manière absolue.
JJ.

 
   
 
   

SAGE FRANCIS Personnal Journals
(Anticon/Chronowax)

C’est avec un sentiment mêlé de fascination, de honte et d’excitation qu’on se jette dans la lecture "auditive" du journal personnel de Sage Francis. Ses "diaries" ont la pertinence, l’intelligence et la nécessité des œuvres indispensables.
La diversité des thèmes abordés, la variété des approches musicales, l’appétit d’ouverture confèrent à chaque morceau une superbe intégrité et autonomie à part entière.
Cette multitude d’approches trouve sans doute sa raison d’être dans le fruit d’un labeur collectif, où figurent Sixtoo, Mayonnaise, Alias, Mr Dibb, DJ Mek, AOI, Reanimator, DJ Signify et où Sage Francis se serait octroyé le rôle d’un chef de bande.
La pertinence de Crack Pipes, Inherited Scars, The strange Famous Mullet remover projette notre entendement dans les cordes à grands renforts d’uppercuts scratchés, de beatbox sèches et directes, d’un jeu de mélodies acoustiques sveltes et hypnotiques.
On pense à Saul Williams pour la diction et la manière de s’accaparer le verbe, à Blackalicious ou All Natural pour l’univers musical feutré et langoureux, à DJ Shadow pour la mixité et l’esprit de communauté, et aux Beasties Boys pour l’urgence, l’imprécision "punk".
Splendide et sans appel.
JJ.

 
   
 
   

ILIOS b.a
(Antifrost/Metamkine)
www.antifrost.gr
Le label grec Antifrost rapproche son point de gravité du centre européen, en délocalisant une partie de ses forces vives à Barcelone, ville où les rhizomes électroniques et expérimentaux font chanter l’underground (De Shudo à Scott Herren en passant par Ant).
Construits autour d’une série mentionnée comme une "extreme sound souvenir series", les pièces de ce mini-disque prennent comme pied d’appel le voyage, l’exotisme et la mémoire. Chacun des trois enroulant à mesure de l’écoute ses lianes autour de l’auditeur.
Ça commence avec une voix vocodée sortie d’un album de DMX Crew et ça se prolonge par de lentes nappes atmosphériques, gracieuses et discrètes, puis une voix langoureuse de crooner pour revenir à ses premiers amours (concrétions d’infrasons inaudibles). Un peu hermétique, mais toujours surprenant.
JJ.

 
   
 
   

PXP while(p){print"." "x$p++
(Wavetrap/Ici d’ailleurs/Metamkine/Chronowax)

PXP
(the departement for penetration and pervertion) donne le ton d’entrée de jeu : pas de simulation, ces jeunes sont des hacker d’un software sexuel où la violence se lie dans le traitement digital des sons.
La mission d’écoute attentive, vœu pieu fixé au départ, se révèle un chemin de croix jonché d’embûches tant la pression bruitiste est palpable. Les capteurs sont en alerte, la cruauté et la bestialité des timbres soulèvent le cœur, font défaillir le pouls, même si des plages de répit s’immiscent ça et là.
Un disque qui parle de notre présent sans fioriture, du vocabulaire et de la syntaxe informatique sans ornements ni ambages avec autant de recul et de prise de conscience que le Microserf de Douglas Coupland.
Et ça ne sort même pas chez God Factory (LOSD, Tetsuo Furudate) !
JJ.

 
   
 
   

HYPO Karaoke a cappella
(Active Suspension/Chronowax)

Active Suspension cristallise sous sa bannière l’ensemble des mouvances présentes au sein du genre post électronique ; quelque chose comme une électronica à haute valeur ajoutée, où chaque artiste plonge un peu de sa culture personnelle dans l’histoire, Steve Roden pour O.Lamm, My Bloody Valentine & Autechre pour Shinsei, etc.
Hypo est au carrefour de toutes les influences du label, une forme de projet tortueux qui illustre les courants et ascendances de chacun, hormis ceux du boss.
La désorientation est tangible, les repères sont multiples et ne donnent rien d’autre à analyser qu’un camaïeux de compositions formidablement disparates, une foisonnante création doublée d’un je-m’en-foutisme total. Les garçons sont des branleurs, mais des branleurs géniaux, au talent incroyable.
On aura du mal à contenir son bonheur sur Unable intro, hymne saturé et mélancolique ; Pil/pil est le chant du cygne génial d’une électro cheap estampillée 80’ ; Rudduddu nous entraîne dans les champs d’action d’Isan avec une mélodie ensorcelante ; Karelgott dataglove avec sa boucle cyclique électro symphonique est d’une intensité rare dans le genre ; Ddash babass, jamais loin du meilleur de Laudanum ; des intermèdes trashy expérimentaux ou ce Something must break ou les Rachel’s s’accouplent avec Console ; Newoldorder et son délire néo New Order ironique à souhait ; Blowowo où la présence de Michiko Kusaki annihile toute résistance (lignée Tujiko Noriko) avec ses comptines enfantines. RFM remixé par O Lamm qui donne une séquelle intéressante aux Frequencies d’LFO, etc. Humour, beauté et diversité. L’album le plus attachant de la rentrée.
JJ.

 
   
 
   

V/a MORR Blue skies an’clean
(Morr Music/La baleine)
www.morrmusic.com
Rien ni personne ne saurait destituer de la plus haute marche du podium le plus électronique des labels de pop, le bien nommé Morr music
Putting the Morr back into Morrisey avait déjà fauché large dans les bordures pop-électronica, révélant à cette circonstance de beaux éléments et néanmoins discrets…
Le temps passant, les commémorations se recentrent sur d’autres chapelles. Alors même que 555 édite son Tribute to Soft Cell, Morr, au détour de cette compilation tient à témoigner son hommage à Slowdive.
Le fait que ce groupe soit une pierre angulaire de la culture perso de Thomas Morr n’étonnera pas grand monde, il ne s’est jamais caché de son attraction pour la chose pop-no wave. Il semble en cela vouloir corriger le tir médiatique qui colle à Morr music (tout électro) en clamant haut et fort la vraie acception de son label (le titre de la double compil, emprunté à My Bloody Valentine résume à lui seul le discours).
Peu à être tombés au champs d’honneur, la plupart ont reconduit l’expérience, soutenus en cela par quelques jeunes recrues venues parachever l’univers déjà riche du label : Future 3, Isan, Lali Puna, Skanfrom, Ulrich Schnauss, B. Fleischmann, Limp, Komëit, Manual, Styrofoam, Populous, Solvent, Icebreaker, Ms John Soda, Herrmann & Kleine, Mùum se relayent sur plus de deux heures de suaves évocations du groupe et de sa portée.
Plus éthérée et posée que son prédécesseur, cette compilation est une sublime démonstration de ce que peuvent faire (avec comme structure de base des guitares) de jeunes musiciens bercés à l’électronique. Splendide.
JJ.

 
   
 
   

PURE Home is were my hard disk is
(doc/Metamkine)
www.pure.test.at
C’est réellement sur scène que les compositions de Pure acquièrent la plénitude de leur envergure et de leur charisme. Le spectacle devient total, emplissant chaque recoin, chaque contrefort des lieux visités, jouant des bas-reliefs naturels d’endroits en vue d’établir une osmose entre l’architecture et le son comme l’ont fait en leur temps d’éminents pairs (Luigi Russolo, Iannis Xenakis, Karlheinz Stockhausen…)
Pour autant, la singularité tient ici davantage dans la manière dont est abordée la matière sonore au regard des publics rencontrés. Ses pièces improvisées, l’une donnée à Hamburg dans un cinéma désaffecté, l’autre délivrée à Porto correspondent aux deux extrémités du fil tendu de l’art de Pure.
À la fois mélange subtil de fréquences ralenties et d’orchestration pondérale, ou échange abrupt d’algorithme répétitif, de numérisation réitérative et de voix trafiquées, chacune des expérimentations enserre les legs des précédents albums du duo.
Après une pléthore d’albums dispersés entre Mego et Staalplaat, cette production se veut l’écho savant d’une maturation aboutie dans les domaines de la maîtrise environnementale et digitalisée du son.

JJ.

 
   
 
   

TWINE Recorder
(Bip-hop/La Baleine)

Accusant un goût certain pour des mélodies camouflées et envoûtantes autant qu’un profond attachement pour la syncope d’échos électroniques et l’éclampsie rythmique, c’est dans cet étroit cahier des charges que Twine libère toute la sagesse des expériences accumulées et la virginité des terrains encore à défricher.
Si le nom s’acoquine avec à-propos de signatures de chez Raster Noton, Thrill Jockey ou encore Mego, c’est aussi sans doute dû à l’exigence qualitative, artistique ou esthétique dont ces labels précités se font les représentants.
Une impression d’immensité et d’immersion caparaçonne la vêture des morceaux, lentes montées vibrantes et hypnotiques sur lesquelles viennent se rompre des rythmiques fracturées et autres arpèges de guitare, brisant aléatoirement le sentiment d’aplomb du début.
Twine prend un malin plaisir à construire des archétypes de compositions complexes pour mieux les volatiliser la minute d’après… corollaire éloigné des Ephémères ou mantras tibétains.

Un travail exigeant et impétueux, fait de sautes d’humeur et de traits de génie, particulièrement actif sur des titres tels que None some silver ou Fine music. Mille idées à la minute, voilà ce qui vous attend sur Recorder. Vivement conseillé.
JJ.

 
   
 
   

MANTLER Sadisfaction
(Tomlab/Chronowax)
www.tomlab.com
Rencontré au détour d’une démo, Mantler a su faire preuve de ténacité et de persuasion. Pourtant, il n’aurait pas eu besoin d’en rajouter tant il prêchait déjà en terre conquise. Tom Stenle, boss de Tomlab ayant adhéré dès la première écoute à ses compositions fraîches comme la rosée et spontanées à outrance. La ressemblance vocale avec le Brian Wilson n’y étant sans doute pas étrangère.
Mantler émaille d’un fin gravier éraillé (sa voix) les surfaces réduites et cheap de ses mélodies ; ici, c’est bien la voix qui assure la tenue de l’architecture, sa parfaite cohésion.
Ce qui fonde la beauté de cet album, c’est sa délicatesse, sa simplicité et son aspect intemporel, à la fois âgé et naissant, novice et expérimenté. Des ingrédients qui avaient fait en leur temps le succès de Robert Wyatt ou du clan des Beach Boys sur Pet Sounds.
D’ailleurs, ces derniers le chantaient déjà à l’époque : " I’m waiting for the day " où j’écouterais Sadisfaction de Mantler, a-t-on envie d’ajouter. Sublime.
JJ.

 
   
 
   

GRAND MAL Perfect fit
(Unsounds/import)
www.unsounds.com
C’est sans doute l’image de l’innocence que cette pochette semble vouloir incruster dans nos esprits. (Un enfant en culotte courte tiré de l’imagerie de Doisneau). Si c’était dans l’enfance que nous devions creuser une comparaison, ça serait du côté de Zazie dans le métro ou Ubu Roi pour le surréalisme latent de l’œuvre.
Grand mal est le projet un peu flou de trois artistes dont la vie entière est tournée et dédiée à l’art ; actifs dans bien des domaines, Anne Welmer, Justin Bennet et Stephie Büttrich exercent aussi bien dans la musique électronique que lors de performances ou de compositions destinées au théâtre. On a surtout apprécié ces deux dernières protagonistes au sein de ou avec Mimeo, Fiber Jelly, The Anti Group, Fabricata illuminata, The Orgone, BmB con, Matthew Ostrwski, The Crash Ensemble, Piotr Klimak… Autant dire qu’ils ont balayé large le spectre de la musique électronique minimale et les abords de l’improvisation. Perfect fit commence comme l’Ursonate de Kurt Schwitters, borborygmes et onomatopées impétueuses.
Des spoken words agrémentés d’effets d’échos prennent le relais, puis, pêle-mêle, sonorités fantasmagoriques lynchiennes, sons tintinnabulants, bleep et craquements concrets, et petite mélodies bizarroïdes, chants à la Sarah Vaughan, etc. Si le monde a un jour besoin d’être ordonné, c’est chez Grand mal que la tâche sera la plus dure…

JJ.

 
   
 
   

MOBLIN I live in debasement
(Seven 0/
www.70-label.com)
Si le point culminant de l’acte amoureux est sans conteste l’instant des prémisses, Moblin, dans un parallèle original, nourrit son plaisir en repoussant sans cesse, dans un jeu de tensions et de faux-semblants, l’instant où la mélodie et le rythme explosent.
I live in debasement est la chronique de ce désir d’inachevé, de cet attrait de carence où l’auditeur guette avec une angoisse graduelle le dénouement de l’histoire.
Côté références, les meilleurs se côtoient, de DJ Spooky à Scott Herren, rôdeurs privilégiés sur Stridder revision jusqu’à Dabrye dont le instrmntl rappelle la technique ici employée voire Kid Koala ou Mixmaster Mike.
Cette technique, justement, fruit du développement d’une pratique virtuelle du scratching (tout étant construit par nappes de sons superposés, distordus) est ici usitée à son paroxysme.
Si la satisfaction est entière, pourtant, une frustration latente se fait sentir : on souhaiterait voir exploser certains titres dans une furie rythmique.
Chris Ragnanr Bergen n’a pourtant aucun mal à convaincre son auditoire. Souvent comparé à Terre Thaemlitz (recherche conceptuelle, prolixité des sources) ; les sphères sonores ici développées réinventent intelligemment les genres, entre hip-hop démembré et atone et électronique velléitaire et savante. Excellent.
L’actualité de Moblin est riche : outre le tribute dédié à Soft Cell (555rec) où il fera une apparition, on devrait l’entrevoir du côté (de chez swam) d’Irritant rec, Simball rec (avec DJ Spooky, Sutekh, Electric company) pour finir avec un split 12’ avec le jeune talent Random Number.
JJ.

 
   
 
   

ANDREW DUKES Sprung
(Bip-hop/La baleine)

Andrew Dukes semble vouloir conjurer l’incommensurable injustice de la nature qui l’a fait naître homme plutôt que poisson. La fascination pour les mondes marins tient pour beaucoup à la singularité du cheminement d’un son en milieu aquatique ; sons ô combien étranges et difficiles à définir. À la fois proches et lointains, sub-terrestres et spatiaux. Ce sont aussi la douceur, la distorsion douce, le filtrage liquide et l’écho ensommeillé qui prédominent sur ce Sprung.
L’écoute de cet album d’Andrew Dukes demande concentration et abnégation. Non pas liées à une quelconque difficulté d’écoute ou de compréhension, mais davantage motivées par un souhait de recueillement, de méditation de doux glissement vers le fond de l’abîme.
Paradoxalement, cet album se révèle par moment terriblement dansant et entraînant.
JJ.

 
   
 
   

ORDINATOR Acoustronik
(autoprod)
www.ordinator.net
Ordinator - Bp 72 - 33031 Bordeaux cédex
Ordinator est terre de contraste. Alors qu’il véhicule avec beaucoup d’à-propos une image clinique et médicale au sein de sa bio, la pochette et les rythmes offrent une approche groovante et chaleureuse de la musique.
Lorsque le roi de la funk met son doigt dans l’engrenage des machines, on obtient cette mixture feutrée et enjouée qu’est Acoustronik.
De la drum’n bass matinée d’easy listening, de lentes digressions Herbie Hanckokienne, jamais loin du meilleur de Cup of tea, Mo wax ou Mezig.
Les deux chirurgiens en herbe, Thibault Vandorpe et Dominique Réano diagnostiquent avec beaucoup de savoir-faire et de (fausse) désinvolture leur patient dans une salle d’opération où Bootsy Coolins tiendrait la vedette.
Un décalage heureux, à même d’extraire cette musique de son carcan " coiffure afro-Ray-ban " pour enfin l’apprécier aussi pour ce qu’elle est : un foyer d’expérimentations exigeantes.
Le sentiment unique qui gouverne cet album est le plaisir et le déhanchement qu’on n’hésitera pas à lâcher sur Ze Beat, Da Fonk, ou Starsky & H. Un hédonisme communicatif à l’image du paradis : un peigne afro, un vieux morceau de blaxploitation et roulez jeunesse.
JJ.

 
   
 
   

FALSCH.50 V/a
(Fals.ch./Métamkine/Wave)

Falsch
est un label irlandais qui s’est spécialisé dans la confrontation de genre : du bruitisme chatoyant à l’électro-acoustique austère mais classe, allant à l’occasion côtoyer la musique concrète.
Cet album rend hommage à plusieurs années de travaux acharnés. L’urgence et la densité, presque tactile, du projet se traduisent jusque dans la promiscuité présente sur ce 3 pouces. 50 artistes, dont certains parmi les plus actifs de la scène internationale, se relayent au long de cet exercice de style flamboyant… qui n’est audible que depuis le disque dur de son ordinateur. Les expériences les plus fructueuses de la musique contemporaine se conjuguent avec un ensemble d’images et de vidéos toutes prêtes à indisposer nos sens.
De cette jungle d’artistes extravagants, baroques et ludiques , extirpons quelques noms en guise de conclusion : Atau Tanaka, Gescom, Gordon Kriegger, id, B.low, General Magic, Evol, Merzbow, Pain Jerk, Francisco Lopez, Coh, Max muster, Koji Asano, Gettcatt, Poire-Z, Kent, Pix, etc.
JJ.

 
   
 
   

MONOGRAM St
(Pan/Chronowax)
www.peterimflying.fr.st
Dans le prolongement du remarqué Margo, Peter I’m Flying concentre cette fois son attention sur un groupe du cru (Ille-et-Vilaine) nommé Monogram. Ce dernier avait déjà fait le chemin jusqu’à nos oreilles lors d’une précédente démo, profondément marquée de mélancolie et de strates électroniques fines.
Les points de comparaison, de connexion, entre les deux productions se déploient le long du même continuum. On retrouve pour ainsi dire la quasi totalité des titres présents précédemment, exceptés Loner’s Lullaby dont Aria emprunte pourtant un peu de l’esprit.
Leur approche est sombre, les mélodies, envahies de scories et d’altérations analogiques, viennent se poser sur le long fleuve tranquille de leur composition ambient et aérienne. L’étirement raisonné des compositions impose une langueur douce au corps, une asthénie profitable à l’organisme.
Monogram, équilibriste dans l’âme, a su trouver son point de gravité, dosant avec raison les charges et pesanteurs qui le gouvernent. Quelques accointances acoustiques avec Transbeauce, Chessie se laisse à l’occasion deviner et surtout Minotaur Schock dont l’album Chiff-chaffs & willow warblers (Melodic rec.) partage la même communion d’esprit.
Preuve s’il en est de la grande vertu qui les habite, ils trôneront prochainement sur la prestigieuse compilation Bambini records aux côtés de sévères pointures du genre : de Minotaur Shock, justement, à Chessie (Stephen Gardner, albums sur Plug research) artistes qui offrent une synthèse concise des jolis courants noyant leurs constructions.
JJ.

 
   
 
   

ANTON NIKKILA White nights
(N&B research digest)
www.nbresearchdigest.com
Night & Black Research Digest permet à Anton Nikkilä, artiste russe, d’exprimer quatre ans après Formalist les fondements de sa fascination croisée pour le culte de la technologie soviétique et la musique classique. Autant dire un attrait pour les musiques industrielles où les spectres du totalitarisme et du productivisme se frôlent et s’imprègnent l’un de l’autre.
L’addiction de Nikkilä pour les chants grégoriens ne se fait sentir que tardivement.
Il passe à la moulinette avec un coup de poignée audacieux les sources extérieures, qu’elles proviennent d’émissions radio (le premier titre rappelle une musique folk-hawaïenne distordue). Plus l’écoute de White nights se prolonge, plus on rentre dans les champs communs d’artistes de Staalplaat, (Roger Rotor) ou Ash.international (Fabt).
Il joue avec une ironie acide du décalage, livrant pour 100 years of soviet cybernetics une intro digne du plus lounge des albums de Stock Hausen & Walkman.
Il puise dans ces musiques une part large de son héritage culturel et idéologique ainsi qu’un peu de spiritualité sans doute nécessaire à l’inspiration.
La rareté des sorties donne un élan encore plus symbolique aux productions de Night & Black Research, une profondeur à cette mise en scène de l’histoire récente de son pays, couronné, d’une certaine manière par cet album.
Anton Nikkilä a choisi de régler ses comptes avec l’histoire de son pays, livrant un album violent, ludique, intransigeant, riche de questionnements et d’expériences sonores.
Une compilation doit voir le jour prochainement avec Leif Elggren, KK Null, Government Alpha, Anton Aeki, Benzo, T.A Lab, Theodor Bastard, Pink Twins, etc.
JJ.

 
   
 
   

THE FRANK & THE WALTERS s/t
(Setanta/Poplane)

La légèreté avec laquelle The Frank & the Walters entrevoient le monde relève d’une volonté enfantine à plier les événements à une vision candide. La mort, les tourments, les doutes semblent glisser sur la paroi lisse de leurs compositions.
Cette crédulité offre dans le même temps une image de sérénité à leur univers, un espace clos autour duquel gravitent l’adolescence dénuée d’anxiété, l’insouciance envers l’avenir. C’est de cette manière que l’on doit aborder leur musique, comme un catharsis aux plaies de nos vies, un placebo à nos angoisses. Les mélodies légères calfeutrent nos inquiétudes et nos appréhensions, distillent une poésie rose fuchsia à notre regard. Cette ingénuité porte à certains moments sur les nerfs, néanmoins, la succession de sentiments présente sur cette compilation de leur florilège de tubes, depuis This is not a song à New York, Underground, Daisy Chain allège notre quotidien d’une fort jolie manière. Entre les Smiths et Echo & the Bunymen.
JJ.

 
   
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