Entretiens

 
JadeWeb chroniques #9
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A la loupe
Winshluss & Cizo MONSIEUR FERRAILLE .
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LA CAGE
"Après la nouvelle vague, le nouveau roman et les nouveaux philosophes, serait-ce le tour de la nouvelle bande dessinée ?"
Hugues Dayez in Découvrez en avant-première le livre événement du festival d’Angoulême 2002

À l’heure où d’aucuns aimeraient nous faire croire à l’émergence d’une nouvelle génération de bédéïstes, de cette vaniteuse jeunesse compulsivement prolixe qui accepte si aisément de se faire baptiser Nouvelle Bande Dessinée, ressortent fort heureusement, aux Impressions Nouvelles, deux chefs-d’œuvre du britannique Martin Vaughn-James, L’Enquêteur et La Cage, des récits graphiques composés voici près de trente ans et dont les récentes rééditions nous rappellent de façon comique que cette fameuse Nouvelle Bande Dessinée naissante n’a de commun avec le Nouveau Roman, la Nouvelle Vague, les Impressions Nouvelles et même les Nouveaux Philosophes (?!), que le malheureux composant novellus dépourvu de toute sa définition substantielle.
Gageons que l’Histoire Littéraire ne retiendra pas de ces malheureux auteurs les lourdes références dont Monsieur Dayez les accable, et que cette brave et laborieuse jeunesse saura se défaire assez tôt de ces intelligences extrinsèques qui pour l’instant ne réussissent qu’à éloigner un peu plus encore leurs œuvres de la légitimation littéraire à laquelle ils tendent si assidûment.
À la lumière de cet étrange phénomène, il serait intéressant de se demander pourquoi La Cage, la visual novel de Martin Vaughn-James, œuvre éminemment littéraire s’il en est, n’a quant à elle toujours pas trouvé sa place dans notre époque. Un terrible constat nous souffle funestement sa réponse : le lecteur de notre temps -ce fameux Siècle de l’Image- a décidé de se laisser mystifier par les propagandes imagières de toutes sortes et ne désire aucunement prendre le temps de comprendre l’image, à en saisir les sens, préférant seulement y trouver rêverie et évasion. Dès lors il n’est pas surprenant que les images de Vaughn-James, pensées et réfléchies, faites pour être lues plus que vues, construites de traits noirs austères, où tous les effets d’ordre plastique ont été expressément écartés, correspondent si peu aux goûts rudimentaires de l’œil contemporain, habitué aux avances des couleurs et des effets.
Et pourtant, La Cage est un extraordissime chef-d’œuvre, un récit séquentiel graphique que rien n’égale. Il s’agit d’une œuvre magistrale, labyrinthique, où le lecteur, malmené comme l’aura été Stephen Dedalus en son temps, est invité à se perdre dans le tressage du récit, où la présence de l’homme, écliptique et par là-même omniprésente, offre à ce grand livre la portée universelle des chefs-d’œuvre.
Mais je mets ici déjà un terme à ma tribune, et laisse à La Cage le soin de vous dévoiler progressivement sa poésie, car ce roman magistral, à l’instar des meilleurs textes de Kafka, Joyce, Beckett et Robbe-Grillet, ne saurait souffrir de se laisser raconter.
À noter également, la sortie simultanée, aux mêmes éditions, de La Construction de la Cage, autopsie d’un roman visuel de Monsieur Thierry Groensteen, un court ouvrage intéressant qui apportera aux lecteurs les plus égarés, un appréciable réconfort à leur errance.
Monsieur Vandermeulen

LA CAGE | Martin Vaughn-James | cartonné 200 pages | 25 EU | Les Impressions Nouvelles | ISBN 2-906131-02-4
L’ENQUÊTEUR | Martin Vaughn-James | 120 pages | 15 EU | Les Impressions Nouvelles | ISBN 2-906131-41-5
LA CONSTRUCTION DE LA CAGE | Thierry Groensteen | 96 pages | 12 EU | Les Impressions Nouvelles | ISBN 2-906131-42-3

 
 
 
 

HAWAII
Bon, alors c'est Toto qui va au marché et... Naaan, j'déconne, ahaha ! C'est pas Toto, c'est Hunter Thompson ! Alors donc, c'est Hunter Thompson qui va au marché et... Ha ha ha, mais naaaan, j'déconne ! Il va pas au marché, il est paumé en plein désert avec sa caisse en rade et il se met à planer dans le ciel avant de se bouffer son pare-brise dès la deuxième page. Et en plus, il s'appelle même pas Hunter Thompson, il a un autre nom, mais je m'en rappelle plus. Parce qu'en fait, il lui ressemble vachement, au niveau gueule et puis aussi au niveau calvitie. Alors, forcément, confusion... Mais sinon, pour Toto, c'est pas incohérent, je vous assure... C'est du Gonzo, quoi ! Gonzo, vous voyez ce que je veux dire ? Allez, les copains, on se réveille ! Toto, Hunter Thompson, Gonzo, ça vous parle pas ? Bon, d'accord, je récapitule pour les ignares : Hunter Thompson, reporter américain et écrivain culte n'ayant jamais pondu le moindre roman, inventeur du "journalisme gonzo", et influence majeure de plusieurs générations de "critiques rock". On pourrait développer sur l'hystérie du personnage, sur sa légendaire paranoïa, ainsi que sur sa manie des drogues et des armes à feu ; on pourrait approfondir sa revendication de la fiction comme principe d'objectivité ou décortiquer la mise en avant de son personnage de Tintin déjanté comme seul lien narratif à ses reportages... Mais désolé, les copains, c'est pas le sujet de la chronique. Alors s'il vous faut une séance de rattrapage, c'est en anglais dans le texte pour les mieux équipés, et direction le catalogue 10/18 pour les autres, où ils ne devraient pas avoir beaucoup de mal à se procurer La grande chasse au requin ou Las Vegas parano, récemment réédités.
Mais revenons à notre Hawaï. Pourquoi Hawaï ? Pourquoi une malle pleine d'un truc louche ? Et pourquoi ce pasteur plus familier des coups tordus que des homélies ? Hein ? Pourquoi ? Pourquoi l'histoire s'autodétruit-elle en même temps qu'elle défile ? Et pourquoi est-ce qu'on en garde pas plus qu'un peu de bande magnétique fondue dans la cervelle une fois le livre refermé ? Pourquoi… ? Mais parce qu'on s'en fout, bonhomme ! C'est du gonzo, nom de Dieu ! Tu ne vois donc pas que l'intrigue a moins d'importance que l'empilement joyeusement foutraque des situations ? Que tout là-dedans n'est que prétexte au commentaire et que l'action l'emporte sur le putain de message ?! Ce qui compte, c'est le détachement, l'attitude, le bavardage, le STYLE ! Tu comprends, c'est ça, le MESSAGE ! Et Dieu sait qu'il y en a, du style ! Ça fait même plaisir à voir ! Décontracté, la cigarette au coin du bec, les pouces nichés dans les passants du pantalon comme des oiseaux (voir à ce sujet le formidable Birds, du même auteur, auto-édité et pas facile à trouver, désolé c'est pas ma faute), et tout ça tracé du bout de la plume, la main légère et le verbe haut.
Alors bien sûr, nos amis les comptables du "Bar des trois mulots" vont encore débarquer avec leurs grilles de classifications et leur bouteille de Cacolac ("et ce petit nouveau, tu le ranges plutôt avec Sfar ou avec Blutch ?"). Mais nous, on aura déjà mis les bouts pour Hawaï, avec une réserve de gorgeons et quelques belles tirades sous le bras, pas vrai ?
GUMBY

[site]
| HAWAII | Matt Broersma
48 pages | 10 Eu | éditions FLBLB | ISBN 2-914553-12-9

(5, rue Sainte-Opportune - 86000 Poitiers [site])

 
 
 
   

L'AMOUR
À force de lire des livres d'inspiration autobiographique, on pourrait en devenir distrait et passer à côté de cet hallucinant ouvrage de BSK, son premier, intitulé tout simplement L'amour. BSK n'est pas un virtuose du dessin et de prime abord le livre ne séduit pas forcément. Par contre, BSK a un formidable talent de narrateur et campe en quelques cases des personnages auxquels on s'identifie pleinement. Déjà auteur de nombreux petits fanzines avec sa structure Hi-han (tel l'excellent Ânes d'aujourd'hui) dans lesquels il aime raconter son quotidien ou son enfance, on s'attendait avec L'amour à lire un peu une suite regroupant ces ingrédients là, qu'il manie plutôt bien. Mais voilà, au fil des pages, le malaise s'installe... Non, l'auteur ne peut pas raconter ça, ne peut pas autant faire entrer le lecteur dans les détails de sa vie intime... On en reste bouche bée et on tente de se rassurer : N'est-ce pas seulement une parodie autobiographique ? Ou une simple fiction ? Et puis finalement, il paraîtrait que non, qu'il s'agit bien d'une vrai tranche de vie, avec des morceaux de secrets dedans. Et là on se dit que forcément, l'auteur a dû couper tous les ponts avec les gens qu'il fréquentait à l'époque, ou alors s'il ne l'a pas fait, cet ouvrage pourrait s'en charger. En tout cas, voilà un livre où chacun pourra confronter son degré de pudeur sur l'échelle de BSK. À côté David B. ou Julie Doucet passent pour des cachottiers, Chester Brown et Joe Matt pour des écoliers faisant leurs gammes. Avec L'amour, la situation est simple et il suffit de la raconter dans l'ordre, sans effet poétique, sans clin d’œil au lecteur.
Cela commence presque comme un soap éculé : Benoît vit avec Corine, ils ont un fils. Benoît en pince discrètement pour Sabrina tandis que Corine lui révèle qu'elle est amoureuse de Gaëtan. Mais cette révélation ressemble plus à un jeu avec Benoît qu'autre chose. Voilà, rien de plus, l'intrigue est nouée, au fil du récit, les couples se déferont pour en former d'autres, entre les fantasmes des uns, les petites lâchetés des autres, les bandes de copains au milieu. Rien que du très ordinaire pour un livre étonnant, une réflexion sur l'amour et l'intimité sans aucun pathos, juste le récit de bout de vies. Dans tous les cas, un ouvrage qui apporte quelque chose à l'autobiographie en bande dessinée et la révélation d'un auteur singulier qui prend de vrais risques.
JP.

L'AMOUR | BSK
76 pages | 9,91 EU | éditions PLG [site]| ISBN 2-9515578-3-3

 
   
 
   

BONE #9
À chaque fois, on se dit qu'il ne nous aura pas encore une fois, à faire durer éternellement la saga des cousins Bone et puis, bon... à chaque fois on se fait avoir, plongeant avec délice dans l'univers de la "vallée" parmi les rat-garous mangeurs de quiche, le seigneur des criquets et autres ordres de moines-guerriers. Tout un univers dont on peut se méfier vu sa surexploitation tâcheronne et ennuyeuse dans la bande dessinée grand public en général. Mais Jeff Smith a ce petit plus qui nous réconcilie avec la Fantasy en bande dessinée : l'humanité. La profonde complexité psychologique des personnages, l'imaginaire poétique et une sacrée dose d'humour, l'auteur manie le tout, comme toujours, avec une légèreté et une grande délicatesse. Le tome 9 de la série, Les cercles fantômes, ne déroge pas à l'ambiance qu'il a forgée au fil des centaines de pages qui composent la saga : lenteur du récit, facéties chapliniennes autour des cousins Bone -véritable récit dans le récit- et dramatisation croissante -et un peu toc aussi- de l'intrigue de fond, de plus en plus touffue, utilisant le principe des apports d'éléments nouveaux à la fois comme réponses aux questions posées et comme générateur de nouvelles intrigues périphériques. Le trait limpide de Jeff Smith et sa maîtrise de la narration finissent de convaincre sur le peu d'importance d'une conclusion à cette abracadabrante histoire car c'est à un pur plaisir de lecture que l'auteur nous convie, nous immergeant avec astuce dans le monde du conte.
JP.

LES CERCLES FANTÔMES (BONE #9) | Jeff Smith
152 pages | 10,95 EU | éditions Delcourt | ISBN 2-84055-703-7

 
   
 
   

DÉPÔT NOIR/02
Faisant suite à Dépôt noir/01 (logique), le nouveau recueil d'images de Stefano Ricci est un bestiaire de corps, de regards et d'objets que l'étonnante palette de techniques graphiques de l'auteur incarne d'une vie singulière. Images d'enfants, de tasses de café, de silhouettes étranges aux regards perdus, de lettres déchirées puis recollées. Lorsqu'il dédicace, Stéfano Ricci reste concentré, bien calé sur son siège, les bras vissés à la table, la main cadenassée au crayon, lui-même collé à la feuille. Il reprend le même trait vingt fois, sans décoller son crayon, l'écrase, plus redessine dedans à la gomme. Ses gestes semblent nerveux, comme un tremblement qui le parcourrait. Et pourtant, c'est plus un apaisement qui émane des images, un monde en suspension où se superposent les couches de textures, de collages -calques, ruban adhésif, papier froissé, biffé, gratté-, poussières, ficelles, plâtre, bribes de textes, traits crayeux. Des gris, des beiges, du rouge, plus rarement, de la moisissure et des masses noires, mates, qui engloutissent la surface.
" Par exemple, je ne dessine pas un homme qui regarde par le trou de la serrure mais je cherche à dessiner une autre personne qui le regarde, et si je dois te dessiner, te décrire, je dessine la personne qui te regarde. Souvent, je dessine une personne qui me regarde. Ça me plait quand un dessin arrive à créer une espèce d'équivoque, si chacun y voit des choses différentes. Pas nécessairement des significations, mais aussi des choses, qui peuvent sembler incongrues au début et qui deviennent, lentement, ce qu'elles sont. (…)" Nous dit-il dans la préface.
Dépôt noir/02, livre-essai, d'autant que nombre d'images sont ensuite retravaillées sur ordinateur, est une promenade dans le silence, dans un espace où les corps se courbent et les regards passent au-dessus de notre épaule. Plus abouti que le premier volume, Dépôt noir/02 est presque un objet incongru tant il chevauche les genres. Que cet ouvrage se trouve, en France, dans le circuit de distribution de la bande dessinée pourrait sembler étrange si celle-ci, ces dernières années, n'explorait pas avec autant de méthode les formes et les narrations, permettant ainsi à un éditeur novateur comme Fréon de proposer des livres singuliers qui n'ont plus d'appartenance à un genre précis.
JP.

[site]

DÉPÔT NOIR/02 | Stefano Ricci
128 pages | 28 EU | éditions Fréon | ISBN 2-930204-38-9

 
   
 
   
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