Chroniques 2001
Entretiens

 
JadeWeb chroniques #11
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A la loupe
Gunnar Lundkvist
KLAS KATT .

Winshluss & Cizo MONSIEUR FERRAILLE .
Richard Corben
ALIENS / ALCHEMY . HELLBLAZER . BANNER . THE HOUSE ON THE BORDERLAND .

Chroniques #10
PAUL A UN TRAVAIL D'ÉTÉ > Michel Rabagliati . MERCI BEN LADEN ! > Willem . ÉCLIPSE > Anton6 . FUZZY LE LAPIN ET SES COPAINS | Robert Crumb . GIBOULÉES > Vincent Vanoli . MELEK > Julie Doucet . INTESTINE > Simon Bossé . HELLBOY #4 > Mike Mignola . JÉRÔME D'ALPHAGRAPH #1 > Nylso . PSYCHOPARK #1 > Frank Cho .

chroniques #9
LA CAGE > Martin Vaughn-James . HAWAII > Matt Broersma . L'AMOUR > BSK . BONE #9, les cercles fantomes > Jeff Smith . DÉPÔT NOIR/02 > Stefano Ricci

Chroniques #8 PUSSEY > Dan Clowes . ESCAPO > Paul Pope . UN CHIEN DANGEREUX #2 > Imius . L'OEIL À COURTS THÈMES > Didier Progéas . MON POISSON ROUGE > Capron . TIBURCE #4 > Téhem .

Chroniques #7 CHE > Oesterheld & Breccia . 3 > Micol . CLOSE YOUR EYES > Burns . TOP TEN #1 & #2 > Moore & Ha . BUSCAVIDAS > Breccia & Trillo . CARNET > Tardi .

 
à la loupe DAVID BORING (suite de la chronique...)
 
 
 
 

HOLMENKOLLEN
Après Klas Katt, place à Holmenkollen. Après Gunnar Lundkvist, place à Matti Hagelberg. Poursuite de l'exploration de la veine scandinave pour L'association avec, encore, une véritable petite perle de la narration en images. Le terme "bande dessinée" semble d'ailleurs trop petit pour cet auteur finnois qui depuis plus de dix ans explore, expérimente et déverse, avec le procédé, principalement, de la carte à gratter, des récits fantasmatiques pleins d'humour et de gravité. L'on touche souvent à des graphismes lorgnant vers des imaginaires d'enfants -château-fort, personnages qui semblent articulés comme des poupées ou des petits soldats, motifs de conte, etc.- et Hagelberg enfonce ce clou par l'utilisation abondante de légendes détournées, cauchemars, ainsi que par l'organisation de récits proches des contes aux tournures de phrases d'apparences naïves. Cela fait parfois penser aux ritournelles de José Parrondo ; comme chez lui, le lieu du récit se situe dans une sorte d'Eden, faconnant une logique onirique que rien ne trouble et où l'auteur se promène, tel un enfant immergé dans ses mondes imaginaires. Hagelberg nous raconte pourtant souvent des petits bouts de sa vie d'adulte un peu désemparé : ses rencontres de voyages, ses amies, une journée de ménage, etc. Il tente aussi parfois de pousser la lecture de la réalité du côté du merveilleux, s'essaye à décrypter des signes ou des hasards complexes de sa vie, les rapproche de légendes religieuses, il insiste pour évacuer un quotidien morne, s'imagine naufragé ou héros des bandes dessinées de son enfance. Tout cela pourrait sembler purement enchanteur si sa technique graphique ne laissait transparaître des images si inquiétantes. Sous la peau d'un simili mickey, on distingue son squelette, certains décors s'élaborent en fractales, gravures d'animaux terrifiants, serpents de mer, ossements et autres croquemitaines jonchent les pages, terriblement soulignés par le traitement très contrasté de la carte à gratter, les perspectives inquiétantes, les dédales de tuyauteries, comme autant d'organes internes remplissent l'espace. On comprend mieux pourquoi Hagelberg a principalement été publié en France par Stéphane Blanquet et les éditions du Dernier cri : les apparences sucrées d'un monde enfantin, idéal, tentent de contenir une écrasante angoisse, un questionnement sur l'existence, cher aux auteurs nordiques, souvent exprimé par un sens de la dérision extrême et un humour marqué. C'est aussi l'humour et l'absurde qui l'emportent dans Holmenkollen faisant de cet imposant pavé imprimé sur 2 superbes papiers une gourmandise légère à l'étonnante richesse.
JP.

HOLMENKOLLEN | Matti Hagelberg
128 pages | 23 EU | éditions L'association
ISBN 2-84414-064-5

 
 
 
 

KANE #2 - Question de coffre
Suite des aventures du flic désabusé imaginé par Paul Grist, maître d'un noir et blanc à la fois percutant et velouté. La ville de New Eden où se déroule la série semble n'être qu'une ombre, un décor de théâtre découpé par la lumière des lampadaires ou de l'aube. Kane, toujours aussi peu disert, toujours aussi mal vu par ses collègues depuis la mort de son partenaire, continue, tant bien que mal, de faire cohabiter la loi et ses méthodes d'ours : tranquillité apparente puis uppercut. En toile de fond, de multiples enquêtes (un poseur de bombe, la traque d'un caïd de la ville), des imprévus à la pelle et finalement quelques succès, mais toujours un goût d'inachevé. Très bien ficelé bien que banal -on pourrait presque dire réaliste- la série brille surtout par l'étonnante ambiance nonchalante que lui insuffle Paul Grist. Le dessin concis et élégant est particulièrement agréable, dans une veine un peu rétro et la gestuelle des personnages rappelle parfois celle, si originale, de Steve Ditko. La composition des pages reste son point fort et rythme le récit, parfois confus, d'une logique imparable. Une très bonne petite série, sans aucune grandiloquence, tout en silence et en sobriété, servie par des personnages qui s'étoffent au fil des épisodes. Rafraîchissant.
JP.

KANE #2 - Question de coffre | Paul Grist
64 pages | 13,50 EU | éd. La comédie illustrée
ISBN 2-911391-57-8

 
 
 
   

LUCIUS CRASSIUS
Le petit bouquin imparable du moment. Cela fait longtemps que les lecteurs de Flblb se font secouer les maxillaires grâce aux bons soins d'Otto T. et Grégory Jarry, ils ont su -entre d'autres choses- donner un brin de soleil courtois ces dernières années au festival d'Angoulême avec leur indispensable gazette quotidienne The blue salt. Mais depuis l'arrivée en librairie de la nouvelle formule de Flblb, on se demandait si l'embourgeoisement ne guettait pas, s'ils n'avaient pas serré un peu trop les chaînes en grimpant le col du succès. On pourra sans problème se rassurer avec cet hilarant Lucius Crassius, l'histoire d'un riche fermier romain devenu César, qui sut si bien moucher les premiers chrétiens qu'il réussit à maintenir l'empire jusqu'à aujourd'hui. Il faut donc prendre ce petit opuscule comme un livre d'histoire, certes légèrement traficotée à la gloire de l'empereur actuel Publius Septimius (tout rapport avec l'auteur d'Un chien dangereux sera forcément fortuit, heu...). Pour renforcer ce côté historique, quoi de mieux que de parodier (et chez Flblb, on s'y entend pour ça) un manuel de latin. Ainsi l'histoire commence :
"La terre de la Sicile est fertile. C'est pourquoi de nombreuses et grandes fermes ne manquent pas en Sicile. Lucius Crassius est un riche paysan de Sicile. Etc."
Et c'est donc sur un ton très scolaire que continue le récit, ton perpétuellement sabordé de façon hilarante par l'interprétation du texte qu'en font les auteurs par leurs illustrations. Ce glissement se poursuit par la forme même des personnages, silhouettes en fil de fer ultra expressives, évoluant dans de -rares- décors en gravure, courant d'un bord de la page à l'autre comme autant d'évadés de La linea.
L'essentiel de l'histoire tourne autour de cet infâme Lucius Crassius, espèce de tyran prognathe clouant le bec, par une pirouette bas de front, de Petrus et Paulus, deux chrétiens perpétuellement en cavale… ce qui changea l'histoire (ben pourquoi pas ?)… Un petit bijou d'humour absolument indispensable.
JP.

[site]

LUCIUS CRASSIUS | Otto T. & Grégory Jarry
80 pages | 9 EU | éd. Flblb
ISBN 2-914553-13-7

 
   
 
   

TOP TEN #3
Yeah, enfin la suite de Top ten, le commissariat le plus barge de la planète comics. Enfin barge, pas tant que ça, avec Alan Moore à l'écriture, on reste toujours dubitatif sur l'endroit où il veut nous emmener. Pour ceux qui ont raté les épisodes précédents, nous sommes dans un univers parallèle, un monde -si réaliste par ailleurs- où tous les habitants sont des mutants, des divinités ou des extra-terrestres. Un monde de super-héros donc, où les pouvoirs extravagants sont la norme. Ha bé oui, exit la notion de héros, exit le moralisant "un grand pouvoir entraîne de grandes responsabilités" de Stan Lee et place à l'exploration des possibles : si tout le monde a des pouvoirs (n'importe quel pouvoir) où va le monde ? Exactement au même endroit que dans le monde réel : droit dans un mur. La seule différence est l'importance du choc. Quand on a le pouvoir d'une divinité mais qu'on est un peu tox sur les bords, forcément une crise de manque ça va faire un peu plus de dégâts. Et c'est dans cette curieuse mais si imparable uchronie que l'on assiste au quotidien du commissariat : embrouilles entre services (sauf que l'autre service se situe sur une terre parallèle où l'empire romain continue de dominer le monde), arrivée d'un nouveau partenaire suite au décès de l'un d'entre eux (certes, mais c'est un robot au look de Goldorak) démantèlement d'un réseau de pédophilie organisé au sein d'une équipe de super justiciers mythiques (et ce sont tous les Batman et Robin du monde qui s'écroulent). Alan Moore, avec un sérieux et une précision monacale secoue l'imagerie du comics tout en en conservant les ingrédients, rajoute une grande dose de réalisme par la profondeur psychologique dont il habille les personnages (allant jusqu'à récupérer les clichés éprouvés des séries télé), noue intrigues et relations et c'est au final cette furieuse extravagance qui sonne comme une crue réalité. Exit le maniérisme romantique d'un Frank Miller, rejeté au rang d'hyper violence gratuite, exit également le théâtre de grand guignol MacFarlanien et les défilés de mode post soft-porn californien qui empourprent les faces ravies des ados américains nourris aux super-gens anabolisés. Gene Ha au dessin vient parfaire de son grand réalisme sans outrance le monde façonné par Alan Moore, rajoutant par la richesse de détails urbains l'impression de ruche permanente de la cité cosmopolite. On pourra seulement regretter les couleurs standardisées à l'ordinateur qui, si elles rendent justice à l'exubérance des costumes, n'en restent pas moins pénibles par le traitement scolaire des lumières et des volumes. Mais on ne boudera pas son plaisir pour si peu.
JP.

[site]
TOP TEN #3 | Alan Moore (scé.), Gene Ha (dessin), Zander Cannon (encrage), Wildstorm FX (coulbwerk)
110 pages | 9,90 EU | éditions Sémic
ISBN 2-914082-73-8

 
   
 
   

HOLLY SHIT
Oui, Holly shit, C'est un peu le cri d'angoisse autant que le cri de ralliement (accessoirement le titre) de l’extrêmement troublant ouvrage du peintre Reinhard Scheibner. Un livre comme seul Le dernier cri sait les faire -je ne vois aucun autre éditeur assez gonflé- dans lequel l'auteur compile des séries de dessins et peintures sales, étranges, destabilisantes et qui éprouveront les repères de chacun. On revisite dans Holly shit la plupart des styles de représentations artistiques des deux derniers siècles (de l'imagerie coloniale au pop art), l'auteur s'appropriant cette imagerie pour exhaler des scènes où fantasmes sexuels et scatophiles s'insèrent dans des actions quotidiennes, créent un décalage qui met en lumière une certaine conception de l'obscénité du monde. La dernière partie de l'ouvrage représentant des humains-étrons, tels des Poulbot trash, dans des scènes de détente, à la maison, à la piscine d'où se dégage un curieux sentiment de sérénité. Prophétique ? Idéal de la société des loisirs ? Pourquoi pas. L'exemple type du livre-ovni, de l'auteur définitivement relégué dans l'underground, de sensations désespérément humaines. Son éditeur, Le dernier cri, poursuit ainsi son exploration marginale des arts graphiques et de la représentation primale de l'inconscient collectif. Il sauve ainsi, ne serait-ce qu'un peu, des images -et des artistes- dont même le monde de l'art et des médias ne veut pas, trop soucieux de sa propre grammaire de la transgression : "Depuis plus de vingt ans, Berlin, mais aussi le reste de l'Allemagne s'efforcent avec succès d'ignorer Reinhard Scheibner. Pourtant dans notre pays, on ne peut pas se vanter d'être pourvu d'un nombre exubérant de bons peintres. Au lieu de cela, on se satisfait de prétendus "génies" -plus sages et moins encombrants- et de pseudo-intellectuels arrogants, propres comme des toilettes, et qui brillent de leur diarrhées spirituelles. L'essentiel, c'est qu'il n'y ait pas de message : laisser réduire la soupe jusqu'à néant" nous dit Klaus Theuerkauf dans sa préface.
JP.


HOLLY SHIT | Reinhard Scheibner
126 pages | 15 Eu + 1,75 de port | éditions Le dernier cri

 
   
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