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Archives Livres 2003
CHRONIQUES #15
ECTOPLASMES > Nuvish . BLONDE PLATINE > Adrian Tomine . MA MAIN GAUCHE CETTE IMBÉCILE > Bruno Heitz . LUDOLOGIE > Ludovic Debeurme . PYONGYANG > Guy Delisle . PORTRAIT INÉDIT DE ARTHUR CRAVAN > Philippe Squarzoni . PUTAIN, C'EST LA GUERRE ! > David Rees . LA PAIX DANS LE MONDE > Willem . POUR MOI, LE CIEL... > Kristof Guez, Gérard Marty, Marc Pichelin & Jean Pallandre . BLAEK > Collectif . > HOLLYWOODOO > Collectif . MACHINA MUNDANA > Marcel Ruijters . L’HOMME QUI NE VALAIT PLUS RIEN > Nikola Witko
 
CHRONIQUES #14
PALOOKA VILLE > Seth . LES FEUILLES MORTES > Frédi Astèr . ARS SIMIA NATURAE > F.C. . CALVIN & HOBBES #22 > Bill Watterson . CAHIER PERPLEXE > Raul . AMORCE > Michel Squarci & Sarah Masson . BREAKFAST AFTER NOON > Andy Watson . GERMAIN ET NOUS #1 > Frédéric Jannin

 

CHRONIQUES #13
QUARTIER LOINTAIN > Jirô Taniguchi . 676 APPARITIONS DE KILLOFFER > Killoffer . MISH MASH > Blutch . GARDUNO, EN TEMPS DE PAIX > Philippe Squarzoni . SOCK MONKEY > Tony Millionaire . LE PIQUE-NIQUE > Mazen Kerbaj . SENTIERS BATTUS > Vincent Vanoli


Archives revues 2003
CHRONIQUES #13
EGO COMME X #9 . LA LUNETTE #2 . THE DEATH OF A CYCLIST > Ilan Manouach . VACHES À VOIR > Olivoir Texier . MYCOSE #15 . LE PETIT GUIDE NATUREL ET MORAL DU GRAPHISTE EN PROIE AU DOUTE > Jean-Jacques Tachdjian . VERTIGE #3 . SUSHI BONDAGE # 2 . FERRAILLE #22
 
CHRONIQUES #12
L'HORREUR EST HUMAINE #7 . FERRAILLE #21 . CYCLOPS, AIM FOR THE EYE . L'ENFANCE DU CYCLOPE . PEACE WARRIOR #19 . LE JOURNAL DE JUDITH & MARINETTE #10 . PLG #37

 

CHRONIQUES #11
LES DESSOUS DE TERMINAL BEACH #1 > Jampur Fraize . EN MONTANT GODOT (AGRUM COMIX #5) > David Vandermeulen . FLIPPER LE FLIPPÉ > Morgan Navarro . D.T. COMIX #3 > Pierre Druilhe . LAPIN #33 . VERTIGE #1 . À LA BELLE ÉTOILE > Nicolas Filloque


Entretiens

Roberta Gregory
Alex Barbier
Blutch
Julie Doucet
joe Sacco

[les autres entretiens]

A la loupe
CHANTIER MUSIL > Vincent Fortemps
MOLOCH > Michael Matthys
Les bandes dessinées
de 2002 de Monsieur Vandermeulen

< sommaire
 
 
CHRONIQUES DE LA BANDE DESSINEE ACTUELLE


IN DE VLEESTUIN
Alice Lorenzi
24 pages / n&b
auto-édition
sans autres références

La merveilleuse Alice Lorenzi
ou
de l’amour

Mes chers enfants, j’aimerais vous instruire de ce que ma personne vient d’être, contre toute attente, à 78 ans passés, sujette une fois encore de la domination d’Aphrodite. Ô Aphrodite ! redoutable Déesse de l’Amour et des Jardins, autorité avec laquelle il ne m’a pas été permis de lutter, tant ton empire n’admet aucune résistance, allant jusqu’à rendre fou les plus puissants ! Moi qui m’estimais, depuis les émois que m’avait procuré, il y a bien longtemps déjà, la lecture des lettres de Mme la marquise de Sévigné, prémuni de tes assauts ! C’était mésestimer ta force, invincible Puissance aux manifestations étranges [1]
Voici que le merveilleux livre de la divine Alice Lorenzi a réussi à faire chavirer mon cœur, me restituant les émois qui agitaient mes vingt ans ! Puissiez-vous tous, mes enfants, vous procurer le sublime In de vleestuin d’Alice, et ces magnifiques pages accompagner votre amour des arts du dessin tout au long de votre existence ! 

"Que de bourgeons nous portons en nous, cher Scheffer, qui n’écloront jamais que dans nos livres ! Ce sont des « œil dormants » comme les nomment les botanistes. Mais si, par volonté, on les supprime tous, sauf un, comme il croît aussitôt, comme il grandit ! comme aussitôt il s’empare de la sève ! Pour créer un héros ma recette est bien simple : Prendre un de ces bourgeons, le mettre en pot – tout seul – on arrive bientôt à un individu admirable. Conseil : choisir de préférence (s’il est vrai qu’on puisse choisir) le bourgeon qui vous gêne le plus. On s’en défait du même coup. C’est peut-être là ce qu’appelait Aristote : la purgation des passions. Purgeons-nous, Scheffer ! purgeons-nous ! Il en restera toujours assez."
André Gide, L’immoraliste, 1902.

Se pourrait-il qu’un jour Alice Lorenzi ait lu L’Immoraliste et que d’une telle instruction germât en elle la folle décision d’oser écrire, et s’abandonner dans le grand gouffre des mots et des idées, telle une Alice de Carroll chutant interminablement au plus profond de la poésie ? Au lire de son petit opuscule In de vleestuin, on ne saurait que difficilement présumer du contraire tant l’ouvrage semble cultiver les vertus cathartiques aristotéliciennes évoquées ci-haut par le grand Gide.
Mais qu’est-ce donc que ce In de vleestuin ? titre étrange, néologisme néerlandais que l’on traduira mot à mot par "Dans le jardin de viande". Mais peut-être vaudrait-il mieux que nous interprétions la chose en évoquant tripes et entrailles... Car oui, c’est bien d’une éventration à laquelle Alice nous invite, à sa propre éventration. Mais point de récit d’épouvante ici, que l’on ne s’y trompe : Alice est végétale, plante généreuse que le souffle chaud d’Aphrodite protège en lui prêtant une force qui n’épargnera personne qui s’aventurera à la lire. Eventration intime, donc, délicate, douce comme une main caressante enfuie dans le meuble et frais terreau, effleurant le galbe d’un bouton de rose à peine éclos.

"Mes jours nouveaux croissaient et se multipliaient comme des plantes épaisses, entre ma mémoire et mon cœur."
Paul Valéry, L’Esclave.

La première des cinq historiettes qui composent In de vleestuin, Ferme les yeux mon amour, est une sensible et intuitive approche allégorique du sens féminin, son intime idée, vue intérieure qui s’ouvre, comme il se doit, sur une éventration, une venue au monde par incision, enfant-fable d’Alice née comme l’on cueille la rose ; "tout survient et finit par un accident", disait le poète. Et voilà que l’on nous présente Héra, Héra l’insatiable et jalouse – rivale d’Aphrodite, justement –, fille de Cronos et amante de son frère, Zeus le frivole. Le portrait que nous peint Alice de la belle Héra n’est certainement pas adjoint d’une démesure d’égards : reconduite à notre époque, malmenée, la gloire d’Héra perd de son intensité sitôt le récit amorcé. Car la Héra d’Alice ne souffre aucunement l’air vicié de notre siècle, et le glacis du tableau subissant une inévitable oxydation, voit la haute figure de la Déesse s’altérer, se rembrunir, craqueler, se dégrader, passer par toutes les étapes de la déliquescence, pour ne plus demeurer que la triste esquisse d’une femme éteinte et résignée, ombre d’elle-même, laminée par l’excédent d’amour dont elle gratifie sa progéniture. Sans en interpréter les mystères, ces deux portraits de femmes s’impriment au plus profond de l’intime, et les échos de leurs cris étouffés résonnent et se répercutent sur les parois de la conscience du lecteur. Alice a cueilli, pour mieux nous la montrer, la belle fleur Héra, et nos yeux attendris, éblouis par tant de détails que nous n’avions jamais pris la peine de voir, assistent impuissants à son flétrissement ; car dans le monde d’Alice rien n’est jamais certain, rien ne dure vraiment, tout est à la merci de l’onirique souverain, tout est uchronie [2]

"Tous les signes de la force paraissaient dans la beauté de Héra. Elle était une femme haute, pleine, de forme pure et bien modulée. On la sentait vivace et plante humaine généreusement développée. Son pas était léger, et tous ses actes bien dessinés."
Paul Valéry, Histoire de Héra

Mais attention, je parle déjà trop, et mes mots ne trouveront jamais semblable justesse, la poésie ça ne se raconte pas, ça se vit. Courrez les enfants ! courrez vous procurer les élégies d’Alice ! et gageons que la découverte de ce talent venu de l’Ardente Liège puisse vous enflammer, et que cette jeune fille, pour notre plus grande félicité, ait l’idée généreuse de persévérer dans l’écriture ! C’est que, pour le dire sans ambages, son In de vleestuin, malgré ses 24 petites pages serrées, s’impose déjà comme une œuvre incontournable de la bande dessinée contemporaine. Puissent les sincères politesses proférées en ces lignes, rencontrer un jour l’attention de la troublante Alice. Vous êtes Mademoiselle – Que les Dieux me laissent croire que ce titre vous sied toujours ! – l’innovatrice d’une indispensable poésie ! "Je ne sais pas d’art qui puisse engager plus d’intelligence que le dessin" disait encore Valéry [3]. Le poète a toujours raison, Mademoiselle !
Monsieur Vandermeulen

 

UN ACTE
Benoît Preteseille
20 pages / n&b
auto-édition
[extrait]

vente par correspondance : 5 euros + frais de port Benoît Preteseille, 17 rue Bellier Dedouvre, 75013 Paris

Mais qu’est-ce qui nous pousse au fond à dire de Un Acte, cet opuscule de 20 pages noires et blanches que c’est bien ? La couverture sérigraphiée aux parapluies, serait-ce une raison possible ?
Ou bien (suit un autre argument, que l’on se chargera de transcender avec la dernière alternative), tout simplement parce que c’est bien ?
– il s’agit du dernier ouvrage des éditions ions. Et d’abord qu’est-ce, de quoi s’agit-il, de quoi est-il question ? Vous qui avez connu Babar, réévaluez un peu, les yeux bandés, les images qu’induit le texte du premier Babar scandé par la musique de Poulenc. Comme vous connaissez celle de Satie, Benoît Preteseille propose Un Acte, images pour un scénario de ballet qu’aucune musique n’accompagne de monsieur Erik Satie.
Le texte laconique dit la chose de loin avec le sérieux de celui qui tient sa blague en laisse. Et c’est le feuilleton des années 1900 dont on coupe l’ornement. Le vieux marié. Arrivée du jeune premier. Notre dessinateur, un siècle plus tard, joue d’un trait alerte avec tout ça et fait aboyer la blague en laisse.
De manière douce-amère.
Ouah ouah.

Olivier Spinewine.