chroniques 2001   JadeWeb chroniques #8
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Chroniques 2002

jadeweb #7
ULTRA RED / ANNA PLANETA . XINLI SUPREME . ROLF JULIUS . VESTIGE VERTICAL . SAMPLING RAGE . WERNER DURAND . DIED 13 / KAHN / MÜLLER . CASIATONE FOR THE PAINFULLY ALONE . FOR FRIENDS . ELECTRIC LIGHT . QUATERMASS VS KITTY-YO . LAUDANUM . DOMOTIC . ALOG . ARVE HENRIKSEN . TRANSBEAUCE . RETABANKA . AFRICA RAPS . VIKTER DUPLAIX . MAXIMILIAN HECKER . ASLHEY SLATER'S . THE LAND OF NOD . MONOLIGHT . PRO BONO PUBLICO . SND . OPTIATE . L’ALTRA . STATIC . PAN AMERICAN . DEZ WILLIAMS . ANDY MOOR / KAFFE MATTEWS . MOLR DRAMMAZ . GUIMO . O LAMM . PHONEM . JAMES ECK RIPPIE / COLIN A. SHEFFIELD . AIRPORT CITY EXPRESS . DA CAPO . DRONAEMENT VS RABBIT'S SORROW . JIMMY T . FALCON PROLEGOMENE . CHRIS DOOKS . HONS . VIRGA . MERZBOW . GEORGES AZZARIA . THE SOFT RIDER . CHROME 40 .

jadeweb#6
SAVOY . MOTION . ALEJANDRA ET AERON . OLAF HUND . OCTET . DJ LUL . CRAY . GISCARD LE SURVIVANT . SOL/t.einfeldt . BETH HIRSCH . LYS . BLUE BABOON . SAYAG JAZZ MACHINE . TAAPET . MARINA ROSENFELD . AAMUS TIETCHENS / DAVID LEE MYERS . ANDREAS BERTHLING . V.A. Unattainable Texts, A Precis . LAMBENT / DUODECIMO . LE CUBE . DIGITALE LIVE RADIO SESSION . 90° SOUTH . ULF LOHMANN . PYLONE . TOMMY GUERRERO . ANTI-POP CONSORTIUM . CYLOB . ESSA . DIAGONALE STABLE . OSAKA THREE ORCHESTRA . Petite musique de Chambre V/A . RUBIN STEINER . HUGO ROUSSEL Jr / NORMAN D. MAYER . LIQUID SPHÈRE . PARTICUL SYSTEM . JONATHAN COE . SYMPHONY . CONSOLE .

jadeweb#5
YVES DAOUST . AKI ONDA . BLACK FICTION . FRANSISCO LOPEZ / JOE COLLEY . COMAE . OH ! HENRY . TLONE . BATHYSCAPHE . YELLOW 6 . ANGIL . MELATONINE . ACTIVE SUSPENSION V/a . SISDEL ENDRESEN . V/vm . LOUISE VERTIGO . CARTOUCHE . FRAGILE / IMAGHO . VELO . MONOGRAM . ULTRA RED . MASSIMO . ANDRE POPP . MONEY MARK . BOVINE LIFE . A.F.R.I. STUDIO . SI-CUT.db . BIP-HOP Vol.4 . DON NINO . BEULAH . AEROSPACE SOUNDWISE . BERTRAND BURGALAT MEETS A.S. DRAGON . PULP FUSION . ALC LEVORA / SCHnEIDER TM . TOM SWEETLOVE . EASTERN CONFERENCE . KEEP PUNCHING .

LES ENTRETIENS
. MATHIEU MALON . ARBOUSE REC . ACTIVE SUSPENSION . OSAKA .

  FLIM Given you nothing
THE BOOKS Thought for food
(Tomlab / Chronowax)

Le laboratoire de Tom, voilà une transcription littérale qui peint avec soin les contours de ce label. Tom Steinle, en jeune alchimiste du phonème, convie au milieu d’un choeur de fioles et d’alambics, environnés de champs aux teintes de permanganate de potassium, de limaille de fer et de silicate un échantillonnage vivant, une illustration heureuse d’un vivier de créateurs surdoués. La formule commune à tous ces jeunes virtuoses de l’éprouvette rythmique et mélodique : la perception aiguë et viscérale du home recording, le sens affirmé du DIY et une vocation pour l’esprit lo-fi.
L’officine Tomlab a déjà confectionné nombre de placebos au désenchantement des jours gris : Casiotone, John Sheffield ou encore Novisad...

Après le splendide nouvel album d’Angelika Köllerman, les nouvelles viennent cette fois d’Allemagne, de Dresden, plus précisément, ville où réside l’ange noir des rhapsodies d’automne, le bien nommé Enrico Wuttke ou Flim, qui avait surpris son monde en sortant le parfait épilogue au splendide Laughing Stock de Talk Talk en 2000. Et si Mark Hollis a choisi la voix de l’intimisme et d’un minimalisme pop-jazz, Flim se sustente à l’électronique douce et aux gymnopédies.
Ce Given you nothing est la couture qui ébauche un rapprochement entre les travaux d’Éric Satie, Steeve Hillage et la décontraction à peine forcée de Weehsel Garland ou Boards of Canada. C’est beaucoup dire et en même temps peu livrer de la richesse de ce premier album, tant les sentiments et les états dans lesquels ils nous installent se soustraient difficilement à l’analyse. Si dans la gamme des sentiments, il falut faire un choix, c’est sans doute celui d’extase qui cernerait au mieux notre appétit du moment.
À la grande question de "manger pour vivre ou de vivre pour manger", le duo de The Books dévie subtilement la pensée vers l’idée de "penser pour manger"... L’esprit au service du corps... Voilà en un adage résumé la nourriture spirituelle qu’ils s’évertuent à fabriquer.
Voilà ce qui résume selon moi l’intitulé de l’album de The books, Thought for food, l’esprit au service du corps, la musique comme aliment spirituel de l’esprit. L’album du duo nous prend en otage par ses belles mélodies "bien" ficelées, fruit d’une réclusion hivernale à écouter quelques standards du post rock, de la country, du folk explosif et de l’électronique à glitchs.
On reste pantois devant l’aisance d’un Enjoy your worries, you never have them again cours de désaccordage de guitare en règle, quelque part entre Encre et Gastr Del sol, ou le folk triste et beau de Read eat, sleep ; on est également soucieux et pétri d’admiration à l’écoute de la lente complainte de Mother less bastard.
Les ecchymoses de rythme électronique sont irrémédiablement pansées par la fine mélodie de velpo folk jazzy, laissant le sang irriguer le cerveau et le coeur sans dommage. Un vrai don du ciel. Gastr del sol est mort ! Will Oldham est enrhumé, Ween et John Spencer sonnent aux abonnés absents... Vive The Books !!! Le meilleur groupe du monde !!! Sans aucune hésitation.

JJ.

 
 
 
 

FOLIE Misspass
(Mitek / Mangedisque)

Une société aussi normée que la Scandinavie ne pouvait produire en réaction qu’une jeunesse en marge avec son corollaire d’expérimentations. Un propos sur la folie est une manière élégante de mêler schizophrénie sympathique et timidité maladive.
Ainsi, il est quelquefois difficile de transcrire une démarche intellectuelle en acte. Encore moins évident d’en appréhender le sens lorsqu’on est extérieur à la réflexion.
Stephan Thor n’a pas d’attrait pour le facile et le simple... Il développe et renforce la charpente de ses cogitations intimes depuis bientôt cinq ans. La musique de Folie est spectrale et feutrée, pleine de glitchs et de chausse-trappes, marquée d’accents "Ennoient", de dub aquatique et d’échos acoustiques de guitare.
La recherche de souplesse et de vérité de l’oeuvre stigmatise une nouvelle fois encore ce quatrième verset du label, le plus énergique de la série. L’acclimatation des sons à l’oreille, leurs échos synthétiques nous évoquent les projets d’alter ego du genre, depuis Phonem jusqu’à Arovane sans oublier The Notwist. À la fois guillerette et triste, la musique de Folie ressemble un peu au héros mi-homme mi-chien de Boulgakov.
Mitek, label instigué par Mickaël Stravostand, contribue à l’émergence et à la reconnaissance de la musique ambiante minimaliste, mouvement qui utilise l’air comme moteur à propulsion mélodique. Très très bon.

JJ.

 
 
 
 

LISPECTOR Human problems and how to solve them
DREY Crowd drawings
(Antimatière [site] / Chronowax)
Considérer l’existence de l’antimatière, c’est reconnaître la réalité de son opposé. En un sens, en extrapolant, comprendre le mouvement du circuit indépendant, c’est aussi prendre en considération ce qui le fait exister, réagir : le mainstream. Dans une opposition parfaite, Antimatière, au détour de ses deux dernières productions, libère toute la sensibilité absente des productions cadrées. Loin des préceptes esthétiques ou des carcans musicaux, le label se saoule aux douces fébrilités du rythme, aux doux remous de la mélodie.
Pourtant, loin des préoccupations et attentes de la mécanique quantique, les groupes composent davantage avec la passion et l’à-peu-près plutôt qu’avec l’esprit cartésien et la raison. Lispector, alias Julie, boss de son label Ponytail, exilée à New York et dont le monde tourne autour d’un 4 pistes et d’un tambourin percé en est un bel exemple. Elle fait des chansons comme d’autres filles égareraient leurs lèvres dans le cou des garçons, avec douceur et abandon de soi. C’est beau, fébrile, pop lo-fi à souhait et on l’aime d’un amour fou rien qu’à l’écouter. Un début de solution aux maux de l’humanité.
Drey, pour sa part engage un monologue éblouissant où le post-rock le plus souple et aérien étreint la concision d’univers sombres où Slint, Shellac voire Joy Division ou les Deity Guns ont fait leurs armes. C’est splendidement dominé, et meublé de remarquables tensions salutaires. Un sans-faute pour ces deux productions et le label Antimatière qu’on ne saurait que trop vous conseiller.

JJ.

 
 
 
 

THE REMOTE VIEWER Here I go again on my own
(City center Office)
Il en va de certains sentiments comme allant de soi : la contemplation des étoiles, la peur du noir, le frisson du contact avec la glace... Au jeu de l'émoi, on pourra à présent y adjoindre le plaisir d’écouter d’un seul tenant un album des Remote Viewer.
Au travers du prisme de ce duo se dessine une lecture impromptue de l’histoire du "rock" de cette décennie passée, de son évolution même. Craig Tattersall et Andrew Johnson ont à peu de choses près connu toutes les mutations qui mènent du stade de la chenille à celui du papillon. Une bien jolie chenille prénommée Hood, au sein de laquelle ils contribueront à forger quatre albums de légende dont nous ne nous sommes pas encore tout à fait remis ; une chrysalide, ensuite, The Famous Boyfriend, stade intermédiaire et radieux, lieu de maturation entre la sphère pop et des éléments plus volatils de l’électronique.
Ce deuxième verset de The Remote Viewer, après l’acclamé premier album éponyme sur 555 (le label de Stewart), est le degré ultime de leur transhumance mélodique. Une voltige aérienne d’une rare beauté qui papillonne avec fragilité mais virtuosité depuis la plus haute cime de l’arbre jusqu’aux plus basses pousses de la graminée. (du raffiné I climbed a mountain à l’atemporel We found sound) S’il ne devait rester qu’un album d’électronica, ce serait sans doute celui-là. Une véritable prédisposition au bonheur...

JJ.

 
 
 
 

SPUNK Filtered through friends
(Rune Gramophon / ECM)

Loin des élucubrations violentes de Valérie Solanas, certaines femmes mettent en exergue, avec intelligence et discernement, leur féminité et leur créativité. C’est le cas de Marina Rosenfeld, c’est aussi le cas de Spunk, collectif norvégien prolongeant l’idée d’atmosphère et d’ambient arctique sur son premier album Det Eneste Jeg Vet Er At Det ikke Er En Stovsuger (la seule chose que je sais, c’est que ce n’est pas un aspirateur). Pas dépourvu d’humour, ce quatuor prolonge ses apologues sur les aspirateurs à la faveur d’un filtrage amical auquel se sont bien gentiment prêtés quelques-unes des pointures de la scène électronique norvégienne.
À la surprise générale, on retrouve assez peu l’esprit contemplatif du précédent album, ni la sérénité présente sur l’ensemble de la production Rune Gramophon. Venant en écho à l’album de remixes de Arne Nordheim, par Deathprod et Biosphère, cette vingt-troisième production du label est encore plus extravagante et décalée que la précédente, claquant la porte à l’anémie et au par trop vu. Le décalage est d’autant plus intéressant que le caractère dansant et débridé de ses remixes vient heurter l’aura académique entourant les interprètes originaux (elles sont lauréates de nombreux prix) Maja Ratkje (électronique, chant), Kristin Andersen (trompette), Lene Granager (violoncelle) et Hild Sofie Tafjord (cor d’harmonie), tout en reflétant une totale diversité d’approches et d’interprétations des sources revisitées.
Parmi les heureux tribuns de ce forum électroacoustique, on notera les prédispositions somptueuses de Martin Horntveth, Kim Hiorthoy (graphiste du label, déjà vu sur Vertical Form), Phonophani, Upper rooms svalastog, Andreas Meland, Lasse Marhaug, etc. à réaliser des splendeurs d’égarements électroniques, des symphonies de dépravations rythmiques, et des odes à la quiétude.
JJ.

 
 
 
 

CUJO Adventure in foam
(Ninja Tunes / PIAS)

Ce qui impose le caractère exemplaire du travail d’Amon Tobin se résume à la clarté de ses choix. Étourdi par la multiplicité des genres, le Brésilien a contraint la nécessité à sa table en imposant des choix drastiques à sa musique : le jazz a conservé son ossature de base, l’aspect swinguant de la contrebasse et celui enivrant du saxo, alors même que l’électronique ébauche, dans un chevauchement de séquences, un caractère tantôt cadencé, répétitif et énergique, tantôt céleste et spectral.
Dès ce premier projet, les bases semblaient déjà jetées : on sent présent l’appétit de conquête qui marquera l’architecture du son Tobin, les sentiments d’extensions sans limites des possibilités du genre très présentes sur des titres comme A Vida, Traffic ou The Sighting.
Cujo reste pourtant moins impétueux que son prédécesseur tout en conservant une part du feu sacré. "Dans tout projet, même les plus rigoureux doit subsister une part d’insaisissable, quelque chose qui vibre et qui donne tout son sens au patient travail du constructeur." Cette Adventures in foam reste une épure stylisée, plus proche de bricolage que de Supermodified ou Permutation dans cette pudeur et cette retenue à ne pas tout livrer au rythme. Un excellent préambule à la réécoute attentive de l’oeuvre d’Amon Tobin.

JJ.

 
 
 
 

JOSHUA ABRAHAM Busride interview
(Lucky Kitchen [site] / Amanita)

Il est quelquefois de bon ton qu’un label, ici Lucky Kitchen, permette à un artiste d’exprimer la plénitude de ses facettes et de ses sensibilités au détour de l’exercice périlleux de l’album solo.
C’est évidemment le cas de Joshua Abraham, qui bien que contrebassiste au sein de l’excellente formation Town and country n’a jamais pu exprimer son art que dans le confort cadré de cette structure.
Bien sûr, on avait déjà senti le vent tourner ; sa présence et ses passages éclairs avec et en compagnie de Sam Prekop (Thrill Jockey), Daniel Givens (Aesthetics), The Roots (Organix), Taku Sugimoto (Slub rec.), Loren Mazzacane Connors (Lotus...) ou David Grubbs, avaient livré un peu du secret et des potentialités d’accompagnement et d’improvisation du jeune homme de Chicago.
Si l’on accepte la part de féminité en chacun de nous, on pourrait considérer Town & Country comme sa facette masculine et ce projet solo comme son pendant féminin.
Que ce soit les doux arrangements de Trip north et ses tintements de xylophone, les climats spatiaux et nordiques de Departure, le libérant chant des sources sur After fire, le chamanisme nocturne de Crossing Kingston bridge, les glissements de drones sur le feutre de l’acoustique (Plums), rien ne semble privilégié si ce n’est la quête d’un certain apaisement, d’une plénitude idyllique.
Les stratagèmes de composition enivrent nos sens et donnent à voir une série de portraits variés et disparates, des traits tirés de lo speed shase à la quiétude abstraite d’Everything can be good sometimes... comme une galerie de ses émotions profondes.
Éblouissant !

JJ.

 
 
 
 

STEINBRUCHEL Zwichen.raum
(Domizil)
[site]
Plus que le bruit, le silence est aujourd’hui au centre des convergences esthétiques musicales contemporaines.
Il est étrange de constater à quel point ce dernier est chargé d’intensité. Cette tension est certainement liée à l’angoisse du vide et à la peur du néant. La nature n’aime pas le vide et l’oreille n’aime pas le silence, c’est bien connu. Pour autant il n’est pas une forme de "silence" qui ressemble à une autre si l’on prend en considération le contexte.
Ralph Steinbrüchel se sert de celui-ci pour souligner les bas-reliefs de son rythme, en renforcer les contours. La comparaison avec un corps sortant de l’eau est assez juste, l’eau singeant le silence et le corps le rythme.
Ce jeune Suisse-Allemand concrétise à l’occasion de la sortie de ce premier album beaucoup de savoir-faire. L’aspect expérimental (ici ultra-minimal) n’en gomme pas pour autant les intuitions mélodiques qui percent çà et là au fil de ce micro album de dix-neuf éphémérides. En conséquence de quoi on prend un plaisir excessif à écouter ce Zwischen.raum, prolongement vivant (et discret) du travail de Ryoji Ikeda.

JJ.

 
   
 
   

ELK CITY Hold tight the ropes [extrait de Once and for all]
DESTROYER Streethawk: a seduction
(Talitres) [site]
Talitres est un label bordelais qui nous fait oublier un temps la qualité de ses cépages au profit de la bonne tenue de ses productions. Pour autant, les conditions climatiques appropriées et le bon ensoleillement ont sans doute favorisé la germination de ce label voué à la pop.
Pas craintif pour un sou, le label s’est illustré dans un passé récent en sortant le nouvel album de The Birdwatcher, avec Dan Matz de Windsor for the Derby, haut fait d’armes s’il en est. Les années se suivent et se ressemblent, puisque la musique d’Elk City se confond avec les couleurs changeantes de la belle endormie et compose un tableau sonore élégant et sans complaisance. Elk City ne révèle jamais autant sa grâce que lorsqu’il laisse l’obscurité assombrir sa mélodie et le chant grave installer l’éclipse. On pense à de la country éthérée, à de la "high-lo-fi" éplorée et à des prairies où fleurissent les pousses de Yo la Tengo, parmi bien d’autres. À cette heure, point de frivolité et de mièvrerie, juste une mélodie et son auditeur (Smile, Athens Botanical, Football, Crimson).
Daniel Bejar, Destroyer pour les intimes, n’a pas grand-chose à voir avec Alec Empire (ça se saurait). Lui se joue de l’auditeur en mêlant, par mimétisme ou révérences un succédané de ses influences les plus intimes, quelque part entre David Bowie, Smog, Palace et Pavement, Prekop et The Sea & the cake. Entre postures de godelureau et nonchalance lo-fi il s’est tracé une voie depuis bientôt quatre albums. Une expérience qui ne dessert pas ce nouvel album au regard de la spontanéité juvénile des mélodies distillées. Sa voix nasillarde, sa gouaille 70’ donne un ton attachant à ce faucon des villes. À découvrir rapidement.

JJ.

 
   
 
   

L’ODYSSÉE V/a
(Prikosnovénie [site] / La Baleine)

Le label nantais a forgé ses assises sur sa contribution à une scène musicale singulière et marginale au sein même des courants indépendants : la musique néo-romantique d’une part, les climats féeriques et world d’autre part. Cette nouvelle parution du label Prikosnovénie draine et irrigue les sources et la genèse du label, compromission entre chant baroque, choeurs néofolkloriques et fantastiques de somptueuse voix féminines.
Autour de la grande majorité des interprétations de L’odyssée flotte l’esprit du label 4AD et des intonations proches de la chanteuse charismatique de Cocteau Twins, mais aussi Kate Bush ou Stina Nordeimstam. Pour autant la compilation dévoile des aspects plus bucoliques, voire dépaysants. Pour particuliers et étonnants que soient les modes de chant, ils n’en demeurent pas moins authentiques et originaux ; loin d’adhérer à l’ensemble des participantes, on concevra pourtant difficilement la vie sans Louisa John Krol ou Daemonia-nymphe qui évoquent les nouvelles chanteuses à timbre du nord.
Construit sur le même principe et avec la même dévotion qu’Hector zazou a bâti ses Chants des mers froides, Prikosnovénie laisse s’épancher fées, chants du monde, fado, naïades et sirènes et autres prêtresses mythologiques au long de cette heure d’onirisme salutaire étrange, baroque, insolite et déracinant. Pour amateur du genre.

JJ.

 
   
 
   

BRICOPHENIA Plum Pudding
(Microsphère)
[site]
Patchwork de goûts et de saveurs, mosaïque de sensations attenantes, Bricophénia singe les brises lo-fi, le folk subaquatique estropié et les comptines électronica pour en faire un ravissant délice. Plum-Pudding est une inquisition amicale au pays du bout de ficelle, un voyage où l’à-peu-près et le bricolé font entendre leur voix, avec le timbre chargé de la poésie de leur petite mécanique.
De ce bric-à-brac, Bricophénia extirpe quelques beaux moments de compositions claudicantes, impertinentes et aventureuses. Je pense notamment à la Plage, l’excellent Vampirella, sombre et psychédélique ou encore Cling. Des chansons tantôt instrumentales, tantôt vocalisées sur le mode français (à rapprocher de l’écurie Partycul System). Un album riche dans ses déclinaisons et ses atmosphères (les parties électro abrasives sont hors contexte) qui flatte notre humanité sommeillante (et son goût de diversité) et ne laisse aucun répit à notre attention. À découvrir.

JJ.

 
   
 
   

GEL -1
(Artefact / Chronowax)

Une ligne mélodique claire à base d’un éclat de piano, un détail de jazz, sur lequel vient se plaquer une trame d’anomalies et d’aspérités... Ajoutez à cela quelques procédés chers à Oval : accélération, inversions de sons et vous obtenez le profil de Gel, artiste français ludique et aventureux.
La musique de Gel est un renoncement, un refus de pactiser avec le rythme, de faire la part belle à nos instincts bestiaux et primaires... Pour autant, la déconstruction de ce qui fut du rythme révèle une structure sous-jacente.
La mesure, les grincements et divers craquements d’acier, filtres moelleux et échos doucereux composent la vêture de ces petites pièces fragiles et cristallines, qu’on placera sur l’étagère aux côtés de Microstroria, de Snd et des fiers-à-bras de chez Morr ou City Center Office. L’artiste français le plus prisé au Japon après Mireille Mathieu et Alain Delon, sortira prochainement sur Fat Cat le premier long courrier de Dorine Muraille, son projet parallèle. En attendant, il déroule ses idées les plus larges au détour d’un album attachant et ingénieux. Le splendide Aux chiens écrasés résumant à lui seul toutes les chroniques et interviews qui paraîtront jamais sur l’artiste. Pour emprunter une image, Gel, c’est du cristal qui aurait la même gueule de travers que les sculptures de Tinguely.

JJ.

 
   
 
   

A PLACE FOR PARKS The bright period
(Unique records)
[site]
Cette nouvelle et studieuse proposition du label Unique Rec vient parachever les options "postrock" posées par le label. Loin d’avoir tout dit sur le genre, le label met ici l’accent sur les propositions d’A place for parks, dont l’attachement à God speed you black emperor et Michael Nyman n’est pas équivoque. GSYBE, évidemment, mais aussi David Pajo ou Silver Mont Zion et aussi Les Rachel’s pour l’utilisation répétée et dépressive d’une combinaison cello-piano-trombone-clarinette. Même si l’on ne se surprend plus du genre, notre échine est en faction et des tremblements se font sentir à de nombreuses occasions, au fil des premiers morceaux splendides de retenue (Open all the windows, Our screwball concerto). Pour autant le groupe semble évacuer les références de Constellation ou Kranky à l’occasion de parties plus vivantes, où la batterie se réapproprie son territoire et la guitare trouve des chemins moins contemplatifs, plus soniques. La rythmique inspecte les constellations et les nébuleuses, fouille l’univers de fond en comble. Les mélodies s’occupant, pour leur part, de développer des trames raffinées et nostalgiques, enivrantes et tristes.

JJ.

 
   
 
   

HANS APPLEQVIST Tonefilm
(Komplott [site] / Mangedisque)

Hans Appleqvist
n’est pas un débutant puisque ce sont ses traits qui se dessinent derrière The Xio Fang, projet itinérant chinois, fruit d’une année à courir le Pays du Milieu par monts et par vaux.
Il ébauche ici une bande-son toute autre, plus personnelle, entre musique de film et hommage humble aux sons rêvés de la pellicule.
Le problème récurrent des albums cinématiques, outre leur caractère solennel et grave (comme si toutes les musiques de film se résumaient au Cabinet du docteur Caligari ou à Faust...) c’est qu’ils n’adressent (trop) souvent leur message qu’à un seul et unique interlocuteur : l’oeil. Or, pour ce que nous en savons, malgré la force eidétique de certains morceaux ou certaines atmosphères, les images qui assaillent notre esprit sont contingentées aux limites de notre imagination. Applequist rompt cette constante en insufflant chaleur et minimalisme à cette visée.
L’aménité s’exprime au détour de lentes syncopes cadencées de blues teintées de folk et d’extraits hybrides de films, proche des ambiances de Tommy Guerrero (et son travail de guitare). Le reste de l’album envisage un ton plus paisible où l’artiste contient la mélodie pour offrir un univers électronique chaud où les glitchs et les blips se taillent la part du lion, jamais bien loin de Fourtet, Tricky avec par ailleurs quelques références discrètes (les samples de billes d’Aphex Twin sur Ser mi lena Jag...). L’assemblage des deux, quoique étrange donne une tournure originale à cet album, brillamment exécuté et envoûtant de son tenant à son aboutissant. Excellent.

JJ.

 
   
 
   

WINDSOR FOR THE DERBY The emotional rescue lp
(Aesthetics [site] / Chronowax)

Un consensus béat et unanime auréole les travaux de Windsor for the derby, un peu à la manière de Hood, chaque fan allant de sa révérence ou de son approbation pour saluer la magnificence de ce groupe, également porté aux nues par la critique spécialisée. À tel point qu’on est bien en mal d’émettre un jugement critique...
Bien loin de déplier le tapis rouge à la pensée unique, on doit cependant reconnaître et avancer les plus jolis adjectifs du dictionnaire à la coupe franche de leurs compositions désinvoltes. Désinvoltes oui, comme sur Awkwardness ou Emotional rescue, mais par moment seulement si l’on considère la tristesse et l’atmosphère plombée de morceaux tels que Fall of 68 ou Another rescue.
Il suffit quelquefois de regarder le diagramme pour connaître le coeur du patient. Le diagramme en question porte quelques belles sinusoïdales, jolis sommets de vie à son actif, dénommé Rodan, Bowery Electric, Calla, Star Of the lid ou plus proche encore BirdWatcher (excellent album sur Talitres) dont Dan Matz partage également la tête d’affiche.
Autant d’artistes et de groupes qui composent et définissent l’univers de Windsor for the derby sans toutefois le cataloguer abusivement.
Les Américains mènent un peu plus loin leur raisonnement, déployant ici un collège de guitares et d’effets de style : country lascive sur fond de musique asiatique (Indonesian guitars), atonalité de rythme et décalage émo-core (Mythologie), Now, I know the sea troublant et "Enoien" voire Laudanaumien, ambiances sombres à la Bedhead. Leur pop song aux doux embruns folk a terni ses robes au contact d’artistes majeurs (Michael Gira) écorchant un peu de la naïveté/spontanéité des précédents albums. Une sorte de gravité sourde se dissimule au revers de chaque morceau, accommodant le relief de la voix aux faux plats des arrangements. Le raffinement domine le territoire de cet album et ne le quitte qu’à de rares occasions. Profondément vital.

JJ.

 
   
 
   

FOG S/t
(Ninja Tunes / PIAS)

Il faut se méfier de la rhétorique autour du geste musical. Un musicien n’est pas seulement un artiste, il est aussi un artisan, un être qui manipule des connaissances acoustiques et techniques, en les mettant au service de ses contemporains. Le problème de la permanence et du changement est un problème récurrent. On attend d’un D.J., ici un turntablist, qu’il insuffle une certaine dose de créativité, d’inventivité sans trop s’écarter du droit chemin, sans remettre en cause les principes fondamentaux de la chapelle qu’il défend. Andrew Broder, Fog, parce que lorsqu’il joue c’est le brouillard, ne l’entend pas de cette oreille. Il a choisi de désacraliser le hip-hop en lui faisant prendre certaines tournures obliques, où le chant emprunte davantage à Will Oldham qu’à Talib Kwali ou Company flow ; où la technique de scratch devient subversive et inaccoutumée. Ainsi, Check Fraud ressemble à du Procol Harum revisité au kazou...
Il met ici en scène ses émotions profondes, de manière aveugle... De la même façon qu’il avait fait dévier les canons du post-rock avec son groupe Lateduster... Pour étonnant et "à part" que nous apparaisse cet album, il doit être perçu comme une bulle d’oxygène dans un milieu clos, un renouveau dont il faudra bien tenir compte.

JJ.

 
   
 
   

NITRADA 0+ (2nd records [site] / Import / Hausmusik)
Nitrada
est une démonstration de force pacifiste orchestrée par le jeune Christophe Stoll, une recherche chromatique subtile sur les variations de gris et les chuintements de la neige. Ce qui est surprenant, c’est ce contraste évident entre la rudesse des espaces symbolisés sur la pochette et la tranquillité, le bien-être et la fragilité qui s’en dégagent... blocs altérées, roches délitées jusqu’à la disparition, qui donnent une clé parmi d’autres à la compréhension de Nitrada.
Cette recherche monastique, d’ermite en un sens, passe nécessairement par cette forme à peine dessinée de musique méditative qu’est la musique atmosphérique. Elle fait le lien, jouant le rôle de tampon avec la rigidité d’une rythmique électronique. On n'est jamais loin de se mettre la tête dans le frigidaire à l’écoute de morceau tels que Just close your eyes auquel on consent volontiers ou encore ce Chien qui mange la rue sorti de l’imaginaire de Plaid. Les Thèmes, au nombre de quatre, bâtis autour de crachotements et de saturations incandescentes, assurent une jonction parfaite entre les atmosphères. Une démonstration splendide équivalente en beauté aux avatars d’Autechre ou de Raster/Noton. Une plaine nue et vierge où se joue le petit film de notre imagination.

JJ.

 
   
 
   

TOSHIYA TSUNODA Piece of air
(Lucky Kitchen / Amanita)

Petit, j’adorais emprisonner dans des bocaux l’air des moments magiques, comme un souvenir vivant de ma mémoire d’enfant : des petites étiquettes collées illustraient les précieuses fragrances volatiles piégées au fil du temps : été 1986 : montée de l’Alpe d’Huez Indurain-Cappucci ; juillet 83 : effluves d’alcool de vin rouge distillées via Mako chimiste.
Cette idée de vouloir capturer le temps, Toshiya l’a faite sienne le temps d’un disque.
L’Europe n’aura pas attendu sa venue amicale sur Lucky Kitchen pour le faire tabler sur la mélodie. Déjà dévoilée sur Staalplaat et Selektion, voire Hapna, la ligne musicale qu’il défend a les aspects d’un fil de nylon, tout à la fois invisible et résistant. Un élément qui entre en résistance avec le vent, à la fois contre et avec lui, chacun (le vent, le fil) étant dépendant de l’existence de l’autre. Un conflit d’usage pour un traitement des vibrations et des souffles de l’air qui expulse la mélodie... La composition exhorte l’air à la susurration : riffs lointains de guitare, bruits d’eau reculés, vrombissements aphones des cymbales, poste radio inaccessible. Les effets de manches, les appels d’air et les dépressions peignent une scène délicate et pourtant mouvementée de sa géographie personnelle. Tsunoda saupoudre l’air de particules furtives, de cristaux fins et coruscants... Saturation diffuse de l’oxygène où coexistent poésie, réalité abrasive et chant cinglant du quotidien. Écouter Toshiya Tsunoda, c’est un peu regarder passer les nuages au ralenti.
JJ.

PS : Les plus fervents amateurs de Lucky Kitchen vont sans doute singer l’Avare de Molière et économiser la monnaie du pain au regard des prévisions de sortie du label : Vitielo/Tetsu Inoue/Andrex Deutch, en guise de prélude puis Toshiyuki Kobayashi, Stephen Mathieu et Thom Kubli peu après... Un futur qui s’annonce glorieux.

 
   
 
   

TRAM A kind of closure
(Setanta / Pop lane)

Tram
revient nous visiter sous la houlette de l’exotisme ibérique de Setanta. Après une période courte sans nouvelle, le quatuor harnache solidement sa monture pop, histoire d’en découdre un brin avec nos sentiments les plus cachés. L’aversion profonde du groupe pour les schémas basiques s’expose à nouveau. Dans un remake inédit de Mes nuits sont plus belles que vos jours, les Anglais redécouvrent l’usage de leurs bras et de leur cerveau. Ça se devine aux premières mesures de Three years, et c’est confirmé dès A kind of closure, pour ne plus nous quitter jusqu’à la fin. La voix de Paul Anderson est toujours confondante de féminité, l’équilibre harmonieux des cordes (vibrantes), et grattées (guitare) consume nos dernières réserves. Sobre et élégant, cet album confirme tout le bien que l’on pensait déjà d’eux sur Frequently ask questions, même si ce dernier s’oppose à A kind of closure comme le jour conteste la nuit.
Les mélodies intestines (les splendides relents hawaïens/country de A painful education) perlent le long des racines du ligneux esprit pop. La convergence d’intérêt avec Setanta facilitant le rapprochement d’autres formations du cru tel que Migala pour l’atmosphère générale, ou plus loin Bedhead, Smog et Turin Breaks pour ne citer que les plus émérites.
Une présence formidable, une sensibilité évidente, une dimension pastorale admirable et cerise sur le gâteau, la présence d’un certain Simon Raymonde dans le casting ! Apaisant et bucolique.

JJ.

 
   
 
   

ASPIC An ancient song sung too lung
(Vacuum)
[site]
Les teintes acidulées de la pochette (oeuvre de Michael Scott), les consonances et intitulés étranges et loufoques (Mr Ouik, Dip, Turnip, Histamine, Foldex, et tout particulièrement C. Ingalls revisited) trompent le monde, faussent la réalité, se jouent de notre opinion et des idées toutes préconçues qu’on pourrait apposer sur le compte d’Aspic. La maturité qui s’expose au détour de ces huit titres est le fruit d’un apprentissage long, d’une technique rodée et subtile, d’une maîtrise absolue des densités sonores. L’assurance et l’aplomb sont les portées d’une partition sur laquelle naviguent des éléments empruntés à la musique spatiale et atmosphérique européenne. Ses masses froides et spectrales se dessinent sur Mr Ouik, Turnip, C. Ingalls revisited avec une prégnance rare (lignée Badalamenti/Bark Psychosis/FSA). Certains, comme Dip plus aquatique rappelle les travaux de Seefeel/90 ° south. D’autres, plus aventureux seraient à mettre en parallèle avec des trucs de chez Touch comme North, par exemple. Mes morceaux préférés étant Foldex et Dam-i-l et leurs sons boiteux et faussés. (Scratch pet land & co). Si cette chronique est émaillée de références, c’est pour souligner davantage les prestigieuses influences dont se parent (sans dupliquer) les travaux d’Aspic.
Le lent coma dont Aspic se fait le narrateur est une oeuvre de tout premier plan, belle et pénétrante.

JJ.

 
   
 
   
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